Mehdi Nemmouche, bourreau en Syrie : comment le djihad s’est transformé en aimants à sadiques et autres insatisfaits en manque de puissance<!-- --> | Atlantico.fr
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Mehdi Nemmouche aurait été le gardien des otages en Syrie
Mehdi Nemmouche aurait été le gardien des otages en Syrie
©Capture d'écran

Décapitateurs

Selon les informations du Monde, l'auteur présumé de la tuerie de Bruxelles aurait été l'un des gardiens des otages français en Syrie, et de l'américain James Foley, décapité et égorgé le 20 août par l'Etat islamique en Irak.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Peut-on mettre en lien le fait de participer à une lutte comme le djihad, avec toutes les atrocités que celui-ci suppose au sein de l’Etat islamique, avec un besoin de faire parler une violence intérieure ? Peut-on aller jusqu’à parler dire que les guerres attirent les psychopathes ?

Jean-Paul Mialet : Les guerres sont par nature des temps de violence, elles attirent donc les personnes qui éprouvent le besoin d’exister à travers cette violence. Dans un tel contexte, des comportements brutaux et cruels sont considérés comme légitimes, voire louables, alors qu’ils seraient réprouvés en temps de paix. Les individus au tempérament agressif, impulsif et violent y trouvent donc leur compte. Mais vous employez le terme de psychopathe de façon abusive et je tiens à rectifier car je ne crois pas heureux de mettre du psychiatrique partout.

Pour nous psychiatres, le terme "psychopathe"  désigne une instabilité caractérielle pathologique associée à une incapacité d’intégrer les règles sociales qui rend la conduite imprévisible et empêche toute insertion satisfaisante dans la collectivité. Le psychopathe n’est certes pas capable d’être notaire, mais pas davantage gangster, car dans le "milieu" il serait vite éliminé. Les personnes agressives qui aiment le risque et ne répugnent pas au comportement violent ne sont pas des psychopathes irresponsables, mais des variétés d’individus "normaux". Ce type d’individu peut avoir sa place en temps de paix. Pour faire partie des forces spéciales, par exemple, mieux vaut disposer de ce genre de tempérament. La guerre constitue néanmoins pour eux un terrain d’expression particulièrement favorable. Pour avoir suivi des proches d’hommes qui avaient participé à des commandos héroïques pendant la Seconde guerre mondiale, je peux vous dire que ces derniers étaient de sacrées têtes brulées et qu’en temps de paix, ils éprouvaient une certaine difficulté à trouver leur place.

>> Lire également en deuxième partie d'article : Mehdi Nemmouche, geôlier des otages français en Syrie : Nicolas Hénin témoigne

La cause défendue – l’Etat islamique en l’occurrence – est-elle un pur prétexte à l’expression de cette violence ?

La cause donne un sens à l’existence, or nous cherchons tous un tel sens. Bien souvent d’ailleurs, la guerre est motivée par une "grande cause", et donne ainsi un sens à l’existence – et à la mort – de ceux qui y participent. Cette cause peut aussi, comme on vient de le voir, donner un sens à la violence que l’on porte en soi. Toutefois, si la guerre attire les personnes au tempérament violent, elle entraîne également dans la violence ceux qui à la base étaient d’un tempérament plus pacifique.

Au cours de ma carrière j’ai reçu les confidences d’un certain nombre d’anciens de la guerre d’Algérie. Je me souviens entre autres d’un respectable banquier ; selon lui, si les anciens combattants de cette guerre se manifestaient si peu, c’est parce qu’ils se sentaient tous honteux. Il avait été mobilisé encore jeune étudiant, à la fin de ses études de droit, et en six mois, me disait-il, on "avait fait de lui un tueur". En fait, il semble que n’importe lequel d’entre nous devient assez facilement un tueur quand le contexte l’y porte. A noter que sur le tard, Freud, frappé par le besoin de destruction humain, s’était résigné à ajouter aux pulsions de vie ("Eros") des pulsions de mort ("Thanatos").

Est-ce parce que la paix est insupportable pour les personnes violentes par nature qu’elles se précipitent dans les conflits ?

Des gens au tempérament combatif peuvent réussir à vivre dans un contexte pacifique, en exprimant leur violence ailleurs que dans le fait de s’imposer par la force à son prochain. Il m’a semblé déceler chez les grands entrepreneurs, ceux qui bâtissent un empire, une certaine forme de violence : disons, une violence constructive nourrie par une volonté de puissance profitable à la société. La guerre – la vraie, celle qu’on mène avec des armes – fournit à la fois une cause, un sens et une possibilité d’expression à une autre forme de violence, la violence barbare ; elle autorise une violence crue que la société civile interdit en temps de paix. Mais surtout, ne commettons pas l’erreur de psychiatriser la guerre. Elle est menée par des humains ordinaires – vous et moi ; elle est un mouvement de violence collective qui surgit quand les conflits ne peuvent plus être réglés par le dialogue ; elle entraîne dans son sillage les violents mais aussi les pacifiques.

Quel est le sens recherché par des combattants comme ceux de l’Etat islamique, et notamment ceux qui ont procédé à des exécutions ?

Le djihad répond à un idéal et donne en principe à la conduite de ceux qui s’y consacrent un sens absolu : c’est la question de la sainteté de cette guerre déclarée "sainte". Ce n’est pas rien de servir une cause transcendante ! Mais à côté de cet idéal, la violence sert également l’appétit de puissance. Et, pour certains des djihadistes ultra-violents, la guerre sainte n’est sans doute qu’un prétexte à laisser libre cours à leur appétit de puissance en leur donnant droit de vie et de mort sur leur adversaire. La possibilité de soumettre autrui par la violence ne se vit pas sans jubilation, dès lors qu’on se l’autorise : celui qui a tenu un revolver face à une personne désarmée vous dira combien il est agréable de sentir le pouvoir qu’on exerce sur l’autre. Entre idéal et volonté de puissance, il n’est pas facile de distinguer ce qui représente la motivation principale chez les djihadistes.

Les personnes ayant le sentiment d’être laissées de côté par la société sont-elles plus sensibles à l’appel de la violence en tant que mode d’expression ?

Les laissés pour compte ont un besoin particulier d’exister, et peuvent le trouver dans l’exercice de la violence, certes, mais plus encore dans la poursuite d’un idéal. Alors quand les deux objectifs peuvent être poursuivis de façon concomitante, l’attirance est grande ! Mais il n’y a pas que les laissés pour compte. On trouve parmi les djihadistes des diplômés de grandes universités. Dans un monde occidental pacifique déserté par tout idéal, le djihad offre la possibilité de donner un sens majeur à l'existence de ceux qui considèrent que leur vie est terne et ne rime pas à grand-chose. Cette fascination dangereuse pousse à s’interroger : le djihad ne serait-il pas, à certains égards, l’image en miroir de notre monde stérilisé où seul le neutre et l’indifférenciation sont proposés, où seuls comptent la performance et le profit, qui se gargarise de valeurs abstraites mais ne sait plus pratiquer le lien humain, et qui finit par sécréter des haineux ?

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