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Mondialisation, libre-échange et made in France : l’étrange confusion opérée par François-Xavier Bellamy
©AFP

Là où il a raison, là où c’est moins le cas...

François Xavier Bellamy a déclaré il y a quelques jours : « L’agneau néo-zélandais parcourt 18 000 km avant d’arriver dans notre assiette. Et après, on dit au salarié français qui fait 10 km avec sa voiture pour aller travailler que c’est lui qui pollue ? ».

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico: Cette déclaration ne méconnaît-elle pas le fonctionnement du commerce international, notamment agricole, et ne tourne-t-elle pas le dos au libéralisme traditionnel de la Droite ? Le libre-échange n’a-t-il pas fait les preuves de son efficacité économique ?

Michel Ruimy : Il faut savoir tout d’abord que le prix de l’agneau néo-zélandais, convoyé essentiellement en France et en Europe par voie aérienne, est largement inférieur à celui de l’agneau local (toute provenance européenne) en raison d’un faible coût de transport. La « conteneurisation » est la charpente de la mondialisation. Il faut, en effet, environ 6 litres de kérosène pour acheminer 1 kilo de marchandises en provenance de Nouvelle-Zélande soit environ 10 euros !

Mais, cet acheminement a un coût environnemental. Le transport aérien est le mode de transport qui produit le plus d’émissions de CO2 au passager / kilomètre. Or, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de technologie mature qui permettrait de changer drastiquement le bilan énergétique et environnemental du transport aérien. S’il reste encore quelques marges de progression grâce au renouvellement des flottes, fournissant aux compagnies des avions neufs plus économes en carburant, on attend toujours la révolution qui verrait le transport aérien devenir vertueux en matière d’énergie.

Ceci étant dit, en prenant l’exemple de l’agneau néo-zélandais pour attirer l’attention sur le niveau de pollution provoquée par de telles importations, M. Bellamy montre surtout sa méconnaissance du marché français de la viande ovine. En effet, le marché de l’agneau néo-zélandais est spécifique (viande réfrigérée) qui ne représente qu’un infime pourcentage de la consommation de viande d’agneau en France et ce, d’autant que notre pays n’est autosuffisant en viande ovine qu’à hauteur de 50%, les 50% restants étant importés, essentiellement du Royaume-Uni (75% des importations). Donc, cette viande répond à un besoin.

D’autre part, en ostracisant l’agneau néo-zélandais, M. Bellamy fait fi du fonctionnement du commerce international. Il oublie que l’augmentation du trafic international de marchandises a été rendue possible par la baisse des coûts des transports et a permis, in fine, à certains pays, d’améliorer leur niveau de vie. En ce sens, la mondialisation s’est montrée efficace.

Si l’intensification du commerce mondial a induit le développement des transports et donc, une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, principaux responsables du réchauffement climatique, il est toutefois actuellement impossible d’affirmer qu’une production agricole consommée localement a une empreinte carbone moindre que le même produit importé. Tout dépend, en effet, des pratiques agricoles, de la saison, du mode de transport… Certes, les produits hors-saison ou voyageant par avion sont moins efficients que ceux qui ne sont pas stockés, voyagent par bateau ou… ne voyagent pas, mais une production à grande échelle, même éloignée, peut avoir une empreinte carbone par unité produite plus faible qu’une petite production du voisinage (effet d’écologie d’échelle). Cette mondialisation peut alors s’avérer intelligente.

A travers cette déclaration, François-Xavier Bellamy semble prôner les circuits courts et l’agriculture de proximité.Mais peut-on vraiment imaginer une économie mondiale où l’agriculture serait relocalisée ? Ou n’est-ce qu’une utopie qui se rapproche de celle de la « décroissance » ?

L’agriculture de proximité et les « circuits courts », comme par exemple l’installation de maraîchers près des grandes villes, suscitent aujourd’hui un engouement certain notamment auprès de nombreux citadins. Pour autant, offrent-ils de véritables promesses d’autosuffisance alimentaire pour les villes ? et d’autre part, à combien s’élèverait le coût environnemental et économique de ces « circuits courts » ? Il ne faudrait pas imaginer qu’ils pourront se substituer aux modes de production et de distribution qui nous permettent aujourd’hui de nourrir une population de plus en plus nombreuse et de le faire avec des risques sanitaires qui sont bien moins élevés qu’autrefois.

Cette déclaration se rapprocherait encore moins de la thèse de la décroissance. En effet, après avoir tiré profit de l’énergie solaire puis, après avoir été mécanisée et enrichie par des engrais chimiques industriels, l’agriculture est devenue un processus entropique (l’énergie ne provient plus du soleil mais de la matière terrestre). Les tenants de cette thèse considèrent qu’il convient de diminuer graduellement la population mondiale jusqu’au niveau où elle peut être nourrie par une agriculture organique c’est-à-dire sans mécanisation. Dans Changer ou disparaître (1972), Edouard Goldsmith est très explicite puisqu’il énonce que le « maximum admissible de population », pour un pays donné, est celui qu’il est capable de nourrir (concept de « charge utile » de la Terre qui deviendra ultérieurement celui d’« empreinte écologique » développé par le World Wildlife Fund (WWF) et vulgarisé par Nicolas Hulot). Bien qu’ils s’en défendent aujourd’hui, les adeptes de la décroissance promeuvent bel et bien un monde malthusien. Et le discours selon lequel l’agriculture biologique représente une alternative à l’agriculture conventionnelle - pour ce qui est de sa capacité à nourrir la planète - n’est, en réalité, qu’un artifice politiquement plus correct.

En fait, si l’idée peut sembler séduisante au plan théorique, il est difficile d’imaginer, à brève échéance, une relocalisation totale de l’agriculture en raison de difficultés techniques, de conditions climatiques et d’accords commerciaux.

M. Bellamy soulève toutefois une autre question, celle de l’inégalité des échanges. La France a-t-elle fait erreur en ouvrant ses frontières à des pays qui peuvent concurrencer sa production, notamment agricole, avec des produits à très bas coût ou encore plus subventionnés ?

On entend souvent que le prix (très) bon marché des denrées périssables importées est, en grande partie, dû aux salaires de misère pratiqués dans les pays d’origine. Cela est certainement vrai pour certaines zones géographiques comme le Pérou, l’Egypte, l’Indonésie, le Kenya, le Sénégal ou l’Ethiopie à partir desquelles nous importons des produits le plus souvent par avion, et où la pauvreté est généralisée puisque ces pays ont, au minimum, un tiers de leur population vivant avec moins de deux dollars par jour. Ces importations constituent bien un réel levier de développement pour ces pays. Mais, alors, qu’en est-il alors de l’agneau néo-zélandais ? En effet, la Nouvelle-Zélande, classée dans le top 20 mondial des pays présentant le meilleur « Indice de Développement Humain », est loin de faire partie des pays en développement.

En fait, l’agriculture française souffre de plusieurs maux. Tout d’abord, la Politique Agricole Commune, qui pèse pour près de 50 milliards d’euros, est devenue obsolète car moins protectrice que par le passé. Si elle bénéficie à la France qui touche plus de 7 milliards d’euros de subventions, elle laisse, depuis 2014, une plus grande latitude laissée au gouvernement français sur la manière de redistribuer ces sommes. Les critères environnementaux ont ainsi pris le dessus sur les primes à l’hectare et à la production. Ces aides n’ont pas compensé la chute des revenus. Ensuite, il y a un trop grand nombre de normes, de règlements… qui brident l’initiative et limitent la compétitivité. Par ailleurs, il lui est difficile de négocier ses prix dans un pays où la grande distribution est aussi puissante et concentrée. Il conviendrait de renforcer le poids des agriculteurs face aux industriels et distributeurs.

Enfin, les produits « bio » sont en train de passer du marché de niche des épiceries spécialisées à un véritable phénomène de masse qui remplit les linéaires dans les grandes surfaces. C’est une chance historique car les sociologues décrivent bien les changements d’habitudes alimentaires des Français : moins de viande, plus de fraîcheur, plus de sécurité, et le « bio ». Or, l’agriculture française n’est pas prête même si les surfaces consacrées au « bio » sont en constante progression. Elle est historiquement orientée vers un modèle intensif et n’arrive pas à satisfaire la demande. La filière porcine, à cet égard, perd régulièrement des parts de marché, faute de pouvoir fournir les produits bio que lui réclament les consommateurs, les cantines ou les hôpitaux.

En fait, la mondialisation économique, lorsqu’elle est bien pratiquée, doit permettre à chaque pays d’y trouver son compte, notamment sur la base de la théorie des avantages comparatifs. Cette théorie de David Ricardo veut que deux pays peuvent commercer, même si ces derniers n'ont pas d'avantage absolu différent. En d’autres termes, deux pays ont toujours un moyen de commercer grâce à l’avantage comparatif. Ce serait une erreur de considérer que nos problèmes économiques seraient entièrement liés à l’ouverture des frontières.

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