Mort de Robin Williams : comment en parler sans activer la contagion que la forte médiatisation de certains suicides déclenche<!-- --> | Atlantico.fr
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Retrouvé mort chez lui ce lundi 11 août, l'acteur et humoriste américain Robin Williams se serait pendu
Retrouvé mort chez lui ce lundi 11 août, l'acteur et humoriste américain Robin Williams se serait pendu
©REUTERS/Lucy Nicholson

Effets collatéraux

Le décès ce lundi 11 août de l'acteur américain Robin Williams, dont l'autopsie a confirmé qu'il s'est pendu, pourrait selon certaines études pousser des personnes déjà fragiles à se suicider également. C'est pourquoi les médias doivent se montrer prudents dans la façon dont ils traitent ce type d'information.

Michel Debout

Michel Debout

Michel Debout est professeur émérite de Médecine légale et de droit de la santé, et psychiatre, au CHU de Saint Étienne. 

Il est membre associé du CESE et membre de l'Observatoire national du suicide, spécialiste de la prévention du suicide et des eisques psycho-sociaux au travail. Il est auteur de nombreux ouvrages dont "Le traumatisme du chômage"  (editions de l'Atelier, 2015) et "Le Renouveau démocratique : placer la santé au cœur du projet politique" (éditions de l'Atelier, août 2018).

 

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Atlantico : Retrouvé mort chez lui ce lundi 11 août, l'acteur et humoriste américain Robin Williams se serait pendu. Sa disparition a suscité un vif émoi à Hollywood mais également auprès du grand public, dont il était très apprécié. La médiatisation de son décès peut-elle exercer une influence sur de potentiels candidats au suicide ?

Michel Debout : Vous évoquez "l'effet Werther" décrit en 1982 par le sociologue américain David Philips en référence au roman de Goethe "Les souffrances du jeune Werther".

Pour cet auteur la parution dans les médias d'un cas de suicide peut provoquer la hausse du nombre de suicides observé dans la population concernée par cette disparition, et plus les médias s'en font l'écho, plus le risque sera important.

Emile Durkheim, sociologue français de la fin du 19ème siècle, dont les travaux sur le suicide ont modifié le regard de la société sur ce  "meurtre de soi" considérait que l'annonce d'un suicide pouvait précipiter le passage à l'acte d'une autre personne mais qui se serait de toute façon suicidée.

Je pense pour ma part qu'il faut être attentif au phénomène d'identification selon lequel : "si je vis ce qu'il a vécu, alors il me reste à me suicider comme lui". Ainsi ce sont chez des personnes déjà fragiles que cette annonce peut ouvrir la voie au passage à l'acte, et il faut être particulièrement attentif à la population des adolescents et des jeunes chez lesquels on trouve un besoin prononcé d'identification pour mieux construire sa propre identité .

Considérez-vous que les médias traitent le sujet du suicide de Robin Williams de manière appropriée ? Pourquoi ?

Il est important que les médias aient expliqué que Robin Williams était mort de suicide, car cette cause de mort ne doit jamais être cachée, encore moins camouflée sous une autre cause plus "présentable" comme on a pu le faire pendant des siècles.

Le suicide n'est pas un acte immoral, mais il est un acte humain et donc forcément complexe ; il est essentiel de respecter certaines règles lorsque l'on évoque le suicide d'une personnalité particulièrement connue et appréciée.

Pour ce qui est de  cet acteur américain, la presse a rappelé son âge, soixante trois ans, ce qui permet de confirmer que la mort par suicide concerne les adultes encore plus que les jeunes, contrairement à une idée reçue souvent énoncée.

Il a été aussi évoqué sa personnalité à la fois comique et dépressive, ce qui est une façon de rappeler que la dépression est une maladie qui peut atteindre des personnes qui en paraissent très éloignées, dans leur comportement et dans leurs atttitudes.

Enfin certains médias ont insisté sur son intempérance à l'alcool et à d'autres drogues, ce qui est l'occasion de rappeler que les addictions peuvent aller de paire avec un passage à l'acte suicidaire.

Le traitement médiatique autour de ce type d'information peut-il être involontairement assimilé à une forme d'apologie du comportement suicidaire ? Comment faire pour ne pas tomber dans cette dérive ?

Dans certaines publications (presse écrite, radio, télévision, voire réseaux sociaux), le suicide peut être dépeint comme un geste courageux, voire héroïque, en quelque sorte un exemple à suivre.

Pour ne pas tomber dans cette dérive il ne faut jamais isoler l'acte des circonstances, le vécu de la personne qui l'a réalisé ; il faut insister sur le fait que d'autres choix lui étaient possibles, choix dans la vie et non choix de la mort, qui ne doit en aucun cas être banalisé.

C'est pour échapper à la souffrance, psychologique, relationnelle, physique, que le suicide peut à un moment donné s'imposer comme la solution, ce qui rend nécessaire que l'entourage puisse aider à sortir de cette impasse. Le repli sur soi est souvent annonciateur d'un passage à l'acte.

Les médias doivent saisir l'occasion du suicide d'une personnalité pour parler de la prévention du suicide, de l'attention que nous devons porter à la détresse des autres sans pour autant se transformer en soignant ou psychologue mais simplement pour témoigner que la vie est la première richesse des hommes. Ce peut être aussi l'occasion de publier des adresses de services hospitaliers ou d'associations qui s'impliquent dans la prévention du suicide.

La mythologie qui se crée autour de l'acte suicidaire d'une personnalité peut-elle également jouer un rôle négatif ? Des particuliers peuvent-ils être fascinés par "l'éternelle jeunesse" trouvée dans la mort volontaire ?

Le suicide qui interromp brutalement la vie d'une personne très médiatisée, au sommet de sa gloire, et en pleine jeunesse (comme ce fut le cas de Mike Brandt) peut provoquer une véritable fascination parce que le héros ne vieillira jamais, il reste pour toujours dans la représentation d'un personnage à qui tout a réussi et que les vicissitudes de la vie n'ont pas pu atteindre mais on oublie que c'est au prix de sa mort prématurée qu'il restera inscrit dans la mémoire collective.

Il faut donc être particulièrement attentif aux effets que l'évocation du suicide d'une jeune célébrité peut provoquer sur un public encore à la recherche du sens et des valeurs de l'existence .

Propos recueillis par Gilles Boutin

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