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Mauvaise surprise : la Californie qui s’attendait à une baisse de la criminalité suite à la légalisation du cannabis constate l’inverse
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Mince alors

Légalisé pour un usage médical dès 1996 et pour un usage récréatif en 2017, le cannabis ne fait pas les beaux jours de la Californie, contrairement à un certain nombre d'idées reçues. Pire, alors qu'on s'attendait à une baisse de la criminalité, le "Golden State" est devenu un havre de paix pour les criminels.

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

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Franck Zobel

Franck Zobel

Franck Zobel est analyste des politiques en matière de drogue à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT).  L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies collecte des données auprès de trente pays : les vingt-sept États membres de l'Union européenne, deux États candidats, la Croatie et la Turquie, et la Norvège.

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Atlantico : Depuis janvier 2018, la consommation de cannabis est légale en Californie. Mais alors que les autorités s’attendaient à ce que sa légalisation entraîne une baisse de la criminalité, c’est l’effet inverse qui s’est produit.  Comment expliquer que légalisation ne coïncide pas avec baisse de la criminalité ? D’autre part, son prix a augmenté, pourquoi ?

Franck Zobel : La situation en Californie, et aux Etats-Unis en général, est très particulière. Il y a 15-20 ans différents Etats ont approuvé des initiatives populaires autorisant l’usage de cannabis à des fins médicales. Mais, comme les lois étaient peu claires et que les gouvernements locaux n’ont pas été capables de réguler le marché du cannabis « médical » il y a eu un grand flou tant au niveau de l’usage, avec des consommations récréatives sous couvert d’usages médicaux, que de l’offre, avec un marché gris-noir qui s’est développé sans grand contrôle. Aujourd’hui, avec la légalisation du cannabis récréatif, on reste dans le flou puisque l’Etat fédéral américain continue d’interdire l’usage et la production de cannabis alors que certains Etats l’ont légalisé. Le marché est donc encore dans une zone d’incertitude avec, comme le note l’article que vous citez, par exemple des difficultés pour ouvrir un compte en banque pour les entrepreneurs de ce secteur. On a donc encore une situation favorable à certaines formes de criminalité, notamment parce que les personnes volées ne peuvent/veulent porter plainte. On ne peut toutefois en conclure que la légalisation créé plus de criminalité. C’est l’inverse qui se produit comme peuvent en attester la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis il y a un siècle ou les marchés actuels de la cocaïne et de l’héroïne dans le monde. A mon avis, quand les Etats américains auront mis de l’ordre dans leurs marchés du cannabis, on ne parlera plus guère de cela.

Le prix du cannabis dans les Etats américains qui l’ont légalisé n’a pas augmenté mais fortement diminué en raison de la très (trop) grande offre et concurrence. On observe ce phénomène dans presque tous les nouveaux marchés du cannabis. Il faudra sans doute attendre encore pour que ces marchés trouvent un équilibre et que les prix se stabilisent. D’un point de vue de santé publique, l’évolution des prix aux Etats-Unis suggère qu’il faudrait introduire un « prix minimum » pour le cannabis afin de ne pas être confronté à des prix trop bas pouvant encourager la consommation.

Stéphane Quéré : Avant tout, il faut noter un paradoxe assez surprenant : la Californie qui est, sans doute, l'Etat américain le plus écolo, a légalisé la plante la moins "écolofriendly" au monde, c’est-à-dire une plante qui nécessite énormément d'eau et d'énergie afin de pousser (pour les cultures). C'est assez curieux pour des gens qui se déclarent porter sur l'écologie...

Ensuite, en termes de hausse de la criminalité il est assez difficile de se prononcer car il y a de multiples facteurs qui entrent en jeu. Il faut noter que la Californie est un Etat un peu particulier puisque d'une côté, il est proche du Mexique et est donc affecté par sa recrudescence criminelle et de l'autre, il y a une réelle culture des gangs dans le comté de Los Angeles.  Il est donc difficile de voir qui influe sur quoi exactement. Cependant, il est indéniable que le boom de l'économie verte attise des convoitises.

En ce sens, on note une multiplication des gangs de voleurs qui venant dérober les plants des producteurs légaux et illégaux donnant ainsi lieu à une recrudescence de la violence. Du côté des producteurs, on a depuis la légalisation deux choix possibles : soit rester dans l'illégalité, c’est-à-dire profiter d'un produit non taxé avec les problèmes qui vont avec, soit basculer dans la légalité (mais qui dit légal dit taxes…). Le principe est le même qu'avec les produits taxés tels que l'alcool ou le tabac, on a forcément de la contrebande, à cause des taxes en question.

Quant à l'évolution des prix, on peut noter que le prix de la marijuana a baissé en Californie. Cependant, les Etats-Unis étant un Etat fédéral, et étant donné que tous les Etats n'ont pas légalisé le cannabis, il est normal de voir son prix fluctuer, notamment sur la Côte Est où la marijuana "made in California" est réputée...

En France, le débat sur la dépénalisation du cannabis avait été relancé en début d’année et sa consommation pourrait bientôt être autorisée dans le cadre médical. Doit-on s’attendre à des effets similaires à ceux observés en Californie ?

Stéphane Quéré : C'est la même question qui s'est posée au Canada lors du débat autour de la légalisation du cannabis cette année. D'un point de vue strictement financier il va sans dire que la légalisation du cannabis est un bon point pour les finances publiques, ce qui est, par les temps qui courent, non négligeable. Au niveau, de la hausse ou non de la criminalité, il est dure de se prononcer quant à l'influence réelle de la mesure.

Mais il y autre une autre question toute aussi importe qu'il nous faut prendre en compte : quels produits –type de cannabis- sont légalisés ? Dans le cannabis, il y a tous les produits dérivés qui rentrent en compte. Comme dans l'alcool : on a tout ce qui peut exister entre le panaché et l'alcool fort. Pour le cannabis c'est pareil. L'important est donc de savoir quel produit est vendu, avec quelle puissance, avec quelle dosse de THC...

C'est ici qu'un problème se pose. Par exemple, un produit vendu légalement est récemment apparu au Canada, or ce produit -le Wax- est extrêmement dosé et peut contenir de 80 %  à 95% de THC. Ceci, est extrêmement nocif et nous fait basculer de la case des drogues douces à celle des drogues dures, voire très dures.

Une deuxième question se pose également, une fois le produit légalisé, il convient de déterminer qui peut s'en procurer. Au Canada, suite à la légalisation du cannabis sur l'ensemble du territoire, ce sont les Provinces qui ont dû individuellement légiférer sur les conditions d'accès. Certains voulaient faire passer l'âge légale de 18 à 21 ans (mais de toutes façons, pas de mineurs) ; d'autres voulaient légiférer sur les "conditions" d'achat (un conducteur de bus ou d'avion doit-il être à même de pouvoir s'en procurer ?)…

Quant à la question de l'infiltration du crime organisé dans le trafic de la marijuana, on a observé une chose en Californie et au Canada : derrière les licences permettant la culture et la vente légale de cannabis se cache parfois des sociétés, trusts, etc… provenant des Bermudes, de Dubaï et autres paradis fiscaux, dont on ne peut réellement établir l'identité. Ainsi, il n'est pas rare qu'il s'agisse de mafias ou de gangs. Au Canada, par exemple, sous des commerces légaux se cachaient en réalité des  réseaux vietnamiens, de  la mafia montréalaise ou de gangs de motards.
Sortir des marchés illégaux permet à ces réseaux de blanchir de l'argent issu d'activités illégales plus facilement et de façon moins coûteuse. Même s'il y a des taxes, cela reste moins cher que le blanchiment. Pour ce type d'organisations c'est très intéressant.

Franck Zobel : La prescription médicale de cannabis ne va pas concerner l’herbe ou la résine de cannabis mais des médicaments dûment homologués autorisés uniquement pour des pathologies spécifiques. Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe aux Etats-Unis. Quant au débat sur la légalisation et régulation du cannabis à usage récréatif en France, il existe mais il ne me semble pas porteur de changement jusqu’ici. Les condamnations de vendeurs de cannabis CBD (le cannabis qui n’a pas d’effets psychotropes) ou l’introduction d’une amende forfaitaire pour consommation de drogue me semblent être des mesures du XXème plutôt que du XXIème siècle.  

D’autre part qu’advient-il du nombre de consommateurs ? La légalisation conduit-elle a un boom des consommateurs ? 

Stéphane Quéré Je ne suis pas certain que l'on ait le recul nécessaire pour observer un boom des consommations. Ce que l'on note c'est que l'accès au produit étant rendu plus simple, il est nécessaire d'investir davantage dans la prévention des risques liés à la consommation (troubles psychiatrice, de l'attention,...). On constate aussi dans le Colorado une augmentation des accidents de la circulation liés à la consommation de cannabis, parfois couplée avec l'alcool. C'est aussi le cas déjà en France, alors que le cannabis n'est pas dépénalisé !

Dans le cadre d'une légalisation thérapeutique, on observait en Californie, avant la légalisation complète du cannabis, une utilisation abusive des ordonnances permettant d'obtenir de la marijuana. Il y avait notamment un club de motard dont tous les membres possédaient une ordonnance permettant d'obtenir du cannabis. Ces abus existaient du fait de médecins corrompus et du manque de contrôle des ordonnances à l'époque.

Franck Zobel : Il y a très certainement une hausse des consommateurs, au moins dans un premier temps, notamment en raison de la curiosité, de la plus grande diversité des produits offerts sur un marché légal et de la plus grande accessibilité. On voit ainsi au Colorado, le premier à avoir mis en place un marché légal, une hausse du nombre de consommateurs dans différentes groupes d’âge mais pas chez les mineurs. La grande question est de savoir si cette hausse va perdurer, si elle sera aussi synonyme d’une hausse des problèmes (accidents de la circulation, dépendance, etc.), si elle va s’ajouter à la consommation d’alcool existante ou en remplacer une partie, etc. Il est malheureusement encore trop tôt pour répondre à toutes ces questions et faire un bilan raisonnable, plutôt qu’idéologique, des effets de la légalisation du cannabis. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que si on légalise le cannabis il faut se donner les moyens de contrôler le marché par des taxes, des restrictions de vente et de publicité, et d’autres mesures. Le marché du cannabis, comme de tout autre produit, fait très rapidement naître des lobbys qui s’engagent en faveur de restrictions aussi faibles que possible. Il faut absolument se donner les moyens d’y résister si l’on veut protéger la santé publique..

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