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"Éducation nationale : la crise est due à des décennies de destruction de toute forme d’autorité"
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Tableau noir

Les enseignants du public et du privé ont fait grève commune ce mardi. L'occasion pour l'ancien ministre de l'Éducation nationale Jack Lang de dénoncer la "sauvagerie" de l'État à leur égard. Mais n'est-il pas lui-même responsables de leurs difficultés actuelles ?

Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Atlantico : Pour la première fois depuis les années 1980, les enseignants du public et du privé ont fait grève commune ce mardi. A cette occasion, l’ancien ministre socialiste de l’Éducation nationale Jack Lang a dénoncé une « sauvagerie » et une « violence » de l’État à l’égard des enseignants. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Natacha Polony : Cela m’inspire que Jack Lang est l'un de ceux qui a le plus abimé l’école ces dernières années. Quand il était ministre de l’Éducation nationale, les réformes qui ont été faites, notamment sur les programmes scolaires, étaient catastrophiques. Ces réformes ont détruit la qualité du métier d’enseignant en introduisant absolument toutes les pédagogies modernistes et constructivistes, centrées sur l’enfant, qui empêchaient les professeurs de transmettre réellement les savoirs. L’état de l’école aujourd’hui est donc largement dû à la politique menée par Jack Lang.

Le même Jack Lang soutient la proposition de François Hollande de recréer 60 000 à 70 000 postes dans l’Éducation nationale. L'école souffre-t-elle essentiellement d'un manque de professeurs ?

Ce n’est évidemment pas un problème uniquement quantitatif. C’est pour cela que je soulignais le fait que les réformes, depuis trente ans, ont détruit l’école et que les résultats catastrophiques des élèves français dans les comparaisons internationales ne sont pas dus à la politique actuelle du gouvernement car il y a toujours « un effet retard ».

François Hollande dit qu’il va recréer des postes, mais je doute qu’il puisse le faire. En période de crise, avec une dette absolument abyssale, l’honnêteté voudrait que l’on ne fasse pas ce genre de promesses.

Quand bien même il voudrait réellement le faire, cela ne permettra pas de retrouver le nombre d’enseignants qui existait avant 2007 pour une raison simple : cette année, 1000 postes au CAPES ont été laissés vacants. Il n’y a tout simplement pas assez de candidats. Pour qu’un jury de CAPES, sachant le manque de professeurs aujourd’hui, décide de ne pas pourvoir des postes, c’est vraiment qu’il a estimé que les candidats n’avaient pas le niveau.

Comment explique-t-on alors ce manque de candidats à la profession d’enseignant ?

Le métier a été détruit depuis trente ans. Les différentes réformes ont fait qu’il est devenu impossible d’enseigner dans les classes. Les professeurs se sentent démunis, dévalorisés. Quand un enfant n’a pas appris, dès la maternelle, à se comporter comme un élève, cela nécessite un gros travail pédagogique. Quand ce travail n’a pas été fait en amont, arrivé au collège, cela devient intenable. Les enfants qui ont mal appris à lire sont en souffrance. Vous imaginez passer huit heures par jour assis sur une chaise, à ne pas comprendre ce que l’on fait là parce que l’on n’a pas eu les bases. C’est d’une violence terrible, beaucoup d’enfants ne le supportent pas, et c’est tout à fait normal.

Si l’on regarde les systèmes qui fonctionnent le mieux (les systèmes asiatiques), les professeurs y sont beaucoup plus valorisés. D’abord ils sont mieux payés et ensuite, l’ensemble de la société est faite de telle sorte que l’on estime que l’autorité d’un professeur ne se remet pas en cause. On est très loin de cela aujourd’hui en France. On a vécu des décennies de destruction de toutes formes d’autorité, on ne doit pas s’étonner ensuite que des jeunes gens ne veulent plus assumer ce métier bancal où on leur demande d’exercer leur autorité tout en le leur interdisant. Une société doit savoir ce qu’elle veut.

Le rapport Pochard, lancé en 2007 par Nicolas Sarkozy, envisage une augmentation des obligations hebdomadaires de service de 18 à 22 heures pour les titulaires d'un CAPES. Que pensez-vous de cette mesure ?

Je crois que cela dépend totalement de l’endroit. Le métier n’est pas le même dans un endroit ou l’établissement scolaire va être plus calme et un endroit où cela sera plus difficile. Le métier n’est pas le même quand on vit sa première année ou quand l’on a quinze ans d’expérience.

Graduer les obligations horaires pourrait être une bonne idée. Par exemple, je pense que le plus douloureux pour les jeunes professeurs qui entament leur première année, c’est le fait que l’on ait retiré les aménagements horaires qu’ils avaient auparavant. Autrefois les stagiaires qui débutaient dans le métier n’avaient que six heures par semaine, ce qui leur permettait de respirer un peu, de prendre leurs marques. Il faudrait pouvoir moduler en fonction des circonstances.

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