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Monsanto, ennemi numéro 1 : ce qui est mérité et ce qui ne l’est pas dans le rejet du géant des biotechnologies agricoles
©Michael B. Thomas / AFP

OGM et glyphosate

Ce samedi, des manifestations se tiennent partout dans le monde pour protester contre Monsanto.

Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne est l'un des experts de l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, professeur de Toxicologie, expert pour l’affaire du Chlordécone.

Il est par ailleurs professeur à l'Université de Bordeaux 1 et docteur en nutrition.

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Atlantico : Monsanto est devenue depuis quelques temps l'ennemi numéro 1. Qu’est-ce qui selon vous justifie cette défiance très forte vis-à-vis du géant des biotechnologies agricoles aujourd’hui ?

Jean-François Narbonne : Historiquement les firmes chimiques produisant des médicaments ou des produits phytosanitaires ont eu à gérer le problème du bénéfice risque puisque ces substances ont d’une part un effet bénéfique attendu thérapeutique ou de protection contre les ravageurs (insectes, moisissures, mauvaises herbes)mais d’autre part présentent des « effets secondaires » sur la santé de l’homme ou de l’environnement par exemple effet hépatotoxique pour le paracétamol ou effets reprotoxiques pour le DDT). Ainsi les firmes ayant investi massivement dans la recherche des substances actives et dans les dossiers d’homologation pour la mise sur le marché ont une forte tendance à) mettre en avant les bénéfices et à minimiser sinon cacher les risques. L’exclusivité des brevets étant d’une durée de 20 ans, il est donc impératif d’amortir les fortes sommes sur une période qui est donc courte et pousse a maximaliser les retours sur investissement, même par des moyens peu orthodoxes. De même une interdiction après une période provisoire réglementaire initiale de 5 ans peut être considéré comme une catastrophe financière. D’où la forte tendance a la mise en place de méthodes de lobbying pouvant aller jusqu’à la désinformation. Ces pratiques courantes dans ce secteur industriel ont été particulièrement utilisées par les groupes agrochimiques ou les effets secondaires sur l’environnement sont plus difficile à mettre en évidence que dans le milieu médical ou les effets secondaires sont plus facilement observables (le blocage de l’information se faisant alors sur la « remontée de l’information vers les instances de pharmacovigilance).  Il faut reconnaitre que dans ce contexte général Monsanto a été particulièrement performant par exemple sur les PCBs, l’hormone de croissance, les défoliants et évidemment sur les OGMs. En fait les OGMs sont justement nés de la nécessité pour Monsanto de la fin de l’exclusivité du brevet du glyphosate et n’ayant pas de nouvelle molécule pour le remplacer l’idée était de lier les agriculteurs par l’achat de semences spécifiques résistant au Roundup. Par ce moyen on liait donc l’herbicide à la semence. De plus homologuer une nouvelle semence coutait beaucoup moins cher qu’homologuer une nouvelle substance active. J’ai d’ailleurs participé à la rédaction de la première Directive Européenne sur l’homologation des plantes OGM en 1997 ou de nombreux tests fonctionnels et toxicologiques ont été imposés multipliant de plus de 10 fois le coût de cette homologation par rapport aux tests simplifiés demandés aux USA. De plus les instances Françaises ont interdit la culture des OGM pour éviter justement les effets secondaires attendus par l’utilisation massive de Roundup tels que l’on peut les constater aujourd’hui en Amérique du sud en particulier.

Qu’est-ce qui fait à rebours que cette haine peut-être irrationnelle ? Sur quels points peut-on parler de diabolisation excessive de Monsanto ? 

En dehors des comportements que je viens de décrire et qui étaient courants pour l’ensemble des firmes (par exemple Rhône Poulenc en France qui a été racheté par Bayer) la haine contre Monsanto à plusieurs origines. Sur le plan technique son lobbying a été particulièrement efficace du fait de sa puissance financière et du fait qu’aux USA les chercheurs ne sont pas liés à des organismes publics et ont des passages successifs du public au privé (phénomène des portes tournantes). La partie irrationnelle vient d’abord d’un anti-américanisme traditionnel en particulier en France à partir des années 60 (US go home). De plus pour les anti-capitalistes cette firme incarne les comportements de prédation du capitalisme. Pour la gauche et l’extrême gauche en France très présente dans les médias et les ONG, le slogan « le capitalisme exploite les travailleurs » a été remplacé par « le capitalisme nous pollue ». Monsanto représente donc le point de convergence de comportements « discutables » et de « phobies » culturelles et politiques.

Vous même avez été très investi sur le cas du Round Up. Comment percevez-vous la tournure médiatique, sociale voire politique que prend aujourd'hui tout affaire ayant un rapport avec cette entreprise ?

L’affaire du Roundup est en fait partie du classement par l’IARC du glyphosate cancérigène 2A (cancérigène probable chez l’homme). Pour moi qui a été expert de l’IARC pour le classement des PCB en classe 1, il y a des questions sur la rédaction du rapport, en particulier des ses conclusions. Une partie essentielle du travail de l’IARC est l’étude des relations entre apparition de cancers chez des populations surexposées en général en conditions professionnelles. Dans le cas du glyphosate et des pesticides en général, les agriculteurs sont exposés au produit technique dit formulé contenant des solvants et des adjuvants. Ainsi les études épidémiologiques étudiant le lien entre l’exposition de cohortes d’agriculteurs et cancer ne portent que sur le Roundup et non sur glyphosate qui n’est jamais utilisé seul. Ainsi aux USA, dans le procès gagné par Mr D. Johnson contre Monsanto, le Roundup est incriminé et non le glyphosate alors que les médias ne communiquent que sur cette substance. De plus les nouvelles études confirment le pouvoir cancérigène du Roundup. Il faut reconnaitre que l’avis de l’IARC porte sur le glyphosate et les produits à base de glyphosate. La différnece de toxicité entre substance active et produit formulé peut être très importante. Par exemple dans le cas du Mr Paul François, agriculteur intoxiqué par le Lasso pesticide de Monsanto j’ai démontré avec mon collègue André Picot que les effets toxiques qui ont fortement impacté la santé de Paul François était principalement liés au solvant, interdit depuis. Cette différence est particulièrement vraie pour le glyphosate qui a une faible pénétration dans les cellules végétales et qui ne peut atteindre ses cibles cellulaire qu’avec l’aide d’un solvant et de détergents dégradant fortement la paroi cellulaire. D’ailleurs suite àla saisine de l’ANSES par le gouvernement en 2016, l’agence a confirmé que la toxicité du Roundup était liée à la forte toxicité du détergent à base de POEA (Tallowamine). Ces faits connus depuis longtemps de la communauté scientifique ont été récemment confirmés par l’étude de G.E. Séralini montrant que la cytotoxicité comme le pouvoir perturbateur endocrinien du Round up était lié au POEA et non au glyphosate. En fait le Roundup est globalement 20 fois moins toxique que le glyphosate. Ainsi en juin 2016, et conformément à sa mission de prévention, l’ANSES a annulé l’autorisation de tous les produits herbicides contenant des POEA, soit 132 produits herbicides. Par exemple, la nouvelle formule du Roundup 360 ne contient plus de POEA.

La confusion entre Roundup et glyphosate est en grande partie à l’origine des différences de conclusion entre celle de l’IARC et celle de l’EFSA ou d’autres agences qui elles ne se sont prononcées que sur le glyphosate et non le Roundup. Ceci ne veut pas dire que le glyphosate n’ait pas d’effets toxiques en particulier dans l’environnement via son métabolite l’AMPA. Il serait donc important que les médias fasse la différence entre le Roundup (ancienne formule) et le glyphosate, cette confusion entrant dans la stratégie de communication du lobbie « écologiste » qui existe aussi, la désinformation n’étant malheureusement pas l’exclusivité de Monsanto.

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