Négocier avec le diable ? : le long et difficile chemin de la diplomatie, seul espoir pour mettre fin à la guerre en Ukraine de Vladimir Poutine<!-- --> | Atlantico.fr
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Pierre Hazan publie « Négocier avec le diable. La médiation dans les conflits armés » aux éditions Textuel.
Pierre Hazan publie « Négocier avec le diable. La médiation dans les conflits armés » aux éditions Textuel.
©Bertrand GUAY, Valery SHARIFULIN / AFP / SPUTNIK

Bonnes feuilles

Pierre Hazan publie « Négocier avec le diable. La médiation dans les conflits armés » aux éditions Textuel. Pierre Hazan tente d’élaborer une boussole morale dans un monde violent et en pleine recomposition. Comment ne pas glisser du compromis à la compromission ? Jusqu’où négocier avec des régimes criminels ou des organisations terroristes ? Extrait 1/2.

Pierre Hazan

Pierre Hazan

Pierre Hazan est conseiller senior auprès du Centre pour le dialogue humanitaire, l'une des principales organisations de médiation des conflits armés. Il a conseillé des organisations internationales, des gouvernements et des groupes armés sur notamment les questions de justice, d'amnistie, de réparations, de commissions vérité et de disparitions forcées. Pierre Hazan a aussi travaillé au Haut-Commissariat pour les droits de l'homme. Il fut membre du Groupe international de contact pour le conflit basque. Il a travaillé dans de nombreuses zones de conflit, particulièrement en Afrique, dans les Balkans, au Proche-Orient et en Europe. Chercheur associé à Harvard Law School (2005), au United States Institute for Peace à Washington (2006), puis à l'Académie Robert Bosch (2022), Pierre Hazan a enseigné notamment à Sciences Po Paris et à l'Institut de hautes études internationales et du développement (Genève). Il fut auparavant journaliste. Pierre Hazan a publié de nombreux ouvrages dont La Paix contre la Justice (GRIP/André Versailles, 2010) et Juger la guerre, Juger l'histoire (PUE 2007).

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Le 3 avril 2022, lors d’une conférence de presse à Varsovie, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, s’en prend vertement au président français qui, depuis le début de l’année, s’est entretenu seize fois avec Vladimir Poutine, espérant calmer ses ardeurs guerrières vis-à-vis de l’Ukraine : « Monsieur le président Macron, combien de fois avez-vous négocié avec Poutine ? Avez-vous obtenu quelque chose? Il n’y a pas à négocier avec des criminels. Est-ce que vous négocieriez avec Hitler, Staline ou Pol Pot » ?

Pour le Premier ministre polonais, il ne peut y avoir de dialogue possible avec un tyran et c’est pour cela qu’il dénonce le président français. Peu importe le fait que la Russie possède l’arsenal nucléaire le plus important au monde; qu’elle possède aussi des armes bactériologiques et chimiques ; que les médias russes soulignent qu’avec les missiles hypersoniques du nom révélateur de « Satan 2 », que Paris puisse être pulvérisé en 200  secondes et Londres, deux secondes plus tard. Car face à l’agresseur, face au chantage aux armes nucléaires agité par un « criminel de guerre », face aux despotes sanguinaires, en un mot face au diable, la guerre est juste. C’est une guerre des valeurs, nous dit Mateusz Morawiecki, menée au nom de la liberté, de la démocratie et de l’État de droit contre la tyrannie. Et il faut la mener au risque qu’elle devienne une guerre totale.

Au moment où Mateusz Morawiecki prononce ces mots, nous sommes alors trente-neuf jours après le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Un choc profond secoue l’Europe. Il y avait bien eu la guerre entre la Géorgie et la Russie en 2008, puis six ans plus tard, l’occupation de la Crimée, puis l’attaque russe dans le Donbass, mais cette fois, le conflit est d’une autre ampleur. La paix tenue pour acquise sur le continent vient de voler en éclats. L’idée de Montesquieu selon laquelle le commerce adoucit les mœurs s’est avérée fausse et l’Europe occidentale se découvre dépendante des hydrocarbures russes. Depuis l’agression russe le 24 février 2022, les deux plus grands pays d’Europe sont en guerre. Les destructions sont déjà immenses. Plus de quatre millions d’Ukrainiens ont fui en exil. La ville de Marioupol est alors assiégée depuis des semaines. Les forces russes refusent, sous divers prétextes, la mise en place de corridors humanitaires pour soulager la population. Ce 3 avril, le monde vient de découvrir des centaines de cadavres de civils ukrainiens après le retrait des forces russes à Boutcha aux environs de Kyiv.

La menace existentielle liée à l’histoire polonaise du XXe siècle et l’émotion du moment pèsent dans la virulence des propos de Mateusz Morawiecki à l’égard du président français. Le rapport à la guerre et à la paix est aussi le produit du fer brûlant de l’histoire. Si le président français veut éviter « d’humilier » la Russie et pense aux conséquences désastreuses du traité de Versailles de 1919 qui enfanta le revanchisme allemand, le Polonais, lui, pense non à la Première, mais à la Deuxième Guerre mondiale. Mateusz Morawiecki redoute ceux que Raymond Aron appelait « les marchands de sommeil ». Ceux qui prônaient la politique d’apaisement avec le chance - lier Hitler, tel le Premier ministre britannique Neville Chamberlain qui, à son retour de la conférence de Munich, devant une foule en liesse, déclare ces mots qu’il regrettera toute sa vie : « La paix est sauvée pour notre temps ». On sait ce qu’il advint.

Mais revenons à ces premières semaines de la guerre en Ukraine. Le 4 avril, Volodymyr Zelensky se rend à Boutcha et dénonce des « crimes de guerre » qui seront reconnus « comme un génocide ». À la différence de Morawiecki cependant, le président ukrainien ne tarde pas à réaffirmer sa volonté de « trouver la moindre possibilité de négocier (avec Vladimir Poutine), car il est difficile d’arrêter la guerre autrement ». Quelques semaines plus tard, il se fait explicite devant la télévision ukrainienne : « Les discussions entre l’Ukraine et la Russie auront résolument lieu. Je ne sais pas sous quel format, avec des intermédiaires ou sans eux, dans un cercle élargi, au niveau présidentiel. Il y a des choses que nous ne pourrons atteindre qu’à la table des négociations (…)

La guerre sera sanglante, mais elle ne pourra prendre définitivement fin que par la diplomatie ».

Assurément, les fortunes de la guerre, l’évolution du rapport de force et des combats, les changements politiques qui surviendront, vont faire évoluer les positions des uns et les autres, car s’il y a bien une loi d’airain, c’est que la guerre possède sa propre et imprévisible logique. À un moment donné, à moins d’imaginer un engrenage mortifère comme le fut la Première Guerre mondiale, voir une guerre totale, viendra toujours le temps de la négociation. Sur la base du rapport de force établi sur le champ de bataille, les belligérants discuteront alors du prix de la paix, du contrôle des territoires et des impératifs de sécurité des uns et des autres.

Extrait du livre de Pierre Hazan, « Négocier avec le diable : La médiation dans les conflits armés », publié aux éditions Textuel

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