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Merci Trump ! Pourquoi Trump est utile en nous forçant à changer nos habitudes économiques
©Brendan Smialowski / AFP

Adaptation

« Du sel sur les plaies » avec Donald Trump, aujourd’hui et peut-être demain, ou « du miel » avec Barak Obama et peut-être son héritier(ère) ? Et si le traitement violent, grossier, imprévisible, dangereux de Donald Trump nous faisait réagir plus que les massages et les beaux discours ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Taxer le vin français, faire monter l’euro, empêcher notre taxation des GAFA, nous demander d’arrêter la 5G avec Huawei, dire aux Anglais de partir sans payer… on ne compte plus les attaques de Trump contre nous et la zone euro. Mais est-ce mieux que nous écouter nous lamenter, en compatissant sur nos problèmes ? Car le « Président américain gentil » organisait quand même, sans trop le dire, un pivot to Asia. Il tentait de contenir la Chine et nous délaissait, Europe et Afrique. On peut toujours préférer la douceur d’Obama aux comportements de son successeur, mieux aimer sa lente négociation avec l’Iran et ses réseaux d’accords pour contenir la Chine que les ruptures et foucades de Donald, mais il n’est pas sûr que l’homéopathie et « l’écoute » suffisent à nous sortir de notre torpeur !

Un, la stratégie de Donald Trump est claire : empêcher la Chine de devenir le premier pays du monde en y suscitant une crise bancaire et financière. C’est mathématiquement impossible autrement. Calculons : le PIB américain est de 17 400 milliards de dollars, le chinois de 12 200. Le premier augmente de 400 milliards l’an, le deuxième de 780 (selon Trading Eco). Si les États-Unis continuent de croître à 3% l’an, sans ralentissement ni récession, hypothèse héroïque, ils sont rattrapés par une Chine qui fait du 6%, hypothèse forte, en 2037. Et si la croissance américaine passe à 2% et la chinoise à 4%, le « croisement » a lieu en 2043 ! Donc, il faut que la Chine « cale » avant. Pour cela, rien de tel que de jouer sur son point faible : le surendettement de ses entreprises publiques, autrement dit « opaques ». Faire ralentir la Chine pèsera immédiatement sur la bourse. Ceci poussera les autorités politiques à faire plus de crédit à leurs entreprises pour soutenir la croissance interne d’un côté, et à endiguer les sorties de capitaux d’un autre, pour ne pas être accusées de manipuler le yuan. Mais tout ceci ne suffira pas. Freiner la Chine, pour Trump, c’est pour la faire tomber.

Ce n’est pas si mal pour nous : face au risque de freinage de sa croissance par l’exportation, la Chine adoptera une politique économique qui reposera moins sur les crédits au secteur public et aux « routes de la soie », pour se renforcer par l’intérieur, quitte à ralentir. En même temps, cette Chine deviendra plus résiliente, avec un plus fort contenu en importations, plus européennes et françaises… si nous nous mobilisons.

Deux, faire baisser les exportations allemandes d’automobiles. Donald Trump appelle « vol » tout déficit commercial par rapport aux États-Unis. Après le « vol » de la Chine pour 420 milliards de dollars, viennent ceux du Mexique (80 milliards, Donald Trump s’en occupe) et de l’Allemagne, pour 68. Donc, Donald Trump veut taxer l’Allemagne si elle ne produit pas chez lui ces Mercedez, mais aussi regarder la manière dont les tests de pollution ont été trafiqués, scruter ses banques (Deutsche Bank ?), et ainsi de suite…

Ce n’est pas si mal pour nous : si Donald Trump freine les exportations allemandes, notamment d’automobiles, il faudra bien que l’Allemagne soutienne sa croissance, par la demande interne. Ceci réduira l’énorme excédent de sa balance courante (7,3% du PIB). En même temps, une Allemagne qui consomme plus augmentera ses salaires, notamment dans les services, importera plus, notamment de ses voisins et y investira davantage. Et comme l’excédent de la balance courante allemande explique celui de la zone euro (3% du PIB), sa baisse fera baisser l’euro ! Donald Trump n’y a pas pensé, tant pis !

Trois, faire monter l’euro de 17% par rapport au dollar. Trump veut faire baisser l’euro qu’il accuse de quasi-manipulation, même si son taux de change pondéré est actuellement à 98,1, base 100 début 1999, selon la BCE. Il a en tête les calculs de « l’indice Big Mac »… plus simples. Un Big Mac vaut 5,58 dollars aux États-Unis, mais 4,05 euros en zone euro pour The Economist, d’où un taux de change implicite de 0,728, d’où une sous-évaluation de l’euro de 17% en janvier 2019 ! Plus précisément, par pays, il faudrait que le taux de change de l’euro monte de 12% pour la France et de 19% pour l’Allemagne !

Ce n’est pas si mal pour nous : faire monter l’euro (comment ?) conduira à faire baisser le dollar, donc à importer moins cher le pétrole (et autres produits facturés en dollar) et à faire passer l’inflation à moins de 1%, ce qui fera baisser les taux et stabilisera les salaires ! La culture allemande de « la stabilité » devra s’installer ici, les salariés revendiquant plus de formation à salaire égal, pour exporter. Car les exportations françaises souffriront beaucoup, hors zone euro surtout, ce qui poussera ici à des gains de productivité et de qualité, donc de formation ! Les liens seront plus étroits avec les pays voisins, Europe et Afrique, et la facturation en euro se développera partout. L’application de l’indice Big Mac sera le début de la fin de l’hégémonie du dollar.

Quatre, faire dépenser plus l’Europe pour sa défense en inquiétant partout, avec la Russie, en mer de Chine et maintenant surtout avec l’Iran. Donald Trump enrage sur ce lui coûte l’Otan, alors que les pays qu’il protège ne cotisent pas assez. Pire selon lui, ils en profitent pour investir et exporter plus (l’Allemagne), ne pas payer assez et vendre leurs avions (France), ne pas payer assez et frayer avec la Chine (Italie). Donc leur demander de dépenser plus, 2% du PIB au moins, est obligatoire, dans ce monde où il accentue, par ailleurs, les tensions – sans savoir comment ceci s’arrête.

Ce n’est pas si mal pour nous : l’Europe est un « grand marché », qui veut se protéger par des normes et des règles, mais pas par des forces militaires et de cybersécurité ! Donc il lui faudra dépenser plus en défense, notamment en cyberdéfense, et développer une industrie franco-allemande (au moins).

Bien sûr, dire : « merci Trump ! », c’est faire des efforts considérables et risqués dans ce monde plus de plus en plus dur, où la protection américaine s’estompe, ce monde multipolaire, où il s’agit de renforcer, et chacun, et l’union, et d’avoir les moyens d’être plus intelligemment rugueux. Du sel, mais pas trop : on a compris !  

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