Négociations sur le nucléaire en mode accéléré : comment l’Occident est en train de jouer avec le feu avec l’Iran pour gérer l’Irak<!-- --> | Atlantico.fr
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Les six pays (les cinq du conseil de sécurité de l'ONU + l'Allemagne) négociant avec l'Iran sur le nucléaire espèrent obtenir un accord avant le 20 juillet.
Les six pays (les cinq du conseil de sécurité de l'ONU + l'Allemagne) négociant avec l'Iran sur le nucléaire espèrent obtenir un accord avant le 20 juillet.
©Reuters

Diplomatie

Les États-Unis envisagent sérieusement de se reposer sur l'Iran pour apporter une réponse à l'avancée des groupes djihadistes en Irak. Un choix diplomatique qui peut paraître au premier abord surprenant, en pleines négociations sur le programme nucléaire iranien.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Atlantico : Après avoir placé le pays au ban de la communauté internationale, les Etats-Unis envisagent de coopérer avec l'Iran pour contrer la menace djihadiste en Irak. Ce brusque retournement en plein cœur des négociations sur le nucléaire iranien n'est-il pas un jeu dangereux pour l'Occident ? 

Thierry Coville : Je ne pense pas qu'il y ait de précipitation. Cela fait déjà plusieurs années que de nombreux spécialistes des questions de politiques internationales se demandent pourquoi il n'y a pas d'alliance avec l'Iran puisque il y a un ennemi commun : le djihadisme salafiste. Il y avait déjà une coopération entre les deux pays lorsque les Etats-Unis avaient attaqué l'Afghanistan. Il s'agissait déjà de lutter contre un groupe, les Talibans, qui étaient anti-chiites. Les Iraniens, considérant que les Talibans étaient leurs ennemis, avaient donné toutes les informations sur leurs bases militaires aux Américains, avant que ceux-ci n'attaquent. Juste après – ce fût sans doute une grave erreur – George W. Bush plaçait l'Iran dans "l'axe du Mal" ce qui stoppa la collaboration. Les Iraniens n'ont par exemple pas du tout coopéré lorsque les Etats-Unis ont attaqué l'Irak.

Depuis l'élection d'Obama, l'idée d'une collaboration est de nouveau remise sur le tapis. On sait que les Américains et les Iraniens négocient secrètement depuis plusieurs années (cela a commencé sous Ahmadinejad !). Et s'ils l'ont fait c'est qu'il apparaît comme une évidence qu'ils doivent lutter contre cet ennemi commun. Ce que l'on voit actuellement, c'est juste la révélation au grand jour de ce processus. Les Etats-Unis et l'Iran ne peuvent pas supporter – pour des raisons différentes – qu'un groupe salafiste proche d'Al-Qaïda puisse contrôler une partie de l'Irak.         

Les six pays (les cinq du conseil de sécurité de l'ONU + l'Allemagne) négociant avec l'Iran sur le nucléaire espèrent obtenir un accord avant le 20 juillet, malgré des divergences encore fortes. N'y a-t-il pas un risque d'accepter un accord au rabais pour tenir le calendrier serré des négociations ?

Ce que l'on entend surtout, c'est que si un accord n'est pas trouvé d'ici au 20 juillet, une nouvelle période de six mois s'ouvrira pour aboutir à un nouvel accord. La pression est donc loin d'être maximale. C'est vrai qu'il reste des divergences très fortes entre les deux parties, qui portent principalement sur le nombre de centrifugeuses dont pourra disposer l'Iran. C'est le contour définitif du programme nucléaire iranien qui est en jeu. Les Iraniens veulent évidemment beaucoup plus de centrifugeuses que ce que les Occidentaux voudraient leur permettre, et on ne sait pas vraiment combien de réacteurs va construire l'Iran. Il y a donc beaucoup d'incertitudes sur le volume d'uranium enrichi dont ils auront besoin.

Il y a cependant une vraie volonté politique d'arriver à un accord. Les observateurs les plus proches du dossier sont donc raisonnablement optimistes. D'un autre côté, ce qui est en train de se passer en Irak peut changer l'équation en montrant que les Occidentaux ont besoin de l'Iran pour faire face à la menace s'ils ne veulent pas envoyer des troupes.

Avec les Etats-Unis qui veulent se désengager de la région, la situation n'est-elle pas idéale diplomatiquement pour l'Iran ? Comment pourrait-elle tirer son épingle du jeu et que pourrait-elle obtenir ?

Pour l'Iran, l'arrivée de ces groupes salafistes est vécue comme une menace stratégique vitale. Ils renvoient une image de violence extrême et d'un positionnement très anti-chiite. Après, le jeu de la diplomatie jouera si l'Iran voit que les Américains ont besoin d'eux. On se doute bien aussi que quand Américains et Iraniens négocient ensemble, ils ne parlent pas que de nucléaire… La Syrie ou l'Irak sont aussi au cœur des discussions. Mais s'il y a un rapprochement, il est avant tout pragmatique et pousse évidemment dans le sens de la résolution de la question nucléaire. Mais je ne pense pas que l'on pourra parler d'opposition au rabais. Il y a aux Etats-Unis une pression des Républicains les plus radicaux qui empêchera sans doute l'acceptation des demandes maximales de l'Iran.     

Les pays occidentaux pourraient-ils reprendre la main dans la région face à la situation actuelle, où le fait que l'Iran va devenir un pivot incontournable dans la région – et sans doute une puissance nucléaire – est maintenant une échéance irréversible ?

On n'en est pas encore là. Pour l'instant, le grand allié des Etats-Unis dans la région reste l'Arabie saoudite.  Mais le fait que des liens existent entre l'Arabie saoudite et les groupes salafistes pousse les Etats-Unis à rééquilibrer ses alliances et à se tourner vers l'Iran. Cependant le pays ne redeviendra jamais le "grand gendarme" des Etats-Unis comme sous le temps du Shah.  Il faut plutôt considérer la situation sous l'angle d'un partenariat centré autour d'objectifs communs dans la région, que ce soit en Irak, en Afghanistan ou en Syrie, où les groupes salafistes sont actifs. L'Iran est en outre considéré comme un partenaire plus fiable que l'Arabie saoudite dans lutte contre le djihadisme dans la région.

L'Iran reste la grande puissance chiite de la région. Quelles pourraient être les conséquences dans le domaine religieux d'une intervention de ce pays en Irak ?

Les Iraniens sont conscients de la situation délicate. Ils ont toujours incité le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki à se réconcilier avec la minorité sunnite. Ils veulent bien sûr que l'Irak garde un gouvernement chiite. Mais ils ne veulent pas envoyer non plus de troupes pour ne pas donner raisons aux sunnites qui voient al-Maliki comme étant instrumentalisé par l'Iran. Ils enverront plutôt, comme en Syrie, des conseillers.

L'Iran, qui a aussi une part de sa population sunnite, essaie de se présenter comme un Etat où les minorités cohabitent. Ils n'ont donc aucun intérêt à relancer les tensions. Ils accusent justement les groupes salafistes d'êtres des agitateurs et des intolérants. L'Iran se présente même comme le défenseur des minorités religieuses en Syrie, ce qui est effectivement un vrai retournement dans la posture. En tous les cas, l'Iran n'a aucun intérêt à relancer une guerre chiites-sunnites en Irak.     

Propos recueillis par Damien Durand

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