Mediator : les questions qu’il va falloir se poser sur la “fabrique” d’un scandale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le procès Servier aura lieu l’an prochain.
Le procès Servier aura lieu l’an prochain.
©Reuters

Ce qu'on n'ose pas dire

Dans un livre au vitriol, le Professeur Jean Bardet, cardiologue, ancien parlementaire et membre du Comité consultatif national d’éthique, pose les questions qui ne manqueront pas d’être au cœur du procès Servier, l’an prochain.

Jean Bardet

Jean Bardet

Jean Bardet est cardiologue et professeur des universités – praticien hospitalier à l'université Pierre-et-Marie-Curie; chef du service de cardiologie de l'hôpital Saint-Antoine à Paris de 1997 à 2007. Il a été membre du Comité consultatif national d'éthique, et député RPR puis UMP du Val d'Oise.

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Atlantico : Vous êtes cardiologue, ancien député, vous avez fait partie de la Mission parlementaire sur le Mediator et venez de publier "L'affaire Mediator, un devoir de vérité" (QDA Editions). Dans cet ouvrage vous dressez de l'affaire Mediator un tableau très lointain de celui habituellement fait. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Jean Bardet : J'avais compris dès le départ que la réalité n'était pas celle qu'on nous racontait ou qu'on nous imposait. Je suis cardiologue, j'ai été député pendant 23 ans, je suis citoyen ; je connais la surpression politique, le poids de l'opinion publique et le temps nécessaire pour que les faits et la réalité retrouvent la place qui, dans nombre de scandales, aurait toujours dû être la leur. Ils sont une réalité de notre démocratie médiatisée, à la fois un moteur et aussi un danger.

D'entrée, j'ai eu des doutes. Je ne connaissais rien du dossier mais j'avais été frappé par l'interdit qui pesait sur le débat, l'impossibilité de traiter les questions froidement, de faire ce travail qui est normalement l'un de ceux de la représentation nationale. Je questionnais ; on me coupait ; je demandais des chiffres, des données; on me les refusait. MM. Bapt, le président, mes confrères, à double titre, Debré et Even, d'autres intervenants multipliaient les interventions indigentes, voire ineptes ; ils étaient écoutés, cités, repris. Au contraire, des témoignages ont été  ignorés par la commission. Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand a jeté en pâture des chiffres spectaculaires qui ne sont plus là aujourd'hui. Quant à Madame Frachon, la réalité des choses, aujourd'hui, justifie de lancer une sérieuse alerte contre le sérieux de cette lanceuse d'alerte. Dans un livre navrant de platitude, elle rapporte deux cas de décès, qu’elle attribue au Mediator, sans donner aucun renseignement sur la comorbidité : glycémie, cholestérol, tension artérielle, électrocardiogramme, etc.

Que sait-on aujourd'hui du nombre réel de victimes et ce qui avait été avancé au moment où le scandale a éclaté ? Quelles conséquences cela a-t-il eu sur l’indemnisation des victimes ? 

Avant de répondre, car la question est grave, je tiens à dire une vérité au cœur de ma passion de médecin, laquelle est l'engagement d'une vie : un seul mort est un mort de trop. Et je le dis avec gravité et sincérité. Mais je sais que je perturbe en demandant simplement d’analyser les chiffres rapportés par les différents intervenants, Madame Frachon elle-même, Catherine Hill, le docteur Fournier, le Professeur Tribouilloix, l’IGAS, ce que n’importe quel observateur de bonne foi aurait pu faire. Et ces chiffres montrent que suivant les estimations les plus pessimistes ou les plus optimistes, la mortalité peut être évaluée dans une fourchette de 35 à 125 morts. Ce qui est bien loin des 2000 victimes annoncées dans la presse et non démenties par le ministre de la santé de l’époque, Xavier Bertrand. Les premiers rapports de l’ONIAM tendent  à confirmer ce que je disais lors de la mission parlementaire. Dès lors, comment expliquer qu'on ait un temps pris pour vérité un nombre 70 fois plus élevé ?

Il ne s’agit  pas d’entrer dans une bataille de chiffres inappropriée. Mais il faut bien s'interroger ! Car c'est à partir de cela que l'on a, pour l'affaire Mediator, créé un "régime d'exception". N'a-t-on pas institué un régime d'indemnisation totalement dérogatoire des pratiques habituelles pour multiplier le nombre de "victimes" affichées ? En fait, à travailler sur ce dossier, on s'aperçoit que rien n'est vraiment normal. Mais le plus souvent, pas dans le sens généralement raconté !

Vous insistez dans votre livre sur le rapport de l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) et dénoncez son contenu et la façon dont il a été réalisé...

Il nous avait été présenté comme une espèce de "Bible". C'est durant nos travaux que j'apprendrais qu'il avait été réalisé en dépit de la bonne foi, de nos principes de droit et… des propres règles de l'IGAS. Sans contradictoire. Je le disais. Ça gênait. Je devais, avec d'autres, être, sinon exécuté, en tout cas interdit. J'ai voulu, depuis, comprendre pourquoi ? Et je n'ai cessé d'aller de découverte en découverte. Le calcul initial de l'estimation de victimes ? Scientifiquement contestable et effectué à partir de données que la CNAM conserve comme s’il elles étaient atomiques !

Comment expliquer que les événements aient été présentés de la sorte ? 

Ce n'est pas à moi de le dire. Je pose des hypothèses dans mon livre. Cette investigation que j'ai donc décidée, je l'ai menée avec les moyens à la disposition du public. N'en déplaise à ceux qui ont crié, accusé, drapés dans les plis confortables de la pureté politico-médiatique, l'affaire Mediator n'est pas ce qui a été dit. Et la question désormais attend d'être posée, inévitablement, de savoir comment l'embrasement a pris. Comment le scandale a été mis en place, constitué, "fabriqué" ? Par qui ? Pourquoi ? C'est à MM. Bertrand, Morelle, Bapt et Debré de répondre. Et aussi à Irène Frachon, mais il me semble qu'on l'entend beaucoup moins.

Peut-on en conclure que le scandale du Mediator n'est pas celui qu'on a voulu nous faire croire qu'il était ?

Il est clair que le groupe Servier a fait des erreurs. La justice le poursuit. Mais l'affaire Mediator n'a plus les contours du scandale initial ; les ingrédients du "scandale sanitaire du siècle" n'ont été réunis que durant une saison politico-médiatique. Le temps de la justice arrive ; tant mieux ; il faut espérer qu'elle sera sereine. Mais que vont dire Madame Frachon, MM. Bapt, Debré, Morelle ou Bertrand quand cette heure va arriver ? Dans la fabrication par des responsables de haut niveau d'un hurlement gigantesque, n'y a-t-il pas une forme d'atteinte à nos principes, à notre vivre ensemble, à l'équilibre de notre société, au respect des malades et des citoyens ? Je crois qu'il faut poser la question. C'est le symptôme d'un problème grave de notre démocratie. Je sais qu'elle sera posée plus largement demain.

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