Mort politique : le second mandat présidentiel d’Emmanuel Macron s’est-il achevé au soir de sa réélection ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron le 22 décembre 2023.
Emmanuel Macron le 22 décembre 2023.
©Ludovic MARIN / AFP

Bilan 2023

A cause de la révision constitutionnelle de 2008 qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux, Emmanuel Macron connait la fin de son histoire élyséenne depuis sa réélection. Il quittera le Palais en mai 2027, quoi qu'il ait fait de son second quinquennat.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Quatre présidents de la République, sous la Cinquième république depuis octobre 1958, ont connu la joie, le bonheur, l’émotion et la satisfaction d’être reconduits dans leur fonction présidentielle après un premier mandat : Charles de Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac et Emmanuel Macron. Quatre sur huit,  puisqu’aussi bien Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont pas vécu de renouvellement de leur bail élyséen. Le premier de ces quatre-là en a été empêché par la mort, le deuxième et le troisième ont été battus, le quatrième a renoncé à se présenter à sa propre succession. Un Président sur deux a donc, sollicitant de nouveau la confiance des Français, obtenu satisfaction. Il est intéressant de regarder de plus près la situation de chacune de ces quatre personnalités politiques, le soir de sa réélection et ce qu’il est advenu du second mandat reconduit… La comparaison entre les quatre « renouvelés » n’est pas aisée car la durée respective des premiers mandats a changé, pour le quatrième par rapport aux trois premiers, et les conditions politiques dans lesquels ces mandats se sont déroulés sont bien différentes.

De Gaulle : un Président qui préside et survole le monde

Commençons par le fondateur de la Cinquième république, Charles de Gaulle. Il est élu à l’Elysée pour 7 ans le 21 décembre 1958 et prend ses fonctions le 8 janvier 1959. Comme il l’a dit lui-même, il est élu par « la France du seigle et de la châtaigne », autrement dit un collège de « Grands électeurs » de 81.764 inscrits, dont 79.470 vont s’exprimer et, précisément, 78,51% d’entre eux en faveur du fondateur de la nouvelle République. Ces Grands électeurs sont issus de la France métropolitaine et des différentes colonies françaises. Ce sont des élus nationaux et locaux, autrement dit des « notables ». Ce collège électoral très élargi par rapport au « traditionnel » Congrès qui élisait les présidents honorifiques des Troisième et Quatrième républiques (les deux chambres parlementaires réunies à Versailles) correspond bien évidemment beaucoup plus aux pouvoirs très élargis du président de la République dans le texte de la constitution du 4 octobre 1958. La suite a montré que le général de Gaulle estimait ce socle électoral trop étroit, il l’a élargi en provoquant la modification de la constitution en octobre 1962 instaurant le suffrage universel qui va s’appliquer en décembre 1965 pour une première fois.

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Le premier septennat de de Gaulle peut se lire en deux parties, elles-mêmes divisées en deux sous-parties. Les trois premières années et demie du premier mandat sont très largement occupées par la sortie de la crise algérienne débutée le 1er novembre 1954 qui a précipité la chute du régime politique précédent, favorisant, du même coup, le retour de de Gaulle au pouvoir après le 13 mai 1958. La seconde moitié du premier septennat du Général est principale consacrée à l’entrée de plein pied de la société française dans l’ère de la consommation de masse à la faveur d’une expansion économique inconnue jusqu’alors. Si cette dimension de la vie politique va être essentiellement « gérée » par le premier ministre Georges Pompidou qui, réellement, « gouverne » au sens premier du texte constitutionnel, le chef de l’Etat, pour sa part, se consacre prioritairement à la défense de l’indépendance nationale, à la place de la France dans le monde et multiplie les « coups » internationaux. Il en va ainsi de la reconnaissance de la République populaire de Chine par la France, en 1964, premier Etat membre de l’OTAN à le faire… On pourrait multiplier les exemples : un des plus étonnants demeure le voyage officiel qu’il effectue dans dix Etats d’Amérique latine du 21 septembre au 16 octobre 1964 qui fait suite à la visite d’Etat qu’il avait rendue au Mexique en mars de la même année. Imagine-t-on cela aujourd’hui ? Cette « tournée » de « rock-star » (25 jours…) a été absolument triomphale. Elle se déroule dans l’arrière-cour de l’allié états-unien que de Gaulle n’aimait rien tant que détester (et réciproquement…). Le « terrain » de de Gaulle n’est pas la France entre juillet 1962 et décembre 1965, c’est le monde. Et lorsqu’il se présente (avec une déclaration fort tardive : seulement un mois avant le premier tour de la présidentielle de 1965) aux suffrages des Français, il ne leur promet rien puisqu’il ne fait pas campagne avant le premier tour. Quand il redescend de la stratosphère politique et des nuées dans lesquelles il vit, entre les deux tours, dans une série d’entretiens avec Michel Droit, il fait un « seul en scène » qui fait encore rire les Français et multiplie les formules destinées à entrer toutes fraiches dans les manuels d’histoire politique contemporaine. Mais son second septennat, que les faits politiques vont transformer en un court quinquennat, puisqu’il démissionne le 28 avril 1969 après avoir été renouvelé officiellement à l’Elysée le 19 décembre 1965, ne va pas non plus être véritablement « franco-français ». Le Général continue de parcourir le monde, continue de « taquiner » les « Yankees » : fermeture des bases américaines en France (annonce fait le 10 mars 1966 pour une effectivité en mars 1967) ; voyage officiel historique dans l’URSS de Brejnev des 20 juin au 1er juillet 1966 ; discours de Phnom-Penh le 1er septembre 1966 avec une charge célèbre contre l’engagement américain en Indochine ; voyage triomphal en Pologne entre les 6 et 12 septembre 1967 ; etc. S’ajoute à cela une « politique européenne » pour le moins rude et virile avec la fameuse « politique de la chaise vide » qui s’achèvera par le « compromis de Luxembourg » en janvier 1966, compromis dans lequel, il faut le dire, la France « mange son chapeau » par rapport à ses cinq autres partenaires européens (RFA, Italie et Bénélux) et où les diplomates français reviennent s’asseoir à la table européenne la « queue entre les pattes » après six mois de boycott… Toujours est-il que l’on ne retient pas grand-chose de la politique intérieure française du Général de Gaulle lors de son second mandat. Le modèle de partage des pouvoirs entre l’Elysée et Matignon, instauré à partir de 1962, demeure inchangé. Et comment ne pas rappeler ici le fameux « Vive le Québec libre ! » prononcé au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967 ?... Seuls les événements de Mai 68 et la crise politique qui va éclater à ce moment-là, remet le président de la République les deux pieds sur la scène politique française. Et encore… On sait qu’il a fallu près d’un mois, jusqu’au 30 mai, pour que ce retour, sinon sur Terre, du moins « en France », produise ses effets…

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Finalement c’est lorsque le Général se remet à vouloir s’occuper des « affaires intérieures » du pays, après la séquence de la pseudo révolte soixante-huitarde, qu’il se prend les pieds dans le tapis… Il élabore une révision constitutionnelle et institutionnelle « à la de Gaulle », autrement dit « d’ampleur » : suppression du Sénat, régionalisation, instauration de la « participation ». C’est ambitieux, mal expliqué car compliqué. Et les électeurs français, qui n’y comprennent rien, en profitent pour « tuer le grand-père », d’autant qu’il y a, dans la réserve, celui qui peut reprendre la barre une fois poussée à la retraite le « grand homme » : Georges Pompidou.

Voilà la donc le sort du second mandat du premier Président de la Cinquième république : limité sur la scène politique nationale, dernier recours pour sortir de la crise politique de haute intensité que constituent les événements de Mai 68 et raccourci au bout de trois années et demie… Comme s’il existait un « cycle caché » à l’intérieur des 10 ans, 3 mois et 20 jours de la présence de de Gaulle à l’Elysée : trois périodes de 40 mois (3 années et demie) environ chacune : janvier 1959 – juillet 1962 (indépendance de l’Algérie) ; août 1962 (attentat du Petit-Clamart) – décembre 1965 (fin du premier septennat) ; janvier 1966 – 28 avril 1969 (démission).

Mitterrand et Chirac : cohabitants, ressourcés mais surtout déclinants

Qu’en est-il pour les deux autres présidents de la République, réélus à l’Elysée avant Emmanuel Macron ? François Mitterrand et Jacques Chirac se distinguent l’un l’autre par le fait que leurs mandats respectifs ont été, constitutionnellement différents : deux septennats pour Mitterrand soit 14 ans ; un septennat suivi d’un quinquennat pour Chirac soit 12 ans. Voilà pour les bornes temporelles. Les deux Présidents ont en commun, en revanche, d’avoir connu l’un et l’autre la « cohabitation », autrement dit d’avoir présidé le pays avec un premier ministre à la tête d’une majorité parlementaire à l’Assemblée nationale hostile à l’hôte de l’Elysée, issue du bloc politique opposé à la majorité présidentielle. Au total et en cumulé, ces temps de cohabitation durent 4 ans sur 14 (28,5%) pour Mitterrand, réduisant à chaque fois ses « pleins septennats » à deux « quinquennats » où il aura pu, tout à la fois, « présider et gouverner » (ce qui n’est pas conforme, de jure, à la lettre de la Constitution, même si cela l’est devenu, de facto, dans l’esprit). Pour Chirac, la part de la cohabitation politique est plus importante encore : 5 ans sur 12 années (41,6%) de présence à l’Elysée. Pour autant la différence entre les deux situations tient au fait que les deux périodes de cohabitation sous Mitterrand ont eu lieu, pour chacune, les deux dernières années de ses deux septennats alors que, pour Chirac, son second mandat, après son improbable et exceptionnelle réélection à l’Elysée en mai 2002 (82% des voix) n’a pas été « entamé » par une quelconque nécessité de partager, au sein de la diarchie de l’exécutif, le pouvoir avec l’hôte de Matignon. 

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Ce que l’on constate clairement c’est que Mitterrand et Chirac ont, respectivement, su tirer les marrons du feu de leurs premières cohabitations. Essentiellement d’ailleurs parce que leur challenger, pour leur éventuelle réélection à l’Elysée, était le premier ministre sortant, soumis, de plein fouet, aux vents de l’impopularité qui est désormais le lot des gouvernants dans une France qui adore « flinguer » les détenteurs du pouvoir réel. Est-ce que cette situation, cette configuration politique qui a permis à Mitterrand et Chirac d’être réélus en mai 1988 et mai 2002 les a amenés à vivre un second mandat actif et à la hauteur des espoirs mis dans leur réélection ? A l’évidence non ! Jacques Chirac, qui n’avait obtenu que 19,88% des voix au premier tour (le plus petit score réalisé au premier tour d’une présidentielle par un candidat élu au second) a ainsi recueilli, au soir du fameux 21 avril 2002, un socle électoral en forme de tête d’épingle et a rassemblé alors sur son nom, alors qu’il a été « à l’abri » pendant cinq années de cohabitation face au socialiste Jospin, un nombre très faible de suffrages (5,6 millions de Français sur un peu moins de 30 millions de votants…). Comment agir ensuite, lors du second mandat, qui, pour la première fois, sera de cinq ans ? Et cela en dépit d’une réélection à la « soviétique », face à Le Pen, avec 25,5 millions de voix au second tour (82,21§% des SE). On ne retiendra du second mandat de Chirac que sa prise de position internationale, courageuse, sur la seconde guerre d’Irak, en mars-avril 2003. Tout le reste (y compris bien sûr le référendum sur le TCE de mai 2005) oscille entre l’indifférence, l’indolence, l’inaction et l’inconséquence.. Triste « carré sinistre » qui a donné à ce second mandat un air crépusculaire lequel, politiquement, aura au moins une conséquence positive pour celui qui va se lancer dans la course présidentielle de 2007 : Nicolas Sarkozy dans le rôle du « lapin des piles Wonder », courant et sautant partout… Quant au second mandat de Mitterrand, entre 1988 et 1995, pour remonter en arrière avant la séquence « Chirac président », quel autre mot que celui de « chute » peut qualifier ces sept années, réduites à cinq du fait de la seconde cohabitation que va devoir vivre le Président à l’Elysée ? Cinq premières années, de 1988 à 1993 avec trois premiers ministres (record sous la Cinquième république qu’égalera à peine François Hollande…) : un premier détesté par le Président, une deuxième sur laquelle on ne dira rien qui n’est restée que 10 mois à Matignon et un dernier qui s’est suicidé le 1er mai 1993 un mois après la cuisante défaite de son camp aux élections législatives. Le second mandat de François Mitterrand aura été marqué par la maladie, l’agonie même, du président en exercice, où les « affaires » auront succédé aux « révélations » politiques et privées. Une fin de règne triste et malheureuse dont la société française porte, pour partie encore, les stigmates… Au moins dans son rapport à la politique !

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Emmanuel Macron : un second mandat mort-né

Alors Emmanuel Macron ? La particularité du second mandat du huitième président de la République française c’est qu’il est soumis aux effets d’une révision constitutionnelle stupide. Elle a été adoptée le 23 juillet 2008 au Congrès par une majorité des trois-cinquièmes des parlementaires ayant voté avec une seule voix de majorité qualifiée. C’était là, la 24ème révision depuis le 4 octobre 1958. Ce deuxième bail élyséen est forcément un second. Autrement dit il ne peut être suivi d’un troisième. L’article 6 révisé de la Constitution stipule désormais : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Même s’il était évident que, compte tenu de leur âge et de leur état de santé, ni de Gaulle en 1972 (s’il était allé au terme de son second mandat), ni Mitterrand en 1995, ni Chirac en 2007, n’allaient postuler pour un troisième bail à l’Elysée, le fait que « ni le jour ni l’heure » (comme disent les Saintes Ecritures) ne soient connus et écrits change tout… Emmanuel Macron, lui justement, connait la fin de son histoire élyséenne. Au moins pour 2027. Même s’il s’efforce (cf sa dernière – très longue – intervention télévisée sur le plateau de France 5, « C à Vous », le 20 décembre 2023) de montrer qu’il n’a aucune intention de s’arrêter de « présider » (et même, de fait, de « gouverner »), cette seule répétition qui tient lieu de mantra, est trop souvent affichée pour ne pas dissimuler une réalité : celle d’une « mort politique » écrite, précise et imposée par la lettre constitutionnelle. On ne fait pas de politique, dans une démocratie, avec un terme formellement inscrit. Il n’y a qu’à voir aux USA comment, quand cela survient, le second mandat du président américain est terne et effacé… Nixon, Reagan, Clinton, Obama : les exemples abondent… Tout comme on ne vit pas sa vie, tout court, en connaissant exactement l’heure, le jour, le mois, l’année, de sa mort. Philosophiquement cette funeste révision constitutionnelle qui a, une fois encore, sacrifié à la mode du « désir de changement », du « renouvelable », du « jetable » aussi, est absurde. Pas étonnant qu’elle impacte et influence une vie politique qui n’avait pas besoin de cela pour, elle-même, virer à l’absurdité. Il suffisait de voir le visage du Président Macron au soir de sa réélection, le dimanche 24 avril vers 21h30, s’adressant aux Français : absence de conviction et lassitude le disputaient à l’inquiétude. On en a eu un rappel récent, à la fin de la séquence « loi sur l’immigration » avec cette phrase répétée à l’envi par ses opposants : « Ce résultat m’oblige » a dit Emmanuel Macron au soir du second tour. En réalité c’est la Constitution qui l’oblige le plus : il devra quitter l’Elysée en mai 2027, à 49 ans et demi. Quoi qu’il aura (ou n’aura pas) fait de son second mandat qui se sera achevé le soir-même de la réélection du Président sortant… On appelle cela un « mort-né ».

Petit élément de comparaison : 49 ans et demi, c’est pratiquement l’âge de Charles de Gaulle quand il prononce l’Appel du 18 juin 1940 qui le fait rentrer, des deux pieds, dans l’Histoire…

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