Mort mais régulé : voilà comment le gouvernement préfère le crowdfunding<!-- --> | Atlantico.fr
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Fleur Pellerin veut tuer le crowdfunding.
Fleur Pellerin veut tuer le crowdfunding.
©Reuters

Le buzz du biz

La rubrique du buzz du biz s’intéresse aux "nouveaux entrants" sur le marché, à leurs dynamiques innovantes et aux obstacles qu’ils rencontrent. Aujourd'hui : focus sur la réforme du financement participatif de Fleur Pellerin.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Pour cette troisième chronique, mon intention première était de parlerd’AirBnB, la start-up emblématique de la "sharing economy" qui permet à des particuliers d’échanger leurs logements, dont les tracas judiciaires illustrent les difficultés à conjuguer réglementation du 20ème siècle et effervescence de l’économie du 21ème (le site est engagé dans une procédure complexe à New York, la ville reprochant aux utilisateurs de ne pas respecter la réglementation  - contraignante - sur les hôtels[1]…).

Mais il semblait plus urgent de revenir sur un autre projet, qui montre combien nos régulateurs dinosauresques sont encore capables d’élever des barrières inutiles et de multiplier les contraintes infondées : cette semaine, Fleur Pellerin, la ministre des PME, de l’innovation et de l’économie numérique semble avoir eu des envies de meurtre. Sa victime désignée : le "crowfunding" (ou "financement participatif").

Le "crowfunding" permet à Monsieur et Madame Toutlemonde de financer directement, sur Internet, les projets qui leur tiennent à cœur. C’est très clairement l’une des grandes tendances de ces derniers mois, sous toutes ses formes, depuis la participation aux politiques localesjusqu’au financement des écoles, en passant par celui des PME ou des innovations les plus poussées, sans oublier évidemment la campagne présidentielle de Barack Obama (l’application Quick Donate lui ayant permis de récolter 115 millions de dollars auprès de 1,5 millions de donateurs).

Le "crowfunding" remplit tous les critères de l’effervescence de l’économie numérique : il permet aux citoyens / consommateurs de choisir librement ce qu’ils veulent faire de leur argent, sans intermédiaire bancaire, leur rendant du pouvoir ; il atomise et démocratise le marché du financement en ouvrant de nouvelles ressources (en août, le projet Ubuntu a levé plus de 10 millions de dollars) ; il permet de nouer des liens financiers "de proximité", ou à tout le moins "incarnés"… Autant de défauts, visiblement, pour les chevaliers inépuisables de la contrainte étatique !

Dans la galaxie parallèle des régulateurs, le monde doit être organisé selon un schéma prédéterminé : tout ce qui n’y entre pas est un affront à l’intelligence planificatrice et doit donc soit entrer dans le cadre réglementaire, soit être interdit.

Le gouvernement français s’est ainsi empressé de produire un texte pour encadrer ces pratiques (avec le soutien de la BPI qui s’est sentie obligée de créer un  agrégateur de sites). Encadrer car, comme le disait Madame Pinel à propos des drives, le gouvernement ne saurait laisser se développer une activité sans la contrôler ! Rien ne peut se faire hors du cadre de l’autorisation consentie par l’Etat... Première grave erreur de compréhension dans une économie où personne ne demande la permission d’innover…

Dans sa grande largesse, le ministère des Finances a prévu des règles instaurant des contraintes absolument ubuesques :le texte prévoit de plafonner les dons à 250 euros par particulier et la collecte à 300 000 euros par projet !

Les fonctionnaires de Bercy pourront se rassurer : ils ne sont pas les seuls à faire preuve d’un aveuglement frileux et d’une frénésie d’interdiction. Ils ont au moins deux alliés.

D’abord,la Commission européenne, qui semble elle aussi atteinte de réglementation compulsive. Elle aussi a évidemment des intentions louables et généreuses : elle veut éviter que le « financement participatif ne soit pas seulement une mode ». Et pour que les choses durent, c’est bien connu, il faut une norme obligatoire, unique et contraignante !

Ensuite, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui compte 9 membres (7 sont nés avant 1943, le plus âgé a 82 ans et la moyenne d’âge y est de 74,1 ans) a décidé que « la pratique dite du "crowdfunding" (…) est interdite ». On est très loin d’Obama …

L’affaire résume bien le drame réglementaire de la France.L’Etat considère que tout ce qui n’est pas contrôlé est illégitime – voire illicite –, que tout ce qui est divers doit être uniformisé et quand il ne comprend pas, il interdit. Ce réflexe archaïque est un handicap majeur à l’heure d’une économie qui innove chaque jour…



[1] La Cour d’appel vient de rendre une décision favorable à AirBnB et son PDG Brian Chesky a proposé de soumettre les utilisateurs à une fiscalité hôtelière rénovée. L’Attorney General de New York lui réclame désormais des données sur les quelques 15 000 utilisateurs de la ville…

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