Mathématiques : derrière la chute libre du niveau des élèves, la pénurie de profs à la hauteur<!-- --> | Atlantico.fr
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cours de mathématiques niveau des enseignants des professeurs
cours de mathématiques niveau des enseignants des professeurs
©Yann COATSALIOU / AFP

Difficile équation

Selon une enquête de l’Education Nationale, 54,4 % des élèves ont des acquis "fragiles" ou insuffisants en mathématiques à la fin du CM2. Comment expliquer une telle situation ? Le niveau des professeurs recrutés est-il en chute libre ?

Jean-Rémi Girard

Jean-Rémi Girard

Jean-Rémi Girard est vice-président du SNALC-FGAF (Syndicat National des Lycées et Collèges). 

Il tient le blog sur l'Education nationale "Je Suis en retard" : http://celeblog.over-blog.com

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Sophie Audugé

Sophie Audugé

Sophie Audugé est Déléguée Générale de SOS Education. 

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Atlantico.fr : L’Education Nationale a publié une enquête qui montre que 54,4 % des élèves ont des acquis « fragiles » voire insuffisants en mathématiques à la fin du CM2. Comment expliquer un tel chiffre ? Seulement un écolier sur cinq est capable de réutiliser les notions de maths vues en classe dans des situations de la vie courante ou dans la résolution de « problèmes complexes » qui nécessitent de réfléchir de façon autonome.

Sophie Audugé : L’information n’est pas nouvelle ! Les statistiques récentes montrent que le système scolaire français est peu efficace et très inégalitaire. Cela vaut pour l'apprentissage du français comme des mathématiques ! En réalité, les chiffres que certains semblent découvrir aujourd’hui ne sont que la suite logique d’une baisse de niveau régulièrement mesurée depuis de nombreuses années. 

En France, la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance), qui a réalisé cette étude intitulée Cedre (cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillons), suit l’évolution depuis 1987. Au niveau international, ce sont les résultats de l'enquête TIMMS qui font référence en matière d’étude comparative sur le niveau en mathématiques des élèves de 10 ans, là encore depuis de nombreuses années. Les résultats de la DEPP indiquent une baisse massive et très régulière (depuis 1987) des performances en mathématiques de nos élèves en fin de CM2. Quant à l'enquête TIMMS, en 2015 elle plaçait la France à la dernière place sur les 21 pays d’Europe participant à l’enquête. Les études de la DEPP montrent que les élèves qui excellaient en calcul il y a trente ans ont quasiment disparu, tandis que les meilleurs élèves d’aujourd’hui ont le niveau des élèves moyens d’hier. 

Le problème est multifactoriel. Mais en premier lieu, il convient de regarder du côté des programmes, des méthodes d’enseignement et des volumes horaires ! En 2018, Charles Torossian et Cédric Villani ont été chargés par le ministre d’un rapport sur la question. Charles Torossian, directeur général de l'enseignement scolaire, rappelle à juste titre que « La génération d'avant 1987 avait 400 heures de formation en mathématiques dans son cursus. Aujourd'hui, il y en a certains qui sont à 60 heures. C'est sûr que ça fait une différence.» Cédric Villani quant à lui met en exergue le modèle de Singapour régulièrement cité en référence : « Il y a cinq fois plus d'heures de formation à Singapour qu'en France. » 

En France nous n’avons cessé de surcharger et surtout de bouleverser les programmes, d’année en année, de telle sorte que les enseignants autant que les parents ne parviennent pas à suivre ! De plus, en réduisant les volumes horaires et en changeant les méthodes pédagogiques au gré des modes et des idéologies dominantes, c’est plusieurs générations qui ont été sacrifiées. Pendant un temps, le calcul mental était banni, les devoirs à la maison également, et on redécouvre aujourd’hui que savoir compter est un prérequis pour la réussite en mathématiques ! Il en est de même pour les temps consacrés à la résolution de problèmes, jadis ils étaient quotidiens, aujourd’hui ils ont été réduits à peau de chagrin. Pour en juger, il suffit de regarder des exercices du certificat d’études que nos grands-parents réussissaient. Et ils n’avaient pas le bac… Voici par exemple un exercice qui mettrait beaucoup de nos titulaires du bac en difficulté : 

« Une pompe d’épuisement a vidé les 3/5 d’un bassin en 45 minutes, en débitant 20 hl à l’heure. Quelle est, en mètres cubes, la contenance de ce bassin ? »   (Certificat d’études 1923)

SOS Éducation dénonce cette baisse dramatique depuis de nombreuses années. 

Concernant la disparité des résultats entre les établissements, là encore rien de nouveau. Mais c’est le chien qui se mord la queue. De nombreux établissements suivent les vagues de changements de programmes, les injonctions de pédagogistes peu scrupuleux… là où certains établissements, maintiennent un enseignement des mathématiques fondé sur la maîtrise de la numération et le transfert des connaissances dans la résolution de problèmes…

Jean-Rémi Girard : Il y a à la fois des raisons structurelles et conjoncturelles. Sur le plan conjoncturel, il n'est pas certain que les programmes de cycles de 3 ans aident à structurer l'enseignement des mathématiques, par rapport à des programmes annuels. Cela peut pousser à laisser de côté certains aspects du programme en les remettant à plus tard, mais en fin de cycle, on se retrouve assez démuni pour atteindre les objectifs fixés. Au-delà, on a une question structurelle : la plupart des candidats au concours de professeurs des écoles ne viennent pas d'études scientifiques, et la formation qui leur est proposée n'est souvent pas à la hauteur de leurs attentes. Il y a tellement d'éléments à traiter dans le Master éducation comme dans la formation initiale des stagiaires que l'on est incapable de réellement prioriser. Ce n'est pas propre aux établissements difficiles, mais ces derniers accueillant prioritairement les collègues en début de carrière, s'il y a un déficit de formation, c'est d'abord dans ces établissements qu'il va se faire sentir, les collègues ayant alors besoin de temps pour pallier les manques en s'auto-formant sur leur temps libre. 

La France est obsédée par les programmes, ne ferait-t-elle pas mieux de se préoccuper de ses profs, de leur formation, de leur rémunération et de leur accompagnement ?

Jean-Rémi Girard : On peut avoir les plus beaux programmes du monde : si l'on est incapable de les mettre en œuvre, non seulement ça ne sert à rien, mais c'est également très hypocrite. Le premier point à résoudre, avant toute autre chose, est la question de l'attractivité. Quand vous sortez de cinq ans d'études supérieures dans le domaine des mathématiques, vous avez beaucoup de portes qui s'ouvrent à vous. Et plutôt que de choisir le métier de professeur, de nombreux d'étudiants vont se tourner vers des carrières nettement mieux rémunérées, et qui n'ont pas comme perspective à court terme de se retrouver dans un établissement difficile. Les vacances et la sécurité de l'emploi, c'est loin de peser suffisamment face au salaire, aux conditions de travail, et même au bien-être psychique. Beaucoup de gens qui tapent sur « les profs » ne tiendraient pas dix jours face à des quatrièmes dans une banlieue chaude. Mais pas sûr qu'ils tiendraient non plus dans un centre-ville tiède.

Comment sont recrutés à l'heure actuelle les profs ? Comment cela se passe avec les remplaçants ou dans les jurys de CAPES ? Le niveau des profs recrutés est-il en chute libre et notamment dans les établissements difficiles ?

Sophie Audugé : En France on a souvent le réflexe de dire que les professeurs sont la cause du déficit de notre système scolaire. C’est un peu facile ! En réalité, la situation est multifactorielle et évidemment plus complexe. Les enseignants et notamment les enseignants de primaire sont “plutôt de bons élèves qui ont le sens de la hiérarchie”. Aussi une majorité d’entre eux appliquent les consignes qui viennent d’en haut. Encore faut-il qu’elles soient claires et qu’on leur fournisse les moyens de les appliquer. En d’autres termes que cela ne change pas tout le temps, qu’ils soient bien formés et bien considérés ! 

Là encore rien de nouveau ! Nous savons que la France accumule les problèmes en matière de gestion des ressources humaines. Sentiment de dévalorisation, manque crucial de formation, niveau de rémunération (en primaire tout au moins) très inférieur aux autres pays de l’OCDE avec une évolution salariale beaucoup trop lente. En conséquence, les métiers de l’enseignement sont victimes d’un manque d’attractivité important. Et c’est encore plus vrai dans le domaine de l’enseignement des mathématiques et des sciences, dont les filières conduisent aux écoles préparatoires du supérieur bien plus qu’au métier d’enseignant !

La mise en perspective du sentiment de considération des enseignants et de la performance des élèves, deux données disponibles en croisant les études Talis et Pisa réalisées par l’OCDE, montre une corrélation. En d’autres termes, les pays où les enseignants se sentent le mieux considérés sont ceux dont les élèves présentent les meilleures performances. Intéressant, mais pas vraiment étonnant ni nouveau...

À Singapour, les enseignants les plus expérimentés enseignent aux élèves les plus en difficulté. Les enseignants sont évalués régulièrement, ont accès à de la formation continue et ont une formation initiale très développée. Ils sont par ailleurs bien rémunérés par rapport aux autres métiers.

En France, un professeur dans le primaire est rémunéré 9 % de moins que la moyenne de l’OCDE, un écart qui monte à 15 % après 15 ans d’ancienneté. Alors qu’ils assurent en moyenne 10 % d’heures de cours de plus que leurs homologues des autres pays participant à l’enquête Talis.

Selon les résultats 2019 de l’enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage (Talis) de l’OCDE, les enseignants français manquent cruellement de formations durant leur carrière. Seulement 17 % des enseignants déclarent avoir bénéficié d’une initiation formelle ou informelle lorsqu’ils ont rejoint leurs établissements, contre 42 % dans les autres pays de l’OCDE.

Le manque d’attractivité de la profession a évidemment des conséquences sur le nombre de candidats aux concours de l’enseignement, dont la baisse est inquiétante. Chaque année les admis au Capes et à l’agrégation sont en sous effectifs par rapport aux postes à pourvoir. Le Capes externe comptait 36 949 candidats en 2017, 35 852 en 2018, 33 490 en 2019 et seulement 30 883 pour la session 2020.

Les chefs d’établissement n’ont pas les effectifs suffisants pour prendre en charge leur classe, notamment en mathématiques. Ils ont parfois recours à des professeurs « pris sur le tas », sans qu’ils aient véritablement le niveau académique requis et sans formation à la pédagogie. Les établissements recourent parfois à des modes de recrutement surprenants pour recruter des contractuels (Pôle emploi, LeBoncoin... pour citer ceux qui ont le plus fait réagir). En 2020, il y a 4,7 % de non titulaires en enseignement des mathématiques au collège par exemple. Ces professeurs se retrouvent seuls et souvent démunis pour gérer leurs classes. S’installe alors un corps professoral à deux vitesses, ceux issus du CAPES et ceux hors sérail, sans coordination entre les équipes.

Ces enseignants régulièrement envoyés ou directement recrutés dans les établissements les plus difficiles, qui ne bénéficient pas du statut de la fonction publique, abandonnent au bout de quelques mois ou quelques années pour les plus persévérants. 

Les enseignants de primaire (pour revenir aux résultats de l’étude de la DEPP qui porte sur le niveau des élèves de CM2) sont en charge des apprentissages fondamentaux des mathématiques. Chercher des explications de ces “mauvais résultats” dans leur parcours personnel, et leur rapport émotionnel à la matière mathématique, nous semble relever d’une sociologie peu utile à la question et à la situation.

L’enseignant de primaire doit être capable, et formé, pour enseigner le socle commun des connaissances élémentaires à acquérir en fin de primaire. C’est son métier. Bien formé, avec les bonnes méthodes pédagogiques et préparé à la prise en charge des différents profils d'élèves, il n’y a aucune raison qu’il ne parvienne pas à apprendre à des élèves de 6 à 11 ans les connaissances mathématiques du socle commun ! Rappelons que la majorité des enseignants d’aujourd’hui sont titulaires d’un bac + 3 et souvent d’un bac + 5. 

Plusieurs retours d’expériences mettent en évidence que les enseignants proposent des activités issues de différents manuels ou sources. Il en découle un apprentissage peu structuré, dont la progressivité est parfois difficile à comprendre. Une liberté pédagogique au détriment des élèves donc!

La valse des programmes, les enjeux financiers des éditeurs de manuels scolaires et les idéologies pédagogistes ont conduit à rejeter des principes d’enseignement pourtant éprouvés de longue date. Les conséquences dramatiques nous sautent aux yeux aujourd’hui et ces chiffres effraient, mais en réalité cette situation est bien ancrée, car engagée depuis trop longtemps. 

Un signal d’une forme de résignation de cet état de fait est l’abandon des mathématiques du tronc commun dans la réforme du nouveau bac. 

En réalité, tout le monde sait que cette décision impactera les établissements des milieux les moins favorisés. Les établissements des milieux les plus favorisés maintiendront un nombre majoritaire de classes avec l’option maths et les parents les mieux informés qui y scolarisent leurs enfants auront les moyens de financer des cours particuliers. Ainsi ces élèves obtiendront leur bac option maths et pourront accéder aux meilleures écoles et universités du supérieur ! 

En France, et c’est malheureux, les mathématiques sont devenus l’apanage des classes supérieures, car on a sacrifié depuis des décennies les bonnes pratiques d’enseignement des fondamentaux et les volumes horaires nécessaires, sous les injonctions d’un pédagogisme inconscient et très souvent mal interprété !

Pour sortir de cette situation, il faut du courage, du bon sens, des méthodes éprouvées, des manuels clairs, des enseignants très bien formés à ces méthodes, des programmes stables et des évaluations régulières des élèves pour aider le plus tôt possible ceux qui ont des difficultés à les dépasser.

Jean-Rémi Girard : Le jury de CAPES fait ce qu'il peut, et d'ailleurs cela fait des années qu'il ne pourvoit pas tous les postes mis au concours faute de candidats répondant à ses attentes. Cela a un effet immédiat : c'est le recrutement massif de contractuels (qui n'ont pas le concours) pour qu'il y ait quelqu'un devant les élèves. Ces derniers sont peu formés, mal payés et servent à cacher la crise des recrutements. Avec à terme un risque d'aggravation de la fracture scolaire. La maîtrise réelle des mathématiques, qui sont toujours considérées comme un passeport sûr pour les études supérieures, pourrait être de plus en plus réservée à une minorité d'élèves. C'est très grave, car les mathématiques, c'est la maîtrise du raisonnement, c'est la logique. Aujourd'hui, on est en train de glisser des mathématiques « outil de sélection » aux mathématiques « révélatrices de la ségrégation ». La dernière réforme du lycée le montre d'ailleurs clairement : de moins en moins d'élèves choisissent de poursuivre les mathématiques en première générale. Et un tiers de ces élèves ont abandonné la spécialité en terminale. À terme, c'est un cercle vicieux : on aura encore moins d'étudiants formés en mathématiques qui pourront se tourner vers le métier de professeur.

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