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Merci, Marlène Schiappa, de nous dévoiler le substrat du macronisme
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

La risée des esprits libres

Marlène Schiappa est en passe de devenir la risée des esprits libres après ses sorties baroques auprès de Cyril Hanouna ou d’Alain Finkielkraut. Il faut plutôt lui dire merci d’éclairer notre lanterne sur ce qu’est le substrat idéologique du macronisme. Est-elle la Nadine Morano du nouveau Président?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Marlène Schiappa est en passe de devenir la risée des esprits libres après ses sorties baroques auprès de Cyril Hanouna ou d’Alain Finkielkraut. Il faut plutôt lui dire merci d’éclairer notre lanterne sur ce qu’est le substrat idéologique du macronisme. Est-elle la Nadine Morano du nouveau Président?

Vas-y Marlène, on t’aime et on croit en toi

Marlène Schiappa ne ménage ni son temps ni sa peine pour exister médiatiquement, et cette débauche d’énergie a quelque chose de sympathique. Elle agace certains, qui s’étonnent de voir une secrétaire d’État au droit des femmes intervenir sur des sujets qui ne sont pas les siens.
Ce procès d’intention est injuste, dans la mesure où Marlène Schiappa l’a jusqu’ici fait pour répondre aux nombreuses critiques qui lui étaient adressées sur ses prises de position passées. Ce fut le cas notamment avec Alain Finkielkraut, qui a dénoncé sa tribune obsédée par une islamophobie imaginaire. C’était hier le cas dans sa réponse dilettante à notre article sur ses incitations à la fraude à la sécurité sociale.
Au fil de cette parole désordonnée et libératrice (pour sa conscience, surtout), c’est un portrait en creux de l’idéologie macronienne qui se dégage. Et c’est pourquoi il ne faut surtout pas censurer Marlène. Au contraire, il faut la faire parler: chacun de ses aphorismes est une bénédiction qui jette un nouveau cru dans la lumière jupitérienne dont nous sommes sommés de nous abreuver désormais.

Le macronisme, triomphe de la bien-pensance

On aurait tout d’abord bien tort de diaboliser la parole schiappienne, qui se contente d’ériger en vérité dogmatique, ayant force de loi, la bien-pensance moyenne dont les salons parisiens donnent l’écho ordinaire. Marlène n’invente rien. Elle répète sur un ton péremptoire les bons mots et les paroles mielleuses qu’elle a entendus la veille sur France Culture ou dans un dîner de bobos. Le seul reproche qu’on puisse lui faire est de n’avoir pas compris la différence épistémologique entre la doxa de l’élite germanopratine et la vérité juridique.
Ainsi, en va-t-il de l’islamophobie. Marlène devrait simplement faire l’effort de comprendre que cette accusation proférée à tort et à travers dans les beaux quartiers de Paris où l’on ne croise jamais une femme en burka, est aussi un délit qui se juge en correctionnelle. Un mot qu’on peut utiliser autant qu’on le veut dans son salon ne peut être galvaudé avec autant de légèreté dans la sphère publique. Mais c’est le propre de la bien-pensance d’imaginer que les raisons de sa bonne conscience immédiate sont des vérités universelles.

Le tabou au coeur de l’art de vivre macronien

Ce rappelant, nous découvrons là la vérité première de ce qu’Emmanuel Macron a commercialement baptisé le renouvellement jusqu’au bout.
Il consiste à promouvoir des bien-pensants trentenaires, sortis brutalement d’un éco-système où des opinions à la mode sont vécues comme des découvertes scientifiques majeures. Dire que le voile est incompatible avec l’émancipation de la femme est islamophobe. Dire que les jeunes musulmans de nos quartiers sont antisémites lorsqu’ils expliquent que les Français sont contrôlés par les Juifs est raciste.
On retrouve ici le vieux réflexe aristocratique français transmis de générations en générations, et parfaitement résumé dans la maxime: « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. » Les trentenaires du macronisme l’ont revisité en considérant qu’il est islamophobe, raciste, populiste, d’extrême droite d’utiliser certains mots factuels ou de décrire des réalités qu’ils préfèrent ne pas voir.
C’est le paradoxe de « l’ouverture » mise en avant par leur candidat gourou pendant la campagne présidentielle. Ne pas être dans la haine d’extrême droite suppose d’interdire certaines expressions, certains mots, certains faits. Le tabou est devenu un principe d’ordre et d’organisation de la nouvelle société.

L’interdit pénal comme solution aux problèmes

Dans la grande stratégie d’inversion des valeurs et des réalités que le macronisme nous propose de valider au nom d’une modernité qui fait froid dans le dos, la liberté de parole est d’extrême droite, et le tabou imposé est la solution démocratique. Sans surprise, ces invertis de la pensée nous expliquent donc que leur brillante démocratie qui nous a sauvés de la tyrannie lepénienne le 7 mai doit reposer sur une pénalisation généralisée de la vie quotidienne. Et là encore, c’est à la Nadine Morano macronienne de service que revient le mot qui tue.
Ainsi, elle explique sans vergogne au Figaro que le règlement du problème critique des femmes interdites de circuler dans les rues désormais détenues par des groupes de réfugiés musulmans consiste à verbaliser. Un problème se pose? on interdit et on verbalise, point.
Il fut une époque où les bien-pensants faisaient effort pour vanter les mérites de la pédagogie, de la prévention, de l’explication. Le renouvellement selon Macron ne s’embarrasse plus de cette vision ringarde de la bien-pensance. Désormais, le Code Pénal est la solution incontournable de notre vie quotidienne, surtout, bien entendu, dans les quartiers lointains, pauvres, abandonnés, où aucun bien-pensant ne va jamais.

La tentation autoritaire du jupitérisme

Ce recours à l’interdit pénal mériterait un moment de psychanalyse. Quelle peur de l’effondrement hystérique cache-t-il chez tous ces bien-pensants qui nous renouvellent? Quelle angoisse d’eux-mêmes portent-ils avec toutes leurs leçons de morale?
Toujours est-il que l’interdit, sans que l’on y ait pris garde, est devenu la norme de gouvernance depuis le mois de mai. Et c’est encore Marlène Schiappa qui s’y colle. Ainsi, après les blagues de mauvais goût de Cyril Hanouna, la secrétaire d’État le convoque. On comprend bien le message qui commence à passer: les médias sont sous l’autorité d’un nouveau ministère de la l’Information, chargé de censurer les idées.
On avait raillé, durant la campagne, la proposition émise par un affidé de Marine Le Pen de mettre en place une sorte de comité de censure. Mais bon sang! tous ceux qui ont voté Macron pour éviter cette folie qui nous était proposée, que disent-ils aujourd’hui quand une sous-ministre convoque un présentateur d’une télévision privée pour lui demander raison de son humour?
Certains se rassureront en se disant que Marlène Schiappa est un cas isolé. On laissera ici répondre les rédacteurs de la petite société de presse méconnue du grand public « La Lettre A », attaquée au pénal par En Marche pour avoir repris des informations du Macronleaks. Non, la menace autoritaire n’est pas le seul fait d’une secrétaire d’État échevelée. Elle devient, sans le dire, un système applaudi béatement par tous ceux qui, il y a un mois, nous annonçaient qu’il fallait voter Macron pour éviter l’arrivée d’Eva Braun au pouvoir.

Le glissement vers l’État partial

Dans ce glissement progressif vers une France où l’amour du chef est devenu, sans le dire, une obligation sous peine d’être taxé de fascisme, les affidés de Jupiter n’hésitent pas à mettre les moyens de l’État à leur service pour faire triompher leur doctrine. Cela s’appelle de l’intimidation, et là encore Marlène Schiappa a montré la voix.
Ainsi, elle n’a pas hésité à répondre sur papier à en-tête d’un ministère de la République aux attaques d’Alain Finkielkraut sur ses positions passées. C’est donc une dépositaire du pouvoir réglementaire, au titre de la constitution, qui répond à un simple particulier:
«Si un jour, l’homme de valeurs que l’on me dit que vous êtes s’intéresse à la réalité de ma pensée philosophique, il sait désormais où m’interroger.»
On en reste pantois. Ce qui gêne n’est pas seulement qu’une secrétaire d’État s’attribue une « pensée philosophique ». C’est bien qu’elle intime à un citoyen ordinaire, elle qui incarne la République, l’obligation de s’adresser à elle en tant que ministre. Comme si le débat d’idées avec une personne choisie sans avoir été élue devait désormais être mené avec la toile de fond dressée par le Léviathan étatique face à la liberté de penser.
La prochaine fois que j’entends le moindre énergumène reprocher à Macron son libéralisme, je le provoque en duel. Le macronisme, c’est en effet Leviathan qui s’assume et qui ne se cache plus pour intimider le citoyen.

Les intimidations de la presse sont insupportables

Si ces affaires n’intervenaient pas dans un climat d’intimidation de la presse, elles mériteraient à peine d’être relevées. Mais tous ceux qui ont suivi la campagne de près ont pu mesurer le rapport autoritaire que Macron a instauré d’emblée avec la presse.
Dans le meilleur des cas, le candidat disposait d’hommes liges qui « influençaient » fortement les rédactions pour pisser les copies qui allaient bien. Cette technique est habituelle. Mais le système Macron l’a poussé si loin que la rédaction de Challenges, par exemple, a jugé utile de communiquer officiellement son agacement face  à cette grosse ficelle.
Dans le cas le plus courant, l’équipe resserrée de Macron ne s’est pas gênée pour pratiquer l’intimidation directe vis-à-vis de la presse. C’est le cas où Sylvain Fort, chargé de communication, appelle Yann Barthès pour lui reprocher, en l’injuriant comme un charretier, d’avoir diffusé les images de la Rotonde. C’est le cas où le même Sylvain Fort tance Michel Field pour avoir diffusé sur France 2, la déclaration de Mélenchon le soir du premier tour.
On ne citera même pas ici le communiqué de plusieurs rédactions après le refus d’accréditation de certains journalistes lors du voyage du Président au Mali.

Le macronisme ou l’ère du deux poids deux mesures

On voit bien la tactique qui se met en oeuvre. Il y a deux presses en Macronie. La presse libre, géniale, ouverte, moderne, renouvelée, qui dit au Président et à ses seconds couteaux ce qu’il a envie d’entendre ou de lire. Et il y a la presse plus ou moins proche de l’extrême droite, ou partiale, ou d’influence, ou qui prépare un complot, qui ne va pas chercher ses papiers dans les soupentes de l’Élysée.
Selon que l’on est dans un camp ou dans l’autre, on peut ou ne peut pas dire, faire ou ne pas faire, les mêmes choses.
Ainsi, quand Marlène Schiappa appelle à frauder la sécurité sociale, elle explique qu’il s’agit juste de propos humoristiques. Il faut donc lui pardonner. Ce n’est pas grave. Pas de quoi « pénaliser », même si de nombreuses assurées ont dû faire leur miel des conseils de Marlène Schiappa pour bénéficier des prestations indues financées par les autres cotisants.
En revanche, quand un quidam appelle à ne plus payer ses cotisations à la sécurité sociale, là, la blague est tout de suite moins drôle. Elle tombe sous le coup d’une sanction pénale inventée en 2014 par la direction de la sécurité sociale, dont le directeur est devenu directeur adjoint du cabinet d’Édouard Philippe.
Deux poids, deux mesures.
En revanche, quand un quidam fait une blague sexiste bien grasse, Marlène Schiappa propose de verbaliser immédiatement.
Deux poids, deux mesures.
Ainsi, quand François Fillon embauche sa femme ou ses enfants avec les indemnités que l’Assemblée Nationale lui verse à cette fin, tout le monde trouve normal que la justice enquête immédiatement, au risque de bouleverser le scrutin présidentiel.
En revanche, quand l’ancien secrétaire général d’En Marche devenu ministre fait l’objet de soupçons étrangement similaires, il est de bon ton de n’y voir que du feu, et de juger normale et républicaine la passivité de la justice.
Deux poids, deux mesures.
C’est le renouvellement d’une religion ancienne: l’amour aveugle de l’autorité en place.

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