Mondialisation, numérique ou marchés financiers ? Vous n'y êtes pas, la première cause de l'augmentation des inégalités est...<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Mondialisation, numérique ou marchés financiers ? Vous n'y êtes pas, la première cause de l'augmentation des inégalités est...
©Reuters

Décomposition

Devant les inégalités de revenus, le facteur principal d'aggravation des inégalités est plus inattendu. Et pour cause : la réponse se trouverait du côté de l'évolution des mœurs.

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak est économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), spécialiste de questions de politique budgétaire, sociales et des systèmes de retraite.

Voir la bio »
Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

Voir la bio »

Atlantico : Selon une étude publiée le 30 août dernier et concernant 27 pays de l'OCDE (voir ici), il apparaît que, avant même les inégalités de revenus, la cause principale de l'augmentation des inégalités (entre l'évolution du PIB d'un pays, et le niveau de revenu médian des ménages) est à chercher dans l'évolution de la taille des ménages. Quelles sont les causes de cette "atomisation" des familles qui vient fragiliser les niveaux de revenus ? Faut-il en conclure que le nombre d'enfants pauvres est corrélé à cette réalité ?

Laurent Chalard : En France, la taille des ménages diminue de manière continue depuis les années 1960. Selon les données officielles de l’Insee, elle est passée de 3,08 personnes par ménage au recensement de 1968 à 2,26 personnes par ménage au recensement de 2012. Cette évolution s’explique par la forte diminution du pourcentage de ménages comptant au moins 3 personnes ou plus, alors que la part des ménages se composant d’une ou de deux personnes progresse sensiblement. Elle s’explique principalement par trois facteurs.

- Le 1er facteur, le plus important, est le vieillissement sensible de la population, du fait de la hausse de l’espérance de vie et de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby boom, ce qui a pour conséquence d’une part des personnes qui vivent plus longtemps sans enfants, d’autre part, des veufs ou veuves, conduisant à une augmentation mécanique du pourcentage des ménages de une ou deux personnes dans la population totale. 

- Le 2e facteur est la hausse des séparations des couples, qu’ils soient mariés ou non, du fait de la moindre stabilité des relations conjugales. En conséquence, le nombre et le pourcentage de familles monoparentales continuent de progresser, touchant désormais largement toutes les catégories sociales.

- Le 3e facteur est le fait que de plus en plus de personnes vivent seules, consécutive de la montée de l’individualisme. Les gens se mettent en couple dans un logement de plus en plus tardivement, en particulier dans les grandes métropoles, qui abritent les populations les plus diplômées, qui ont tendance à quitter le domicile parental pour vivre dans un premier temps seul et non directement en couple comme par le passé. Par ailleurs, la part de personnes préférant vivre seule une large partie, voire tout au long, de leur vie, augmente aussi. Par exemple, à Paris, la taille des ménages est de 1,88 personne en 2009.

- Un 4° facteur, qui a joué un rôle important dans la réduction de la taille des ménages dans les années 1970 est la baisse de la fécondité, mais il ne joue plus aujourd’hui, le niveau de  fécondité s’étant stabilisé depuis les années 1990 (il a même légèrement remonté depuis).

Effectivement, la forte augmentation du nombre de familles monoparentales signifie que dans un nombre de plus en plus important de familles, il n’y a plus qu’un seul parent pour assurer les revenus d’un ménage, ce qui sous-entend mécaniquement un niveau de vie moindre que lorsqu’il y en avait deux. La pauvreté infantile est donc fortement corrélée à cette évolution de la structure familiale. Dans la France de 2016, la famille pauvre type est beaucoup plus souvent une famille monoparentale qu’une famille nombreuse, contrairement à ce qui était le cas par le passé. 

Henri Sterdyniak : L’article que vous mentionnez est centré sur la divergence entre PIB par tête et revenu médian par unité de consommation, ce qui est un point statistique délicat.

Concentrons-nous sur le lien entre la pauvreté et la taille des ménages. Beaucoup d’effets jouent. Tout d'abord, la baisse du nombre de familles nombreuses tend à réduire la pauvreté parmi les enfants. Mais, en sens inverse, les familles nombreuses se concentrent essentiellement dans les milieux populaires et sont souvent pauvres.

Par contre, il existe de plus en plus de personnes qui vivent seules, en particulier parmi les jeunes, qui quittent relativement tôt leurs familles, ce qui tend à augmenter la pauvreté, du moins en apparence.

Par ailleurs, le développement des couples bi-actifs sans enfant ou des personnes seules sans enfant comme choix de vie par des personnes à relativement hauts revenus, tend à augmenter les inégalités.

Le point marquant, en France du moins, est la hausse de nombre de familles monoparentales : soit, dès le départ les femmes ont un enfant sans jamais vivre avec le père, soit, cas beaucoup plus fréquents, ces familles sont la conséquence d'une rupture.

Enfin, la hausse de la durée de vie augmente les ménages de retraités (qui sont de petite taille). Le risque de pauvreté frappe surtout les veuves très âgées.

Les ruptures familiales sont des causes importantes de pauvreté (voir un rapport récent du HCF). La mère a souvent la garde des enfants, mais les pensions alimentaires sont faibles. Le père doit payer une pension, mais surtout trouver un autre logement assez grand pour recevoir les enfants. Une telle situation peut s'avérer catastrophique si le couple n'a pas fini de payer son premier logement ou si l'un des deux parents se retrouve au chômage.

De façon pratique, quelles sont les conséquences subies par ces familles "mono"- revenus ? En quoi l'augmentation du nombre de ces "petits" ménages a-t-elle des conséquences sur la société ?

Laurent Chalard : Les familles monoparentales ont avant tout plus de difficultés pour se loger, puisqu’elles sont obligées de quitter leur logement d’origine qu’elles ne peuvent plus payer, quel que soit leur statut d’occupation (propriétaire en accession ou locataire). Cependant, la diminution de revenus concerne l’ensemble de la vie quotidienne. Ces familles sont obligées de faire des économies sur l’ensemble des dépenses du budget du ménage. Elles partent moins souvent en vacances, se soignent et s’alimentent moins bien. Le budget consacré aux loisirs se réduit à la portion congrue. Le niveau de vie des enfants diminue consécutivement drastiquement. 

L’augmentation du nombre et du pourcentage de ces petits ménages a plusieurs conséquences pour la société :

- Un 1er défi concerne le nombre de logements. La réduction de la taille des ménages signifie qu’à même niveau de population, l’on a besoin de plus de logements pour pouvoir tous les loger. Or, dans certains territoires sous tension (les grandes métropoles principalement), on ne construit pas assez alors qu’il y a une forte décohabitation. 

- Un 2e défi porte sur le type de logement. Les nouvelles constructions ne comprennent bien souvent pas suffisamment de petits logements d’une ou de 2 pièces. On en manque car les maires souhaitant attirer les familles avec enfants pour remplir les écoles, ils préfèrent construire des logements de grande taille (de 3 à 5 pièces). En conséquence, du fait d’une insuffisance de l’offre, les prix des petits logements sont beaucoup trop élevés par rapport aux moyens financiers des petits ménages. Il y a donc une inadaptation de l’offre à la typologie démographique des ménages. 

- Un 3e défi relève des revenus. Dans les familles monoparentales, on passe d’un modèle d’une famille à 2 salaires à un modèle d’une famille à 1 salaire avec le même nombre d’enfants à charge pour le parent qui s’en occupe. Il s’en suit mécaniquement une paupérisation de ces ménages, d’autant que l’immense majorité de ces ménages demeurent à dominante féminine (la part des familles monoparentales masculines progresse cependant), alors que les femmes ont des revenus moindres que les hommes. Il n’est donc pas surprenant de constater qu’au fur-et-à-mesure du temps, la surreprésentation des familles monoparentales dans la typologie des ménages pauvres s’accentue.

Henri Sterdyniak : Les solidarités familiales ne jouent pas pour les familles mono-revenus qui sont plus fragiles. Le mariage est plus solide que le Pacs qui lui-même est plus solide que le simple concubinage. Mais il est difficile d’imposer le mariage, comme d’empêcher les couples de se séparer. C’est une évolution des mentalités. On ne reste plus avec son conjoint "pour les enfants". Cela est heureusement permis par l’augmentation du travail féminin, et donc de l’autonomie des femmes. Mais les familles à un revenu sont obligatoirement plus pauvres.

La hausse de ces "petits ménages" a des conséquences importantes en termes de besoin de logement. Il en va de même pour la décohabitation précoce. Il faut à la fois construire des logements pour les jeunes isolés, des logements pour les jeunes en co-location, et construire des logements pour les familles décomposées, sachant que les propriétaires privés ont des réticences à louer à des familles fragiles et relativement pauvres.

Cela a aussi des conséquences en termes de revenus avec une paupérisation des familles monoparentales. C'est pourquoi, quand le père peut payer, il faudrait augmenter le montant des pensions alimentaires. Mais, souvent le père en difficulté ne peut pas payer. Aussi, faudrait-il revaloriser l’ASF (Allocation de soutien familial).

Quels sont les territoires français les plus touchés par ce phénomène ? 

Laurent Chalard : Presque tous les territoires français sont concernés par le phénomène, la taille des ménages se réduisant à peu près partout, sauf dans les communes à forte immigration extra-européenne, où les nouveaux arrivants ont des tailles de famille plus élevées, mais les familles monoparentales y sont aussi importantes qu’ailleurs (voire plus), donc elles sont finalement semblablement concernées.

Cependant, le phénomène est particulièrement sensible dans les grandes agglomérations, où le coût du logement est le plus élevé, à commencer par l’Ile de France. En effet, lorsqu’il n’y a plus qu’un revenu dans le ménage, le poste "logement" grève fortement le budget. En conséquence, il est beaucoup plus compliqué d’y retrouver un logement décent que dans des territoires plus périphériques, entendus comme ruraux, où le coût du logement est sensiblement moindre. La pauvreté urbaine est donc de plus en plus une pauvreté de familles monoparentales.

Les pouvoirs publics ont-ils pris la mesure du phénomène ? En quoi les politiques de fiscalité, de logement, d'éducation, et autres sont-elles adaptées à cette nouvelle réalité ?

Henri Sterdyniak : Face à ce phénomène, les pouvoirs publics ont du mal à réagir. On peut difficilement aller contre l’évolution des mœurs, même si elle est socialement coûteuse. Les pouvoirs publics doivent adopter deux stratégies contradictoires pour s'adapter à ce phénomène de réduction de la taille des ménages : d'une part, favoriser les couples solides (mariage, pacs) par des avantages fiscaux (le quotient familial, les droits de successions) ou sociaux (les pensions de réversion) puisque la solidarité familiale permet des économies sur la solidarité nationale ; d'autre part, aider les couples fragiles (hausse des prestations aux familles monoparentales, logements adaptés, aide spécifique à la garde des enfants).

Propos recueillis par Emilia Capitaine

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !