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Mobilisations anti Pass sanitaire : Emmanuel Macron ou l’exacerbation d’une crise de régime latente
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Attiser le feu

Environ 250 000 manifestants étaient attendus en France samedi 14 août pour manifester contre le pass sanitaire entré en vigueur dans de nombreux lieux publics et ils ont répondu présent.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Environ 250 000 manifestants étaient attendus en France samedi 14 août pour manifester contre le pass sanitaire entré en vigueur dans de nombreux lieux publics et ils ont répondu présent. Si les cortèges ont été remplis, les heurts n’ont pas été nombreux grâce à d’importants moyens policiers. En encadrant le plus possible possible ces manifestations, le gouvernement montre-t-il toute l’importance politique de ces revendications ? Que se passerait-il si elles débordent ? L’exécutif cherche-t-il à contrôler ces manifestations à tout prix ?  

Arnaud Benedetti : Le mouvement est profond ; il dépasse de loin la question vaccinale, même si celle-ci est à l’origine de sa gestation . Il pose d’abord la question des fondamentaux de nos institutions  : l’urgence sanitaire légitime t’elle la restriction d’un certain nombre de libertés et du principe d’égalité ? Le conseil constitutionnel a répondu favorablement mais une partie de l’opinion ne se satisfait pas manifestement de cette réponse . L’amplification territoriale du mouvement , au cœur de l’Eté, constitue un avertissement non seulement pour l’exécutif mais également pour la représentation nationale qui a approuvé le dispositif. La mobilisation est portée certes par le refus du passe-sanitaire mais elle agrège également tout un héritage de mécontentements et de colères qui ont grevé le mandat d’Emmanuel Macron depuis cinq ans . Il y a là quelque chose qui porte l’empreinte d’une crise latente de régime dont Emmanuel Macron n’est pas le responsable exclusif mais qu’il a exacerbé sans doute par sa pratique du pouvoir et l’expression publique de sa majorité . La motricité du mouvement auquel fait face le pouvoir est à ce stade lié , malgré quelques incidents assez relatifs, à son caractère non-violent . L’entreprise de disqualification esquissée par certaines déclarations politico-médiatiques pour l’instant se heurte à une dynamique d’ensemble qui s’interroge sur notre modèle de société . Sa signification est à rechercher dans une critique de la montée en puissance de ce que l’on appelle la gouvernance des conduites , c’est-à-dire de pouvoirs qui souvent ne répondant pas aux besoins stratégiques et régaliens des sociétés , entreprennent d’imposer toujours plus de contraintes à nos comportements collectifs et individuels. Il me parait important d’entendre ce que dit le surgissement de cette mobilisation plutôt que de la caricaturer. 

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Florian Philippot n’a lui pas pris de vacances et cherche à devenir porte étendard de la cause en étant encore une fois présent. Son pari politique est-il en passe d’être réussi ? A-t-il réussi à mobiliser aujourd’hui ? Nicolas Dupont-Aignan réussit-il lui aussi ?  

Il aura gagné sur deux fronts à minima : celui de sa survie politique en captant une partie de cette colère , en la canalisant aussi pour une part , en récupérant une partie de la fonction tribunicienne que le Rassemblement national ne parvient pas à incarner totalement ; et celui de la thématique où il articule le souverainisme avec la défense des libertés individuelles et collectives . Cette articulation est féconde car elle assure un continuum entre la defense de la souveraineté, seule susceptible à ses yeux de pourvoir aux nécessités régaliennes , aux besoins stratégiques , à la demande de protection et la défense des principes d’une démocratie libérale que des libéraux affichés au pouvoir mettent à mal en jonglant avec des états d’urgence à répétition... Ce que cette crise fait apparaître aussi c’est qu’un État réarmé est le seul à même de garantir les libertés concrètes des sociétaires. De ce point de vue Florian Philippot et Nicolas Dupont-Aignan ont flairé l’opportunité et le gain potentiel de cette opportunité, apportant la démonstration de la vigueur de cette problématique qu’il ne peut y avoir de liberté sans affirmation nationale . L’erreur des républicains à droite est de s’être laissé enfermer dans la problématique macroniste qui est tout sauf libéral , et si peu national . 

Pour le reste le capital politico-médiatique engrangé tant par Philippot que par Dupont-Aignan n’est en rien garanti d’une transformation en capital électoral. Tout dépendra de l’avenir du mouvement et également des suites épidémiques. 

Avec un tel nombre constant de manifestants et maintenant un succès dans la durée, le mouvement a-t-il une chance de se faire entendre ? S’il se poursuit à la rentrée, pourrait-il prendre une autre tournure ?  

C’est toute la question . La stratégie du gouvernement consiste à le disqualifier en le réduisant à un populisme antivax et complotiste, tout en relativisant sa portée symbolique par l’annonce  de chiffres manifestement pré-fabriqués par le ministère de l’intérieur. Il faut s’étonner au demeurant que la plupart des médias entérine sans discuter ces chiffres “officiels ". Il y a de ce point de vue une suspicion tres nette , me semble t’il , de désinformation d’Etat . Ce qui est de bonne guerre , mais les médias devraient en l’occurrence fact-checker les données fournies par Bauveau qui relèvent d’un travail de contre-propagande dont on mesure sans peine la visée : susciter le découragement et la démobilisation. Évidemment, au regard des clivages de la société française, le mouvement dispose d’un potentiel de mobilisation qui peut le moment venu servir d’agrégateur à d’autres colères. Mais cette société hyper-clivée constitue tout autant un obstacle à la puissance à venir de la mobilisation. Le macronisme joue tactiquement, cyniquement diront certains sur ces clivages , il les exploite même pour consolider une base éprise de stabilité , d’ordre et peu soucieuse des fractures de la société. Pour autant ce mouvement , par son imprévisibilité même , fait peser une épée de Damoclès non négligeable sur la campagne présidentielle à venir . 

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