Mélenchon, Verts et gauche de la gauche : échographie d’un échec intellectuel et politique en gestation<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon organise ce samedi 12 avril un mouvement contre la politique gouvernementale
Jean-Luc Mélenchon organise ce samedi 12 avril un mouvement contre la politique gouvernementale
©Reuters/Charles Platiau

Ratage

Alors que Jean-Luc Mélenchon organise ce samedi 12 avril un mouvement contre la politique gouvernementale qui devrait réunir des partis de la gauche, des Verts mais aussi des syndicats, la gauche de la gauche peine à transformer l'espace politique laissé par l'échec du Parti socialiste aux dernières municipales.

Atlantico : Selon l'Eurorolling Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio, le Front de gauche n'enregistre que 8% des intentions de vote aux prochaines élections européennes, EELV 7,5% , le NPA 2% et LO 0,5%. Comment expliquer l'échec de la gauche de la gauche à transformer l'espace politique laissé par l'échec du Parti socialiste aux élections municipales ?

Eddy Fougier : A mon avis, on ne peut tirer de conclusions définitives sur la base de ce seul sondage. Ce que l'on peut dire néanmoins, c'est que 8,5%, c'est bien entendu un score bien inférieur à celui réalisé par Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2012 (11,1%), mais c'est tout de même mieux que ce que le PCF et le Parti de gauche ont pu réaliser lors des dernières européennes en 2009 (6,1%). En outre, si l'on considère les intentions de vote en faveur de la gauche radicale au sens large du terme pour 2014 (FG, NPA, LO), on obtient à ce stade 11,0%, soit à peu près le score réalisé par les deux listes (extrême-gauche et PC-PG) en 2009 : 12,2%. Ce que l'on peut donc remarquer, c'est qu'il y a en France un vote "communiste" ou "néo-communiste" (PCF, PG, NPA, LO) qui est à peu près constant. Il s'est situé par exemple lors des présidentielles aux alentours de 11-14% entre 1988 et 2012 (si l'on excepte 2007). Par ailleurs, on s'aperçoit qu'au sein de ce vote, la balance penche de plus en plus en faveur du FG et de moins en moins en faveur de l'extrême-gauche (NPA, LO). Pour le reste, on doit admettre qu'il y a eu une sorte d'illusion au sein de la gauche de la gauche qui a consisté à croire que celle-ci pouvait bénéficier des difficultés rencontrées par le PS au pouvoir en tablant sur le fait que la liste FG pouvait même devancer la liste PS aux Européennes. C'est une illusion assez classique que l'on a pu constater aussi par exemple après la victoire du "non" lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen où certains au sein de la gauche radicale ont espéré voir l'un des leurs se qualifier pour le 2d tour de la présidentielle de 2007.

Aurélien Bernier : Le Front de gauche, et c'est encore plus vrai pour le scrutin européen, n'a pas de position suffisamment claire sur les questions européennes pour réussir à convaincre. Si l'on prend le dernier programme en date du Front gauche, à savoir celui de 2012, quasiment l'intégralité du programme est inapplicable au regard du droit européen. Quand le FG propose de taxer les richesses pour les redistribuer, de créer un service public de l'énergie ou des activités bancaires, toutes ces propositions se heurtent au droit européen. Le FG ne va jamais jusqu'au bout de la logique. Pour appliquer ce programme, il faudrait passer outre le droit européen et pour ce faire, il faudrait changer la constitution française car le droit européen est inscrit dans la constitution. Le FG n'arrive à convaincre ni de la légitimité de son programme au niveau national, ni au niveau européen.

Le FG représente la plus grosse organisation de la gauche radicale. Le NPA connait les mêmes problématiques. Il rejette les politiques ultra-libérales européennes et il critique tant qu'il peut le fonctionnement de l'euro. Le discours est un discours de gauche mais comme au FG, la méthode manque. Dans le contexte actuel, on ne sait pas comment il pourrait mettre en œuvre leur programme.

Pour EELV, la situation est encore plus terrible, ils sont véritablement sur une logique fédérale, la direction du parti l'assume. Pour EELV, point de salut en dehors de la construction européenne. Ils souhaitent finalement que les Etats se fondent dans une construction fédérale. Toute la stratégie d'EELV est basée sur l'idée que l'on peut changer l'Europe de l'intérieur mais pour cela il faut l'unanimité des Etats-membre. Le projet qui est porté par EELV qui n'est pas en rupture avec le capitalisme mais de rupture écologiste avec un volet reste également un doux rêve.

Depuis 2005 et la campagne du projet de traité constitutionnel, on constate un changement profond dans le paysage politique français. Cette campagne fut l'occasion d'expliquer à quel point les politiques européennes surplombent les politiques nationales. Il était temps, car le droit communautaire prime sur le droit national depuis le traité de Maastricht en 1992. On a mis du temps à s'apercevoir du rôle essentiel de l'Union européenne. Les partis politiques plutôt que d'intégrer cette dimension, ont fait l'impasse sur ce sujet. Ce n'est en sens pas seulement le positionnement sur l'Europe qui pose problème, c'est toute la crédibilité d'un programme nationale. C'est bien le programme national de 2012 du FG qui est incompatible avec le droit européen. Donc lorsque ces parti au niveau national se repose sur l'idée que l'on peut réformer la construction européenne de l'intérieur, ils ne sont absolument par crédibles. Les choses évoluent, le PG commence à parler de désobéissance européen sans aller jusqu'au bout en parlant de primauté du droit national. 

Entre Les Verts qui ne participent pas mais soutiennent le gouvernement, les tensions entre le PC et PG, etc… Le problème de l'extrême gauche réside-t-il dans ses divisions ? Sont-elles conciliables ?

Eddy Fougier : Je ne parlerai pas d'extrême gauche à propos du PC et du PG et encore moins à propos d'Europe Ecologie Les Verts, mais plutôt de gauche radicale. Mais au-delà, il est évident que les stratégies politiques ont été jusqu'à présent très divergentes, entre EELV, qui a participé au gouvernement Ayrault, le PCF, qui avait un pied dans la majorité et un pied dehors et qui a eu de nombreuses listes communes avec les candidats PS lors des municipales, et le PG, qui se situe ouvertement dans une opposition de gauche vis-à-vis du gouvernement et qui militait en faveur de listes autonomes aux municipales. Ces stratégies divergentes ont été très visibles entre le PCF et le PG lors des municipales. Ce qui a été tout de même notable, c'est que certaines listes communes entre le PCF et/ou le PG et EELV ont réalisé des scores non négligeables dans quelques communes et ont même pu gagner des mairies comme à Grenoble (liste commune PG-EELV). Cela correspond à l'objectif de Jean-Luc Mélenchon qui souhaite construire une majorité alternative vis-à-vis du PS qui irait de l'aile gauche du PS jusqu'au NPA. A mon avis, la question-clef n'est cependant pas tant celle des divisions entre ces formations politiques, car elles existent et elles existeront toujours plus ou moins, que celle de l'intégration ou non des Verts dans la nébuleuse de la gauche radicale et donc de la possibilité même de la mise en place d'une majorité alternative à gauche puisque celle-ci ne semble pas envisageable sans les Verts. La non participation des écologistes au gouvernement Valls pourrait laisser croire que le projet de Mélenchon est en train de voir le jour, mais ce que je remarque, c'est que 10 députés écologistes sur 17 ont voté la confiance au gouvernement Valls. Je ne vois donc pas dans l'état actuel des choses les Verts participer à ce qui serait cette majorité alternative.

Aurélien Bernier : D'un point de vue stratégique, le PC reste dans une alliance avec le PS, même si elle n'est pas de la même nature qu'à une certaine époque. Le PC ne participe pas au gouvernement mais aux élections locales le PC et PS continuent de s'allier. La problématique est la même pour EELV, d'autant qu'ils ont participé au gouvernement. Depuis que le PS a renoncé à mener des politiques de gauche, cette alliance avec le PS est absolument terrible : elle décrédibilise les partis. Historiquement, les effondrements électoraux qu'ont connus les communistes, correspondent aux participations au gouvernement avec les socialistes, en 1984. Le deuxième effondrement a lieu en 2002 après leur participation au gouvernement de la gauche plurielle. La solution serait d'être dans une opposition de gauche radicale et espérer être un jour majoritaire et battre le PS. Je crois que c'est possible, à condition d'être claire sur les grandes questions politiques.

La deuxième difficulté relève du fond plutôt que de la stratégie. Comme je le mentionnais précédemment, la question européenne est la principale. Les divergences des partis de la gauche radicale sur les questions européennes doivent absolument être réglées. On ne peut pas imaginer que la gauche radicale se redresse si elle ne clarifie pas ses positions sur les questions européennes. Il y a un d'un côté ceux qui pensent que l'on peut et qu'il faut réformer de l'intérieur, comme EELV et le PC qui ne veut pas entendre parler de rupture ni avec l'ordre juridique, ni avec l'ordre monétaire européenne, de l'autre côté une partie du Parti de Gauche semble prête à mener des politiques de rupture. Il va falloir choisir, one ne peut pas faire cohabiter ces deux positions.

Le diagnostic porté par la gauche de la gauche sur les mutations à l'œuvre au sein de la société semble, comme pour le FN, plutôt lucide sur certains points. Que dire des grilles de lecture qu'elle plaque sur ce diagnostic ? En quoi sont-elles anachroniques ?

Eddy Fougier : Ce qui semble être anachronique, c'est que la réponse à la désaffection vis-à-vis des socialistes et du gouvernement passerait par la mise en oeuvre d'une "vraie" politique de gauche et qu'il existerait par conséquent une attente massive vis-à-vis d'une telle politique en particulier au sein des catégories populaires ou des territoires en difficultés. Or, ce que l'on peut constater, c'est il n'existe pas nécessairement une attente de gauche. Différentes enquêtes montrent au contraire que les catégories populaires plébiscitent plutôt l'ordre, l'autorité et la sécurité, tandis que l'attente, si attente il y a de la part d'une opinion largement désabusée vis-à-vis de la politique, est une attente d'honnêteté et surtout d'efficacité, en particulier dans la lutte contre le chômage. La gauche de la gauche cultive donc depuis 1983 le mythe d'une "autre politique" par rapport aux contraintes européennes ou à ce que l'on appelait dans les années 1980 la "contrainte extérieure" qui ne semble convaincre plus grand monde.

Aurélien Bernier : On a toujours dit que critiquer la mondialisation revenait à vivre dans le passé et ne rien comprendre au présent. Cet argument de la modernité a fonctionné un temps. Mais aujourd'hui avec le désastre de la crise économique, cet argument ne tient plus une seconde et il y a une demande de régulation. Lorsque l'on pose la question de savoir si les citoyens veulent plus d'Etat et moins d'Europe ou plus d'Europe et moins d'Etat, la réponse à 70% est plus d'Etat et moins d'Europe. Relativement à la situation des années 1980, l'opinion a radicalement changé.

L'opposition entre le patronat et les salariés n'est pas anachronique non plus. D'ailleurs, une des principales différences entre le discours de la gauche radicale et du FN. Marine Le Pen considère qu'il faut dépasser le clivage des classes sociales car ce qui prime c'est la question nationale. Finalement, selon le FN, à l'intérieur de la nation, les salariés et les patrons auraient les mêmes intérêts.  La gauche radicale défend qu'il y a toujours une lutte des classes. Et les derniers à l'avoir affirmé dans les médias sont des gens de la classe dominante, notamment Warren Buffet. Le projet du FN est de maintenir le système capitalisme en l'aménageant pour défendre le national dans la concurrence internationale. Le projet de la gauche radicale est de réformer en profondeur la société et mettre en place une sortie du capitalisme.

Comment expliquer qu'en termes de politiques économiques le FN, dont le programme emprunte beaucoup à l'extrême gauche, parvienne à mobiliser davantage ?

Eddy Fougier : Le FN parvient à coup sûr à mobiliser davantage les soutiens que ne le fait le Front de gauche, en particulier au sein des catégories populaires. Mais je ne pense pas que ce soit sur la base des propositions économiques et sociales que le FN avance. On voit, en effet, dans les enquêtes d'opinion que le FN n'apparaît pas très crédible pour gouverner le pays, notamment sur le plan économique, et que la proposition, par exemple, de sortie de l'euro ne prend pas vraiment. Ce n'est donc pas certain que la "gauchisation" du discours économique et social du FN soit à l'origine de son succès actuel. Le rejet de la classe politique et plus largement des élites politiques, ainsi que le discours habituel du FN sur la sécurité, l'immigration, l'islam et l'identité nationale me semblent être davantage les clefs de son succès notamment auprès des ouvriers et des employés.

Aurélien Bernier : Le FN a réussi une opération remarquable quand au début des années 1990, il est passé d'une position ultra-libérale à une position anti-mondialiste. Jean-Marie Le Pen était un admirateur de Margaret Thatcher. Dans les années 1980, il estimait que la construction européenne était une chance car elle allait permettre de mener des politiques libérales et de réduire le poids de l'Etat. Le FN a opéré une transformation incroyable au moment de Maastricht. Ils se sont présentés comme anti-mondialistes, combattant la mondialisation néolibérale, et depuis ils ont capitalisé sur ces positions. Tant que Jean-Marie Le Pen était à la direction du parti il y avait néanmoins un plafond de verre.

L'arrivée de Marine Le Pen accentue cette tendance qui pille véritablement le programme de certains mouvements de gauche. Dans le même temps le parti communiste qui avait un discours anti construction européenne, et anti libre échange l'a abandonné, édulcoré au moment de créer la gauche plurielle.

L'échec de la gauche de la gauche est-il le signe d'une recomposition des lignes traditionnelles de clivage de la politique française ?

Eddy Fougier : L'échec principal de la gauche de la gauche réside dans son incapacité à attirer les suffrages des catégories populaires et donc à reconstituer le socle électoral dont a pu bénéficier le Parti communiste durant sa période de grandeur, soit avant 1978. La grille de lecture que le FG fait de la société actuelle n'a que peu d'impact sur ces catégories. Qu'on le déplore ou pas, en tout cas le clivage entre nationaux et étrangers paraît plus prégnant à leurs yeux que le clivage entre ouvriers et patrons. Cet échec s'explique avant tout par plusieurs illusions. La première, on l'a vu, est d'avoir cru que le programme d'une "gauche de gauche" pourrait convaincre les ouvriers. La seconde est justement d'avoir assimilé historiquement les ouvriers au progressisme. Ce mode de lecture traditionnellement marxiste ne correspond plus vraiment à la réalité. L'arrivée du FN à la tête de la municipalité ouvrière d'Hénin-Beaumont en a été le symbole par excellence. Enfin, la troisième illusion est de croire que le FG touchera les dividendes électoraux de l'échec socialiste comme a pu le faire le parti de la gauche radicale Syriza en Grèce par rapport au PASOK. Cela ne signifie pas pour autant que le Front de gauche n'a pas d'avenir politique en tant que tel, mais il est évident dans l'état actuel des choses que le Front de gauche ne sera pas le Syriza (principal parti de gauche en Grèce, ndlr) français comme en rêve Jean-Luc Mélenchon.

Aurélien Bernier : Je pense que l'on peut toujours parler de gauche et de droite. Même si on niveau économique les politiques menées par le PS brouillent les choses.

Le Parti socialiste brouille cette définition. Ce qui s'est produit en mai 2005 autour du projet de traité constitutionnel européen, c'est la fracture entre la gauche sociale-libérale et la gauche radicale. Mais la recomposition n'a pas été jusqu'au bout, la logique aurait voulu qu'on ait un pôle social-démocrate et un pôle de gauche radicale, acceptant de désobéir à l'UE. Malheureusement cette recomposition ne s'est pas produite. Le soir même du 29 mai 2005, certains ont appelé a dépassé les clivages entre le oui et le non avec l'élection présidentielle de 2007 en ligne de mire. Cette recomposition autour du refus de la construction européenne se fera forcément sinon la gauche radicale disparaitra. Soit elle n'aura plus aucune utilité, car ces programmes ne seront que théoriques et n'auront aucune vocation à être appliquées.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


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