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Médicaments dangereux : comment l’art du traitement devrait remplacer l’art du diagnostic pour éviter les scandales et les morts
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Bonnes feuilles

Des dépenses de 1,2 à 2 fois supérieures à celles des autres grands pays, soit 10 à 15 milliards d’euros jetés par les fenêtres, sans bénéfice pour la santé et aux dépens des véritables priorités : hôpitaux, infirmières, handicaps physiques et mentaux, vieillesse. Ce guide s’adresse d’abord aux malades, à leurs familles et aux praticiens, qui, bien plus que les spécialistes, sont le cœur de la médecine, pour faciliter le dialogue et les éclairer sur l’efficacité et les risques des médicaments. Extrait de "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des Pr Philippe Even et Bernard Debré, aux éditions du Cherche Midi (1/2).

Philippe Even

Philippe Even

Philippe Even est professeur émérite et ancien vice-président de l'université de Paris-5, ancien doyen de la faculté de médecine Necker et ancien président de l'institut Necker.

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Bernard Debré

Bernard Debré

Bernard Debré, né le 30 septembre 1944 à Toulouse, est un urologue et homme politique français. Il est député de 1986 à 1994 et de 2004 à nos jours (4e circonscription de Paris), et a été ministre et maire d'Amboise. Il est le fils de Michel Debré, frère (faux-jumeau) de Jean-Louis Debré et le petit-fils du célèbre pédiatre Robert Debré.

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Pourquoi les risques des médicaments sont-ils si négligés ?

Ne pas repérer et recenser les AT prévisibles des antidiabétiques, des anticoagulants, des diurétiques, des antipsychotiques est impardonnable, car on les connaît, on les prévoit, on les attend. Mais pourquoi est-il si difficile de repérer la plupart des autres AT ?

Ni la formation initiale des médecins en faculté, ni leur formation continue au long de leur carrière ne répondent aux exigences de la thérapeutique d’aujourd’hui.

Partout en Europe, sauf en Finlande et en Norvège, la formation continue est totalement abandonnée à l’industrie (ce n’est plus le cas aux États-Unis, cf. New England Journal of Medicine, 22 mars 2012, p. 1069), qui prétend sans vergogne avoir « vocation » à assurer cette mission. Ainsi s’y engage-t-elle à travers les séances de formation qu’elle organise, à travers l’action de ses visiteurs médicaux (les « visiteurs du diable » qui, à bac + 2, ne savent rigoureusement rien de la médecine et de la biologie, mais que chaque médecin reçoit encore au rythme moyen de 8 par semaine), et à travers les séminaires et les congrès qu’elle finance partout où le soleil brille (cela ne lui coûte guère : 150 milliards d’euros de bénéfices par an, un – un seul ! – pour payer les conférenciers, et aucun pour payer le voyage et l’hôtel aux « congressistes ». Des queues de cerise !) et de préférence en bord de mer, pour y faire parler les trop nombreux universitaires qu’elle rétribue généreusement afin de promouvoir ses nouveaux médicaments ; ce qu’ils se gardent bien de dire, alors que la loi leur en fait l’obligation. Mais ils se prêtent à ce jeu, par intérêt financier. Elle l’étend d’ailleurs à la formation des patients, et le fait évidemment pour assurer la promotion de ses produits.

Même influence des firmes à  travers les sociétés (dites) « savantes » des grandes disciplines et l’Académie de médecine ellemême, qui ne vivent financièrement que par le soutien constant des laboratoires. La presse, dite « médicale », est le simple appendice de l’industrie, et elle est la propriété directe ou indirecte des firmes masquées derrière de grands groupes financiers internationaux, directement financés eux-mêmes par l’industrie, tel « United Business Media », implanté dans 30  pays, employant 5 000  personnes, éditeur du Quotidien du médecin, du Quotidien du pharmacien et du Généraliste (aucun besoin de quotidien pour s’informerde l’évolution de la médecine, un trimestriel suffirait, mais besoin pour endoctriner, marteler sans cesse les mêmes contrevérités qui finissent par devenir des vérités à force d’être répétées) ou encore de Décision santé, de Vidal News, de Vidal famille, et organisateur du « salon » annuel de la médecine, le « MEDEC ». Parlons aussi de la « CEGEDIM », implantée dans 80 pays, avec 8 500 collaborateurs, disposant d’un budget de 850 millions d’euros, leader mondial du CRM, « customer relationship management », qui contrôle tous les logiciels de prescription médicale, avec son CHS, « Cegedim healthcare software », et son fichier OneKey, et se trouve être le principal acteur du Web avec sa base de données mercantile « Claude Bernard »... agréée par l’HAS ! Les marchands étaient aux portes du temple. Ils sont dedans et ils en sont eux-mêmes le clergé.

Voici, à  titre d’exemple, pour quels médicaments leaders de l’année votaient non pas « les » mais « des » médecins généralistes, pour le Grand Prix thérapeutique de ces feuilles de chou : en 2003, Actos, Avandia, Ketek et Vioxx, les 4 interdits aujourd’hui après beaucoup de morts ; en 2004, la mémantine, radicalement inefficace dans l’Alzheimer, et Ixprim, mélange de paracétamol et de tramadol – exactement aussi « dangereux » que le Di-Antalvic, interdit. Ne parlons pas du prix Galien accordé successivement au Vioxx – des milliers de morts – et au Dabigatran. Un mot encore du grand prix d’Impact médecine, reparu sous le nom d’Impact médecin – sans « e » – après une première interdiction et aujourd’hui disparu pour avoir fait paraître un article défendant Servier signé d’un collaborateur fictif... qui n’était autre que Servier lui-même ! Une feuille dont le classement des 10 premiers médicaments était en 2005 proportionnel au nombre de pages de publicité de ces médicaments dans le journal !

Une seule exception, la revue Prescrire, 30 000 abonnés, dont seulement 15 000 des 60 000 généralistes. Un guide austère, rigoureux, sans concession, que devraient lire tous les médecins et qui sauve l’honneur de la presse française des médicaments. On peut, pour l’essentiel, croire leurs rédacteurs les yeux fermés. L’Agence du médicament, ce sont eux, et pourtant ils ne sont pas 1 000 et n’ont pas un budget de 110 millions d’euros. Il leur a fallu beaucoup de travail et de rigueur pour ne jamais dévier, ne jamais se décourager, parce qu’il est difficile d’aller à contre-courant du « buzz marketing » créé par les firmes et leurs sbires universitaires, et de faire fi de l’indifférence de l’establishment médical (professeurs de thérapeutique compris qui ne font même pas lire la revue aux étudiants et qui sont de facto complices de l’industrie), un establishment qui les ignore ou trouve leurs articles « excessifs » alors qu’ils ne les lisent pas.

Et puis, il y a de petits groupes de médecins, libres, bien informés, actifs, tel le Formindep, créé par l’exceptionnel Ph.  Foucras et aujourd’hui dirigé par Anne Chailleu, avec, à ses côtés, Ph. Nicot, J.-S. Burdes, et mes amis Paul Scheffer et Sylvain Duval, entre autres.

L’art du traitement devrait remplacer l’art du diagnostic

Tout cela serait finalement sans gravité si les médecins avaient reçu une formation thérapeutique appropriée, qui leur aurait donné l’habitude d’une lecture critique des meilleurs journaux et leur permettrait de décoder, sur le double plan scientifique et statistique, les résultats publiés des grands essais cliniques financés par l’industrie.

Mais qui pourrait bien le leur apprendre ? Leurs enseignants sont tout aussi gobe-mouches qu’eux, car la plupart n’ont aucune expérience du trucage des essais cliniques et le reste participe activement ou passivement à ces trucages permanents. Des borgnes enseignant à des aveugles. L’enseignement se limite à l’apprentissage théorique mémoriel et quasi exclusif des maladies graves, celles qui s’observent à l’hôpital, celles des « spécialistes », mais rien sur la prise en charge des maladies courantes, des symptômes ressentis du quotidien. C’est-à-dire ce dont se plaignent 250 des 300 millions de patients venant consulter chaque année un géné- raliste et dont chacun énumère ces symptômes qui peuvent être aussi bien bénins qu’annonciateurs d’une pathologie grave. 

À cela s’ajoute la carence de l’enseignement de la pharmacologie et de la thérapeutique, limité à 50 heures en 6 ans pour les deux, et que ne complète pas l’étude des traitements de chaque maladie exposés dans le cadre de l’enseignement des spécialités (cardiologie, rhumatologie, etc.), car l’aspect thérapeutique y est toujours réduit à quelques mots et à des textes remis aux étudiants. Bâclé.

L’enseignement en est resté à ce qu’il était il y a 50 ans, quand la thérapeutique n’existait pas, entièrement centré sur la description des maladies et sur les démarches diagnostiques visant à les identifier. Longtemps, le diagnostic a été roi, considéré comme la clé de voûte de la médecine.

Tout a changé. Les programmes ne s’en sont pas aperçus. Aujourd’hui, le diagnostic est une démarche simple, tant les examens biologiques et d’imagerie l’ont facilité. En pratique, il suffit de pianoter sur quelques touches et de demander des kyrielles d’examens complémentaires, dont la plupart sont inutiles, et le diagnostic tombe tout rôti sur l’écran ou peu s’en faut.

À l’opposé, la thérapeutique s’est extraordinairement compliquée et pervertie. Les grandes difficultés tiennent au choix du ou des médicaments, au choix des doses, de la durée, des associations de molécules, tenant compte de ce que l’on sait (très mal) des interactions médicamenteuses, au suivi thérapeutique ; et il faut rester à l’affût des résultats, mais aussi de ce qui pourrait être l’indice de complications attendues ou inattendues. Aujourd’hui, l’art du traitement devrait remplacer l’art du diagnostic, et à cela nos étudiants ne sont pas formés.

Extrait de "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des Pr Philippe Even et Bernard Debré, publié aux éditions du Cherche MidiPour acheter ce livre, cliquez ici

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