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Matteo Salvini, chronique d’un retour annoncé
©TIZIANA FABI / AFP

Revanche de la Ligue ?

Matteo Salvini s'implique dans la campagne au sein de la région d’Emilie-Romagne en Italie qui s'apprête à voter ce 26 janvier. En cas de victoire, dans ce fief historique de gauche, il pourrait réclamer des élections législatives anticipées.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : L'ancien Ministre de l’Intérieur italien du premier gouvernement Conte (2018-19), et leader de la Ligue, le milanais Matteo Salvini, va tenter de remporter ce dimanche les élections régionales d'Émilie-Romagne, dans le nord de l'Italie. Quels sont les enjeux de ce scrutin pour l'ancien élu ?

Christophe Bouillaud : Rappelons brièvement les faits. Au printemps 2018, à la suite d’élections générales anticipées,  la Ligue de Matteo Salvini, avec 17% des suffrages, dépasse le parti de Silvio Berlusconi et conquiert ainsi l’hégémonie au sein de la droite italienne. Au même moment, le Mouvement Cinq Etoiles (M5S),  dirigé par le napolitain, Luigi di Maio, remporte les élections en devenant le premier parti italien avec 32% des suffrages. Le M5S est un mouvement qui se veut ni de droite ni de gauche et qui prétend faire entrer la démocratie directe dans la démocratie représentative. Après quelques tergiversations, la Ligue et le M5S forment un gouvernement sous la direction d’un proche du M5S, Giuseppe Conte. Ce gouvernement M5S/Ligue est toutefois dominé par la personnalité de Matteo Salvini, qui, en tant que Ministre de l’Intérieur, focalise l’attention des médias italiens et européens à travers sa prétention à stopper toute nouvelle arrivée d’immigrés illégaux, en particulier par la voie maritime liée au chaos libyen. 

Cette domination de la Ligue est objectivée par la montée inexorable dans les sondages de la Ligue. Sous la direction de Matteo Salvini, qui fait l’actualité  sur tous les sujets chaque jour ou presque, ce parti passe en quelques mois de 17% des voix au printemps 2018 à plus de 30% d’intentions de vote dès l’été 2018. A l’inverse, le M5S ne profite pas de sa participation au gouvernement Conte et du fait de pouvoir y mener les réformes qui étaient dans son programme électoral de 2018 (en particulier la création d’un RSA à l’italienne). Par ailleurs, au niveau local et régional, la Ligue se garde bien de rompre avec ses alliés de droite traditionnels, avec lesquelles elle collabore depuis 1994 (avec une interruption en 1995-1999). Toutes les élections régionales organisées depuis l’entrée en fonction du premier gouvernement Conte tournent donc à l’avantage de l’alliance des droites, qui profite de la popularité du ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, de l’impopularité du PD qui a participé à tous les gouvernements de 2011 à 2018, et de l’incapacité du M5S à s’organiser pour ces élections locales. Les élections européennes du printemps 2019 confirment ce statut de premier parti italien acquis par la Ligue, le tassement du M5S et les difficultés du Parti démocrate (PD) à incarner l’opposition. 

A l’été 2019, Matteo Salvini tente en démissionnant du gouvernement Conte de provoquer des élections anticipées. Vu le mode de scrutin en vigueur, celles-ci lui auraient offert à l’automne 2019 une victoire sans appel et une majorité dans les deux Chambres (Chambre des députés et Sénat). Or, face à la certitude d’une victoire d’un Salvini devenu leader de toutes les droites, le PD et le M5S ont fait alliance pour former un second gouvernement Conte.  Du coup, toutes les élections locales deviennent encore plus un test de popularité pour le gouvernement PS/M5S. La Ligue continue à gagner les élections régionales, et elle emporte à l’automne, l’Ombrie. Cette petite région, peu peuplée, était l’un des fiefs de l’ancien Parti communiste italien (PCI). Elle a toujours été gouvernée jusqu’en 2019 par des coalitions de gauche. La chute de l’Ombrie représente vraiment un choc, car c’est là toute une tradition d’antifascisme qui se voit défaite. La prochaine étape des élections régionales se trouve être désormais l’Emilie-Romagne. Or cette région constitue depuis les années 1970 le cœur de l’ « Italie rouge ». C’est à partir de l’expérience de bonne gestion locale dans cette région que le PCI a fini par se transformer, avec de nombreuses étapes, dans l’actuel PD, un parti de centre-gauche. Cette terre d’Emilie-Romagne est celle où les fascistes avaient gagné en 1920-22 et d’où ils furent exclus manu militari en 1945. Il y a donc un énorme poids symbolique de penser que ce grand fief historique de la gauche antifasciste et de l’Italie démocratique puisse être finalement géré par une coalition des droites dans lequel le néofascisme (celui de Frères d’Italie, FdI) prenne toute sa place et dont l’homme fort est un Monsieur Plus en matière de xénophobie et de lutte contre toute forme d’immigration illégale.

Cette situation, qui donne l’impression à la gauche de perdre un à un tous ses bastions, a provoqué un mouvement spontané de réaction au « salvinisme », les « Sardine ». Ce terme vient simplement du fait que les organisateurs de cette « left pride » voulaient montrer qu’il n’y a pas que Salvini qui puisse remplir les places de manifestants. Ils ont donc décidé de se serrer comme des sardines dans des places symboliques des villes italiennes. Ce mouvement, se voulant  à l’écart des partis de gauche traditionnels, qui ressemble donc en fait beaucoup aux débuts du M5S en 2007-09, critique aussi implicitement l’incapacité de la direction du PD et des autres forces « démocratiques » de prendre la mesure du danger représenté par un Salvini, personnage tonitruant et omniprésent dans les médias et sur les réseaux sociaux, qui ne se cache plus d’ailleurs depuis l’été 2019 de vouloir les pleins pouvoirs en Italie (selon sa propre formule). 

Du coup, l’élection régionale d’Emilie-Romagne est devenue un test national : la gauche dirigée par le PD va-t-elle sauver l’un de ses derniers bastions ? Salvini prétend l’emporter, et demande en cas de victoire de sa part des élections anticipées. 

Une défaite lors de ce scrutin sonnera-t-elle la fin de l'alliance M5S/PD au pouvoir ?

Ni le M5S ni le PD n’ont intérêt à aller vers des élections anticipées, encore moins qu’à l’automne 2019. Ces deux partis devraient donc essayer de continuer à gouverner ensemble. Il leur reste aussi une carte à jouer du côté d’une réforme électorale susceptible d’empêcher la coalition des droites de bénéficier du caractère majoritaire du système électoral actuel. Or, pour voter une telle réforme, il faut du temps, ce qui obligerait les deux partis à continuer à gouverner ensemble. 

Cependant, du côté du M5S, les défaites successives aux régionales et la chute dans les sondages viennent de provoquer ce jour le départ de leur chef politique, Luigi di Maio. Clairement, cette démission anticipe sur le fait, que, dimanche prochain, le M5S va encore faire une très piètre figure dans une élection régionale. Cette démission préemptive tendrait à prouver que le groupe dirigeant du M5S veut prendre ses pertes et essayer d’aller de l’avant avec le PD pour éviter des élections anticipées qui renverraient ce parti vers le néant dont il est sorti en 2009. Cependant,  il est difficile de savoir ce que ce groupe de politiciens, aussi néophytes qu’en difficulté, très divisés sur la ligne à suivre, sans plus de leader évident, va faire. Il leur faudrait en fait un miracle pour s’en sortir : un leader de la trempe de Salvini. Par ailleurs, du côté PD, la perte de l’Emilie-Romagne serait un très dur coup à la direction actuelle, mais des élections anticipées permettraient de reste à coup sûr le seul grand parti d’opposition au sortir de cette séquence. 

Quoi qu’il en soit des calculs à l’intérieur des deux grands partis M5S et PD, en perdant l’Emilie-Romagne, une grande région du nord du pays, le gouvernement Conte serait confronté à la réalité de l’impopularité des partis qui le soutiennent. Il sera donc difficile de tenir. Il faut aussi compter avec Matteo Renzi, qui a récemment créé par scission du PD son propre parti centriste, Italia Viva (IV)  qui peut chercher la crise pour se lancer dans une campagne électorale lui permettant de récupérer les électeurs centristes en déshérence.
Même en gardant l’Emilie-Romagne, le PD devra de toute façon gérer un M5S en pleine implosion. C’est là le principal problème. 

Salvini pourrait faire face dans les prochains jours à la justice italienne. L'idée d'un procès à venir pourrait-elle influencer le vote des électeurs italiens ?

Non, pas en tout cas, les électeurs de la coalition de droite. Toute l’expérience politique italienne depuis 1994 montre que ces derniers sont presque totalement indifférents à la corruption attribuée par les juges ou les médias à leurs dirigeants. Matteo Salvini est soupçonné d’avoir recherché pour son parti par des voies illégales des financements venus de la Fédération de Russie. Cela ne fait sans doute ni chaud ni froid à ses électeurs. De même, il va sans doute être mis en accusation pour son action en tant que Ministre de l’Intérieur en 2018-19 pour avoir outrepassé dans quelques cas bien précis les limites fixées par le droit en vigueur dans la lutte contre l’immigration illégale par voie maritime. Sous ce second aspect, il me faut souligner ici que, pour les électeurs de droite, Salvini devient carrément un martyr de la cause anti-immigration. Bref, toutes les accusations de la magistrature italienne à l’encontre de M. Salvini lui profiteront plutôt. Les électeurs de droite ont appris de Berlusconi, à force de propagande incessante en ce sens depuis 1994, que « tous les juges sont rouges » et que «  ces communistes en toge » instrumentalisent tous la justice contre la liberté en marche. Evidemment, les électeurs de gauche ou ceux du M5S ne pensent pas la même chose, mais ils ne sont pas la cible que doit mobiliser Matteo Salvini pour l’emporter. La situation italienne anticipe de quelques années le rapport au leader, insensible  à toute considération morale, qu’on voit se développer avec Trump chez les électeurs républicains. 

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