Mode ridicule du "selfie" : ce que cela révèle de notre personnalité

Atlantico : La nouvelle mode actuelle sur les réseaux sociaux est de se prendre en photo avec son smartphone. Cette tendance appelée "selfie", raccourcissement de "self-portrait" connait un véritable essor. Qu'est-ce que cette manie révèle de notre personnalité ?

Sylvianne Barthe- Liberge : L’autoportrait n’a rien d’un phénomène nouveau. Des artistes comme Van Gogh, Matisse ou encore Frida Kahlo l’ont abondamment pratiqué. Ce qui est nouveau, et rendu possible par la technologie, c’est l’accessibilité à tous. Le "selfie" semble être la suite logique de l’évolution culturelle et technologique. Sans compter que l’apparence est une part importante de notre vie. Quant à la signification de ce phénomène, elle est, me semble-t-il, multiple.

L’aspect narcissique du phénomène ne doit pas être le seul à considérer. A une époque où l’image prime, pourquoi ne pas user des outils mis à notre disposition pour contrôler l’image que l’on donne à voir ? C’est une manière facile et rapide d’endosser une image plus flatteuse que la réalité, et redorer ainsi l’estime que l’on peut avoir de soi. C’est aussi une manière de se « vendre », soit auprès de ses proches, soit auprès de recruteurs potentiels (comme ce fut le cas lors d’un casting de mannequins via les réseaux sociaux).

Evidemment le "selfie" révèle quelque chose de notre personnalité, mais au-delà due la photo, c’est surtout ce que l’on en fait qui reflète un trait de notre personnalité (narcissique, renforcement de l’estime de soi, tendance manipulatrice…).

Nous sommes tous narcissiques, et ce depuis que l’homme est homme ! Par contre, il y a une différence entre le « normal » et le « pathologique ». Le « narcissique pathologique » se reconnaît par une obsession de son image. C’est une personne qui va épier le regard des autres sur lui. Mais aussi son propre regard : il ne pourra pas passer devant un miroir sans se regarder avec attention.

L’image que lui renvoie le miroir ou le regard des autres doit flatter son égo. Il recherche l’approbation, mais aussi l’admiration. Il y a une quête de pseudo célébrité. Symboliquement, les réseaux sociaux sont un miroir mondial. On pourrait d’ailleurs mettre en parallèle le nombre « d’amis » sur les réseaux sociaux et le nombre de selfie postés. Il est fort probable que ceux qui ont le plus de connaissances « virtuelles » soient également ceux qui pratiquent intensivement le selfie.

En consultations, effectivement, je rencontre de plus en plus de personnes souffrant de troubles de l’estime de soi, associés à un manque évident de confiance en soi.

Dans cette société de l’image, il y a des codes de plus en plus exigeants au niveau de l’apparence. Les personnes qui ne correspondent pas à ces codes (réellement ou qui se l’imaginent) vont avoir tendance à se replier encore plus facilement sur elles-mêmes. En fait, cela va renforcer des troubles de l’estime de soi déjà existants.

Enfants, nous grandissons dans le regard de nos parents. Si ce regard est défaillant ou rejetant, nous aurons à faire à des personnes adultes manquant cruellement de confiance en elles et ayant une estime d’elles très faible. La société (et les réseaux sociaux) peut venir renforcer ces troubles.

Comment peut-on expliquer ce phénomène : réseaux sociaux, société de l'image ... ? La société de l'image a-t-elle cassé notre perception de notre propre image ?

La technologie a renforcé la culture de l’image. Mais en même temps, elle révèle des fantasmes archétypaux de célébrité : aujourd’hui, grâce à ces réseaux sociaux, n’importe qui peut s’extraire de la masse sociale et devenir une célébrité (et les exemples sont nombreux).

Les réseaux sociaux ne sont pas une mauvaise chose en soi. Encore une fois, tout dépend de l’utilisation qui en est faite. Il est fort probable que ce soit le narcissisme sociétal élevé qui pousse les gens à utiliser ces réseaux de manière narcissique et égocentrique. Mais il est vrai que certains réseaux sociaux poussent aussi au narcissisme, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes. C’est donc à double sens.

Par contre, on peut en effet s’interroger sur l’impact de cette société de l’apparence sur l’image que nous avons de nous-mêmes. Là encore, la personne qui aura pu construire enfant sa personnalité sera moins soumise à cette exigence de l’apparence sociétale. Et inversement, celui qui aura été à la recherche de la reconnaissance de ses parents, transposera cela sur la société. Il sera donc davantage soumis aux exigences de l’image et des codes sociaux, toujours en quête de l’approbation sociale.

Propos recueillis par Manon Hombourger