Michel Houellebecq : l’écrivain et les truqueurs <!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Houellebecq, photo AFP
Michel Houellebecq, photo AFP
©BORIS ROESSLER / DPA / AFP

Atlantico Litterati

Michel Houellebecq vient de publier un récit autobiographique qui fait grincer certaines dents : « Quelques mois dans ma vie-Octobre 2022-mars 2023 » (Flammarion). A ce moment-là, l’auteur tomba dans le piège que lui tendirent des gens moches et certains camarades plus ou moins bien intentionnés.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Polémiques, révélations, autodérision. Vite, une librairie !

« J’avais atteint à titre personnel la quasi perfection de la connerie », s’auto-accuse Michel Houellebecq dans «Quelques mois dans ma vie -Octobre 2022-Mars 2023 » (Flammarion). D’une centaine de pages, cet essai publié fin mai évoque entre autres la manière dont certains faux amis et vrais menteurs profitèrent de la «  perfection de sa connerie ».D’octobre 2022 à la fin mars 2023 ( c’est-à-dire hier), Michel Houellebecq traversa deux crises existentielles qu’il se plait à nous conter : le tournage foireux -à Paris puis Amsterdam- du fameux « porno de Houellebecq » -soit "Kirac 27"- pour lequel  « l’écrivain français s’engagea par contrat à tourner un film sous la houlette d’un réalisateur néerlandais : Stefan Ruitenbeek,. (…) Depuis lors, Houellebecq tente de faire interdire ces images, affirmant avoir été piégé car « il ne voulait pas être reconnaissable ». L'affaire est désormais entre les mains de la justice des Pays-Bas»… Nous découvrons au fil de cette confession que le « porno » en question fut surtout une machination assez glauque et cousue de fil blanc pour amener doucement, imperceptiblement l’auteur d’ « Anéantir » à certaines concessions qui devaient rapporter gros : « Je commençais à prendre conscience que pour des commerçants tels que le Cafard et la Truie ( surnoms attribués par Houellebecq au cinéaste néerlandais et à sa compagne NDLR), « ma notoriété d’auteur pouvait conférer à mes organes une certaine valeur marchande »(« Quelques mois dans ma vie », page 27). Plus cette confidence : « Pour la première fois de ma vie je fus confronté à un caméraman parfaitement inhumain et froid, qui, à aucun moment, n’envisagea de me serrer la main, ni même de m’adresser la parole ; pour la première fois de ma vie je me sentis traité, absolument comme l’objet d’un documentaire animalier ; il m’est difficile d’oublier ce moment ». Et cette constatation qui installe l’autodérision : « Il m’est impossible de cadrer et de bander en même temps ». Et à y examiner de près, suis-je capable de bander et de faire autre chose en même temps ? »(« Quelques mois dans ma vie », page 33). Cet humour désabusé donne au récit son rythme : le lecteur perçoit le sourire de l’auteur par-dessus les personnages : délicat avec les minables qu’il n’accable en aucune manière, redoutable avec lui-même, Houellebecq ne se ménage jamais quand il devient son propre jouet ; et dans l’énumération de ses torts, il bat les faux amis d’hier par la douce et dingue moquerie d’aujourd’hui. Avec ses révélations à propos de monstrueux personnages qui auraient plu au Céline de « Londres », cet essai ne ressemble à aucune œuvre antérieure de Houellebecq « Quelques mois dans ma vie » est un texte d’une intelligence subtile : Houellebecq y est un peu acide avec les fourbes, mais ultra mêchant envers lui- même. La douceur, la bonté – si rares à notre époque-, le narrateur de « Quelques mois dans ma vie » connaît. Il n’en fait pas une tonne pour autant :  le lecteur apprécie. Le héros n’a pas de sac à dos, mais le cœur y est. Aucune cruauté, Le respect de la vie, Pas de mesquinerie. De page en page, entre le porno foireux organisé par les guignols d‘Amsterdam et certains camarades de la presse française, Houellebecq adopte la fausse naïveté de Woody Allen pour se moquer de lui-même rétrospectivement.Il ne hait personne même pas les traitres et autres faux amis. On sourit, et cette élégance dans l’introspection ajoute au charme de ce texte parfaitement écrit.La voix de l’écrivain, c’est la joie du lecteur. Pudique comme pas deux, Houellebecq fait tout pour nous faire rire de ses déboires, parvenant « en même temps » par la grâce du style et l’intelligence du propos à aligner mine de rien ces « amis » piégeux qui voulaient tout, sauf son bien. Cette confession est une fable inspirée d’Ésope et de son disciple français, Jean de La Fontaine (1621-1695) : elle s’intitule : « L’écrivain et les truqueurs ». « L’art et la littérature sont des disciplines bien ingrates quand on sait que la réussite professionnelle telle qu’on l’entend ordinairement et qui, pour les autres activités humaines, couronne tout de même une certaine excellence, n’a en l’occurrence rien à voir avec la qualité de l’œuvre, laquelle, bien au contraire, la dessert ou la condamne. Nous voyons donc des artistes et des écrivains travailler en toute conscience, sinon à leur perte, en tout cas à leur ruine, engageant leurs forces et leur talent dans l’accomplissement d’une œuvre dont ils ne tireront pour tout profit que davantage de solitude encore, de pauvreté, de détresse et d’humiliation sociales.», précise Eric Chevillard (cf. « L’auto-fictif nu sous son masque ») .Tel est l’enjeu de cette mise au point qui détruit la vulgarité des profiteurs accrochés à l’écrivain, mais prend le risque de ne pas servir la gloire de l’artiste en révélant ses peurs, ses erreurs, ses failles ; les mites s’installent et grignotent l’ouvrage, la laine et la soie des mots.Le vocable « profiter » s’inscrit sur nos écrans avec la fameuse faute de français. Il nous est ordonné de « profiter » ( sic) sans complément d’objet indirect. Les truqueurs « profitent » donc. Le poète, qui,par définition,est grammairien, est occupé à rêver. Il ne « profite pas » mais pense souvent à Baudelaire .Célèbre parfois, l’écrivain des Français est un modèle pour le reste du monde ; si son livre se vend, il incarne soudain le gagne-pain des truqueurs. Chéri de ses lecteurs, il permet aux parasites -les mites ( dirait Dantzig) de « profiter ».Il faut un certain courage à tout auteur un peu célèbre pour révéler en place publique comment et pourquoi, naif comme pas deux- donc coupable de cette « bêtise » qu’il dénonce chez lui et pardonne chez les autres-, il s’est fait plumer comme un bleu ; on l’a grugé ! Tel est le sujet ( une série noire) de ces « Quelques mois dans ma vie » . L’écrivain est par définition un rêveur un peu perdu sur cette terre. Toujours ce côté Antoine Doisnel. Certains truqueurs sont parfois des chiens. Ce récit mélancolique malgré sa drôlerie au second degré réalise une mise au point salutaire réconciliant le premier écrivain de France avec sa chance, c’est-à-dire avec lui-même ; lavant son honneur donc aplanissant les sentiers pour le prochain roman. Certains experts– comme par hasard tous ceux qui se retrouvent épinglés par l’auteur- semblent n’avoir pas de passion pour cet essai- en particulier pour tout ce qui concerne le « porno de Houellebecq »-, oubliant de nous dire, entre autres et par exemple, la beauté de certaines déclarations assez surprenantes pour un pornocrate ( « l’art est une excitation au plaisir ») : « Sous l’effet de différentes théories psychologiques erronées, on surévalue fréquemment l’importance des fantasmes dans la sexualité. Création mentale individuelle et autonome, développée en l’absence de toute relation humaine, les fantasmes n’ont presque aucune importance en matière sexuelle, et ne comptent absolument plus dès que l’amour est en jeu. Comme chacun au fond le sait, l’élément le plus important dans la sexualité est l’amour. » (Michel Houellebecq /« Quelques mois dans ma vie », page 20). 

Face aux faux- semblants, faux-jetons et autres faux-frères, libre comme l’air, Houellebecq raconte l’art et la manière qu’eurent certains petits malins, en France et hors frontières de le mener en bateau. Résultat : voici par la littérature, une psychanalyse bon enfant ; écrire fabrique ce travail sur soi-même qui permet de se mieux connaître tout en découvrant soudain combien -sans littérature-, les autres sont transparents. Au passage, Michel Houellebecq révèle quelques aperçus de sa sexualité : « La sexualité avait été la plus grande joie de ma vie, et, de manière surprenante, finalement la plus durable (…) Il était pour moi atroce de penser que la seule trace qui demeurerait de ma vie sexuelle, la partie la plus vivante de ma vie, soit un coït médiocre avec une truie inerte, filmé par un cafard dégénéré , l’ensemble à coup sûr d’une laideur totale. » Le naturel de Michel Houellebecq dans ce domaine libèreront les complexés, s’il en reste.La chair n’est pas triste  mais d’une grande pureté, et le plaisir est tout sauf le Mal, rappelle une fois de plus Michel Houellebecq. « Mes ennemis traditionnels, préalablement stimulés par la reprise du dossier « Islamophobie », puis émoustillés par le nouveau dossier porno s’ébrouèrent avec enthousiasme. Chose surprenante, et que j’aurais cru impossible, mes relations avec la gauche s’étaient encore détériorées. Quelques ouvrages après d’autres étaient même parus, dénonçant ma collusion avec l’extrême -droite »

Certains exégètes s’intéressant à la dimension éthique des fictions de Houellebecq trouveront dans ce récit « augmenté » les clefs du coffre. « Dans les blessures qu'elles nous inflige, la vie alterne entre le brutal et l'insidieux. Connaissez ces deux formes. Pratiquez-les. Acquérez-en une connaissance complète. Distinguez ce qui les sépare, et ce qui les unit. Beaucoup de contradictions, alors, seront résolues. Votre parole gagnera en force, et en amplitude. Il faut  « Rester vivant (Librio/Poche, 3 euros) disait Houellebecq dans ce recueil de poésie. Les moches passent,le verbe demeure. Ultime recommandation de l’écrivain face aux truqueurs : « La possibilité de vivre commence dans le regard de l’autre. » Saisissant.                                                                                                 Annick Geille

Repères 

« Romancier, poète, essayiste, considéré par de nombreux spécialistes comme l'écrivain français le plus marquant de notre époque, Michel Houellebecq est lu dans le monde entier depuis « Extension du domaine de la lutte « (1994). Il a reçu le prix Goncourt pour son roman « La Carte et le territoire » en 2010. »Soumission », paru en 2015, a suscité admiration et les polémiques que l’on sait ; Parmi les livres de Michel Houellebecq les plus marquants, « La possibilité d'une île » (2013) et plus récemment « Les particules élémentaires » (nouvelle édition parue en 2019 puis « Anéantir) .« Pour la première fois dans ma vie je me sentis traité, absolument, comme l’objet d’un documentaire animalier ; il m’est difficile d’oublier ce moment. » confie l’auteur en quatrième de couverture de « Quelques mois dans ma vie » ( Flammarion) ».Certains arbitres des élégances littéraires semblent ne point avoir de passion pour ce récit de Houellebecq. Notons qu’il s’agit toujours de critiques épinglés par l’auteur…Amusant.

EXTRAITS de « Quelques mois dans ma vie » ( Flammarion)

A propos de l’entretien dans le hors- série de la revue « Front populaire » dirigée par Stéphane Simon et Michel Onfray :

« J’écrivis donc à Stéphane Simon et à Michel Onfray pour leur demander de cesser la diffusion de ce hors-série.La démarche me paraissait simple ; je me trompais lourdement.Stéphane Simon me répondit d’abord que la diffusion de ce hors- série avait de toute façon cessé. Sans pouvoir l’accuser formellement de mensonge,je dirai que j’avais de fortes raisons d’en douter. »

« Je reçus la réponse de Michel Onfray par le biais d’un mail qui me parvient à 7H 27 ( heure de la Guadeloupe). La violence du ressentiment qui s’y exprimait me surprit. Selon ses dires, il était courageusement monté au créneau pour me défendre alors que rien ne l’y obligeait.La seconde partie de la proposition était exacte : j’étais poursuivi en tant qu’auteur des propos, Stéphane Simon en tant que directeur de la publication, Michel Onfray ne l’était à aucun titre valable(…)La première (« partie de la proposition » NDLR) était plus que douteuse : ne m’ayant d’abord soutenu que mollement, Michel Onfray m’avait ensuite lâché à grand fracas, lors d’une émission parait-il très suivie de Laurence Ferrari. Selon ses dires toujours, il n’avait jamais envisagé la publication de notre entretien sous forme de livre, il s’y était au contraire depuis le début formellement opposé ; j’avais le souvenir exactement contraire. Enfin, la cessation de la diffusion de ce hors-série lui était apparue comme une « demande parfaitement malvenue de ma part ». Cette fois, j’avais compris : ce n’était pas Stéphane Simon qui s’y opposait, c’était lui, Michel Onfray, le véritable patron de « Font populaire » qui en avait décidé ainsi. Il était dès lors évident que nos relations étaient terminées ; je n’ai pas dans le même temps renoncé à mes contacts avec Stéphane Simon, et j’ai eu tort, cela n’a été qu’un perte de temps. 

« Sans l’éditorial assassin de Pierre Assouline, cette affaire n’aurait jamais eu lieu. Pierre Assouline me poursuit depuis si longtemps d’une haine si farouche que j’ai renoncé à en déterminer l’origine »

« La Dinde avait vraiment l’air très con, encore plus que dans mon souvenir ; et mon pronostic sur son avenir d’actrice s’est encore trouvé assombri. Sans en représenter un élément décisif, l’intelligence peut jouer un rôle dans l’attractivité érotique d’une femme. Un certain air de bêtise- Baudelaire a raison sur ce point

comme sur tant d’autres-, ajoute à la beauté d ‘une femme ; mais il diminue de manière tout aussi certaine son attractivité érotique, et cela quel que soit le degré de machisme de la cible. »

« Compte tenu de mon passif avec l’Islam, j’aurais justement dû prêter une attention particulière à ces passages ( cf. L’entretien avec Michel Onfray dans sa revue).

« Ce que les Français, de souche ou non, demandent et même ce qu’ils exigent, c’est que les criminels étrangers soient effectivement expulsés, et en général que la justice soit plus sévère avec les délinquants, y compris ceux que l’on appelle « les petits délinquants ». Beaucoup plus sévère. ».

« Sur le dossier Front populaire, je continuai à demander à Stéphane Simon une nouvelle édition de ce hors-série incluant mes modifications. Je ne fis pas de nouvelles tentatives auprès de Michel Onfray, son refus avait été trop brutal. Les deux hommes m’apparaissaient de toute façon sous un jour nouveau. Plus dur et foncièrement mauvais dans le cas d’Onfray, qui mimait l’orgueil ombrageux, plus flasque dans le cas de Stéphane Simon, mais au fond aussi solides l’un que l’autre dans leur âpreté au gain. »

Copyright Michel Houellebecq « Quelques mois dans ma vie- Octobre 2022-Mars 2023 » ( Flammarion)/110 pages/ 12,80 euros/toutes librairies et « La Boutique ».

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