Mondes de demain : comment l’IA va révolutionner le monde du travail<!-- --> | Atlantico.fr
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Un robot en cours d'assemblage chez Hanson Robotics, une entreprise de robotique et d'intelligence artificielle qui crée des robots ressemblant à des humains, à Hong Kong.
Un robot en cours d'assemblage chez Hanson Robotics, une entreprise de robotique et d'intelligence artificielle qui crée des robots ressemblant à des humains, à Hong Kong.
©Peter PARKS / AFP

Bonnes feuilles

Julien Civange publie « Mondes de demain aux éditions » aux éditions Plon. Comment les nouvelles technologies imprègnent-elles notre quotidien et tous les aspects de notre activité ? L'humain restera-t-il maître des machines ? Entre Intelligences Artificielles, réalités virtuelles, internet des objets, robots sapiens, SexBot ou humains augmentés, à quoi ressemblera notre réalité dans 10 ou 30 ans ? Extrait 1/2.

Julien Civange

Julien Civange

Julien Civange est auteur, compositeur et producteur français. Passionné par les nouvelles technologies, il en explore toutes les mutations en rencontrant les plus grands experts dans ce domaine.

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DES MACHINES À CASH

TAXER LES ROBOTS, LA SOLUTION DANS UN MONDE SANS TRAVAIL

En pleine révolution industrielle, cette stratégie du plein emploi avait un sens, la machine ayant encore besoin de bras humains pour tourner. Mais à l’heure de la robotisation ?

Déjà, lors de la campagne présidentielle de 2017, le candidat socialiste Benoît Hamon avait préconisé de taxer les robots. Ce qui apparaissait alors comme une facétie semble désormais être l’un des scénarios les plus réalistes face à l’ère de l’intelligence artificielle. Supposons que la machine soit deux fois plus performante qu’un être humain pour exécuter une tâche mécanique. Pour un même coût, le salaire de l’ouvrier devra donc être divisé par deux pour rester compétitif. La compensation par un revenu permettrait de pallier cette carence, mais verser 650 euros par mois à chaque Français coûterait 500 milliards par an à la collectivité, soit 20 % du PIB. Selon les projections de France Stratégie, en 2030, les robots ne créeront pas une paupérisation pour l’ensemble des travailleurs : à côté d’emplois précaires très mal rémunérés, les métiers intellectuels seront très bien pourvus.  

Trois questions à Alain Bensoussan

AVOCAT, PIONNIER DU DROIT DE L’INFORMATIQUE

Né en 1951, l’avocat Alain Bensoussan s’est imposé depuis 1978 comme l’un des pionniers du droit de l’informatique. À la tête du cabinet Lexing, il dessine les contours juridiques des nouvelles tech[1]nologies et des mondes à venir.  

M2D : Le monde virtuel va-t-il également influencer le monde de l’éducation ? 

ALAIN BENSOUSSAN : D’après ce que j’observe, on tend vers une disparition de l’école et des professeurs dans leur acception traditionnelle. Aujourd’hui, un enfant de 3 ans, même avant de savoir lire et écrire, sait naviguer sur YouTube. Ces digital natives ne liront pas de gauche à droite puisqu’ils auront été habitués à regarder au centre de l’écran, à mémoriser en 3D ce qu’ils perçoivent en 2D. Utiliser les systèmes sans les comprendre encore, c’est une révolution. À l’avenir, les enseignements se dispenseront par ipséité. C’est le modèle de l’école  42 créée par Xavier Niel. Dans ces programmes se présen[1]tant sous forme de tutos, chacun défi[1]nira son besoin de formation par rapport à sa cible. Quel besoin en effet d’être dans une salle unique pour apprendre ? On l’a vu avec le télétravail. Plutôt que des classes, on privilégiera la notion de master class. Dès lors, on ne se trouve plus dans une configuration verticale partant du haut mais dans un rapport émanant de l’élève vers son objectif pédagogique. Ces nouvelles formes d’apprentissage seront complétées par des rencontres avec des mentors, des sponsors, en chair et en os. 

M2D : Mais y aura-t-il encore des  cartables ?

A. B. : Non ! À quoi bon ? Un cartable se justifie lorsque vous pensez de gauche à droite. Moi, j’ai un super cahier, mais à la différence du vôtre, il abrite des millions d’informations. Et si je le perds, le cloud me le restitue immédiatement ! Comprenez-moi bien : je ne dis pas que c’est mieux, je dis que c’est HYPER mieux. Pourquoi ? Parce que le futur nous délivre du monde du « où » pour nous offrir le monde du « et » : le monde physique ET le monde virtuel, le meilleur des deux en simultané. 

M2D : Les gens auront-ils encore un travail, à défaut d’avoir un professeur ?

A. B. : Voici ce qui va se passer : plutôt qu’un capitalisme d’innovation et de rupture, comme lorsque les usines de métiers à tisser ont fermé à la suite de la révolution industrielle du xixe siècle, la société numérique devra s’acheminer vers un capitalisme solidaire. Pour ce faire, il lui faudra néanmoins taxer les robots afin qu’une partie de la valeur créée par l’intelligence artificielle soit redistribuée, autant aux salariés qu’aux actionnaires. Il faudra également imaginer des reconversions afin de ne pas sacrifier les anciens travailleurs. Cette révolution de l’automatisation, par essence destructrice d’emplois, devra être compensée par une meilleure inclusion sociale. Car, inévitablement, comme le rappelait le regretté Bernard Stiegler, nous allons vers une réduction drastique du temps de travail. Tous les emplois du monde physique sont voués à disparaître, à l’image des forgerons de l’ancien temps. Voyez le bâtiment : avec la construction en 3D, la masse des ouvriers va mathématiquement décroître dans la décennie à venir.   

Trois questions à Cécile Dejoux

DIRECTRICE DE L’OBSERVATOIRE SUR LE FUTUR DU TRAVAIL ET LES TRANSFORMATIONS MANAGÉRIALES

M2D : L’intelligence artificielle va-t-elle transformer le monde du travail ?  

CÉCILE DEJOUX : L’intelligence artificielle transforme déjà les métiers d’aujourd’hui. Actuellement, tout collaborateur doit être « IA compatible », comprendre l’alphabet de l’intelligence artificielle et les usages qui vont transformer son métier. L’IA peut remplacer l’humain sur certaines tâches, elle peut l’assister et aussi l’augmenter, par exemple en informant un manager d’un risque de démission. Attention, ce que dit l’IA n’est pas la vérité mais une probabilité. Être « IA compatible », c’est comprendre le vocabulaire de l’IA, l’univers, les usages, mais aussi les biais et savoir ne pas « l’écouter » quand elle ne prend pas la direction souhaitée.

M2D : À quoi ressemblera le monde du travail en 2100 ? 

C.  D.  : J’imagine que le travail de demain sera très polarisé, très segmenté et que nous allons devoir apprendre à travailler en microprojets. L’IA pousse à la synthèse, à la microtâche, à l’expertise, au travail multimodal. Le plus dur sera de savoir à quoi se former pour rester employable. Ainsi vous pourriez, par exemple, vous former à l’art de contrôler la pertinence et les éthiques des IA. Aucun métier n’est voué à la stabilité.

Toutes les professions seront affectées par l’IA, que ce soit le chauffeur de taxi, le cadre, le codeur, le commercial, l’avocat… Les entreprises vont devoir acculturer, former les collaborateurs pour qu’ils montent en compétence. Les tâches les plus simples qui étaient dévolues aux juniors seront les premières réalisées par les IA. Par exemple, dans une usine, une personne portait les cartons. Aujourd’hui, c’est un robot qui s’en charge. Mais le travailleur pilote le robot dans l’usine, doit comprendre où sont les failles quand il y a un problème et le régler. Il faudra être beaucoup plus expert. Attention pourtant, tout ce que l’IA nous apporte nous enlève aussi des compétences. Par exemple, nous sommes de moins en moins attentifs, nous faisons beaucoup plus de choses en multitâche, nous apprenons moins par cœur, donc la mémorisation diminue… L’IA peut affaiblir beaucoup de capacités cognitives. C’est pourquoi je recommande la mise en place d’un management par le CARE, qui développe les « compétences de centrage » (gestion de son temps, priorisation, mémorisation, attention et énergie) pour équilibrer le travail augmenté avec l’IA.

M2D : Les nouvelles technologies vont-elles créer des fractures dans la société ? 

C. D. : Ce n’est pas l’IA qui va nous remplacer au travail, ce sont ceux qui savent s’en servir. Donc il faut à la fois être « IA compatible », comprendre l’univers de la probabilité et de la statistique, les cas d’usage, les opportunités et les risques et développer un management par le CARE (Self, Team, Planet CARE, c'est-à-dire prendre soin de soi, de ses équipes et de la planète). Il faut prendre conscience que nous sommes des humains et que nous devons prendre soin de nous. Se reconnecter à la nature, c’est une question d’équilibre car on ne pourra pas arrêter l’innovation. Je pense que la scission ne se fera pas sur les technologies, mais sur la capacité à apprendre. Ceux qui sauront apprendre tout le temps auront les meilleures astuces, les meilleurs travails, les meilleurs contacts et seront les plus compétents.    

HUIT METIERS POUR 2050

Hacker éthique. Ce pirate bienveillant aidera les entreprises à analyser et résoudre les failles de ses systèmes de sécurité informatique afin de contrer les cyberattaques.

Psychiatre digital. Aujourd’hui, nous consultons en moyenne près de 70 fois par jour notre Smartphone. Ce médecin thérapeute offrira ses services pour une bonne cure de désintox digitale dans ce qui se présente comme une addiction provoquant des ravages comportementaux.

Rudologue. En 2050, la production d’ordures ménagères devrait atteindre 3,4 milliards de tonnes par an dans le monde, sans compter les déchets industriels. Le rôle du rudologue sera d’imaginer des solutions durables de traitement et de recyclage de ces déchets.

Spécialiste en désextinction. En 2050, nous devrions être 10 milliards d’êtres humains sur Terre et le réchauffement climatique devrait provoquer la perte de 6 à 10 % de ses animaux et de ses végétaux. Par la technique du clonage et de la modification génétique rendue possible grâce aux ciseaux moléculaires, il serait possible de recréer des espèces éteintes.

Courtier en CO2. L’Europe vise la fin des émissions carbone d’ici 2050. Comme sur les marchés boursiers, le rôle du trader en dioxyde de carbone consistera à vendre et acheter des titres en émissions carbone.

Guide touristique dans l’espace. Si aujourd’hui le ticket d’entrée est élevé — de 250 000 dollars pour quelques minutes aux confins de l’espace à 50 millions de dollars pour y séjourner plusieurs jours — le tourisme spatial que se partagent aujourd’hui quatre sociétés — Axiom X, Blue Origin, SpaceX et Virgin Galactic — devrait se démocratiser. Le guide touristique pourra alors commenter les aurores boréales et autres couchers de soleil.

Fermier urbain. La ville de Songdo, en Corée du Sud, avec ses 40 % d’espaces verts et son agriculture urbaine, nous en offre déjà un aperçu. Permaculture, agriculture à demeure avec éclairage LED… Pour dépolluer les villes, les refroidir mais aussi se nourrir en circuit court, la place de l’agriculture va devenir prépondérante dans les villes. Dans ces espaces amenés à devenir surpeuplés, les projets urbains songent déjà à ériger des fermes verticales en 2050.

Ingénieur en impression 3D. Outre la médecine ou l’aérospatial, même le bâtiment y a recours aujourd’hui : l’impression 3D couvrira bientôt tous les secteurs d’activité.   

SOUS LES PAVÉS, LA PLAGE

VERS LA SEMAINE DE QUATRE JOURS ?

Le Royaume-Uni, comme plusieurs autres pays d’Europe — l’Espagne, la Belgique —, l’a expérimenté après les bouleversements éprouvés durant la crise du Covid-19. En quoi consisterait la semaine de quatre jours si elle était appliquée en France, où six salariés sur dix y sont favorables ? La semaine de quatre jours revient à travailler 32 heures sans baisse de salaire mais sans baisse de productivité non plus. Outre des vertus environnementales avec une réduction des déplacements et donc du CO₂ dans l’atmosphère, cette nouvelle forme de répartition du temps ambitionne d’offrir un meilleur bien-être au salarié en lui dégageant du temps pour sa vie personnelle et d’éviter ainsi aussi le phénomène d’attrition (démission) qui gagne les postes les plus recherchés.    

COPAIN COMME COBOT

LE MEILLEUR AMI DES PATRONS ?

Le mot apparaît en 1999, un néologisme composé à partir des mots coopération et robotique. À la différence d’un robot industriel se substituant à une main-d’œuvre humaine, le cobot est une sorte d’assistant accomplissant des tâches mécaniques, mais sous le contrôle d’un opérateur en chair et en os. Se présentant souvent sous la forme d’un bras articulé, on le retrouve dans les secteurs de l’industrie automobile, du bâtiment ou bien de la santé. Son utilisation est précieuse, elle épargne à ses opérateurs humains d’ingérer des substances toxiques et des problèmes de santé musculaire en exécutant avec précision des tâches lourdes et répétitives : visser, frapper, soulever des poids, assembler, souder…

En 2016, la Sécurité sociale comptabilisait en France plus de 8 millions de jours d’arrêt de travail provoqués par des accidents du travail. Avec une densité de 132 robots pour 10 000 employés, plaçant ainsi la France à la 18e position dans l’industrie manufacturière mondiale, ces robots amis, outre une interaction avec l’être humain, possèdent la faculté d’être capables d’apprendre au fil de leurs tâches exécutées. On doit probablement à ces robots une reconquête du tissu industriel français depuis la deuxième moitié des années 2010.    

Et demain ?

D’ici 2030, le marché mondial des cobots devrait s’élever à 7,5 milliards d’euros, selon le cabinet ABI Research.

Extrait du livre de Julien Clivange, « Mondes de demain aux éditions », publié aux éditions Plon

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