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"L'affaire Ferry" vue du Maroc
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Pédophilie présumée mais médiatisée

Des témoins ont confirmé aux enquêteurs ce vendredi les récents propos de Luc Ferry sur « un ancien ministre qui s’est fait poisser dans une partouze à Marrakech avec des petits garçons ». Mais pour l'entrepreneur marocain Abdelmalek Alaoui, la réputation de son pays a été injustement entachée.

Abdelmalek Alaoui

Abdelmalek Alaoui

Abdelmalek Alaoui est directeur général du cabinet de communication d'influence Guepard Group.

Il est l'auteur du livre Intelligence Economique et guerres secrètes au Maroc (Editions Koutoubia, Paris).

 

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Depuis l’ « affaire » Ferry, c’est devenu l’un des sujets de discussion et de préoccupation des Marocains, étonnés de n’avoir été associés que de très loin à un dossier qui devrait pourtant les concerner au premier chef, et abasourdis par le traitement qui est infligé à leur pays, notamment par la presse française.

France, Maroc : deux poids, deux mesures ?

En effet, l’observateur remarquera que toutes les précautions de langage, qui s’imposent dès lors que l’on traite de ce type de cas en France, disparaissent comme par enchantement, laissant la place à des titres et des reportages qui dépeignent le Maroc comme un « paradis » pour délinquants sexuels, au mépris de tous les codes de déontologie journalistique.

Il y a eu tout d’abord la condescendance du ton utilisé par Luc Ferry lors de cette émission de télévision sur Canal +, qui a éminemment choqué les Marocains : « Un ancien ministre qui s’est fait poisser dans une partouze à Marrakech avec des petits garçons ». Outre le fait que M. Ferry aie obligé pas mal de téléspectateurs – dont l’auteur de ces lignes- à ouvrir un dictionnaire pour découvrir le sens du verbe « poisser », cette légèreté et cette évidence avec laquelle la destination « Marrakech » a été jetée en pâture à l’opinion constitue un préjudice informationnel majeur pour le Maroc. Ce pays serait d’ailleurs bien inspiré d’en demander réparation…à Paris.

Maxi-buzz, mais effet désastreux pour le Maroc

En effet, le maxi-buzz médiatique qui a suivi  l’affaire Ferry a eu un double effet. Tout d’abord, il a permis l’ouverture en France d’un débat essentiel et attendu sur la présumée immunité « médiatique » dont jouiraient les personnalités lorsqu’elles s’adonnent à des pratiques déviantes. En second lieu, l’affaire Ferry a permis de déverser des torrents de boue sur le Maroc, sans que ce dernier ne puisse se défendre, alors même que tous les protagonistes n’évoquent que de vagues « suspicions » et des « rumeurs ».

Il faut ici rappeler que la législation marocaine en termes d’agressions sexuelles sur des mineurs est particulièrement répressive, et que, régulièrement, des arrestations sont effectuées par les services compétents. Certaines de ces arrestations concernent des ressortissants étrangers - dont des Français - qui ne jouissent en la matière d’aucune sorte d’immunité.

Bien entendu, il existe au Maroc certains tabous liés à une tradition de peur de l’opprobre sociale, qui font que les questions d’agressions sexuelles sur mineurs aient mis du temps à émerger et à être prises en compte par l’appareil judiciaire, au même titre que le viol ou les violences faites aux femmes. Néanmoins, le travail de sensibilisation remarquable effectué par le milieu associatif, avec à sa tête l’association « touche pas à mon enfant » a permis de mettre  le sujet en lumière et de mobiliser une opinion publique de plus en plus engagée contre ce type d’actes innommables.

Il faut ici également souligner le travail de fond entrepris par le ministère marocain de la famille et des affaires sociales, qui a pris le problème à bras-le-corps afin à la fois de « muscler » le dispositif et d’élaborer les mécanismes de réinsertion des enfants victimes d’abus sexuels.

Côté marocain, c’est donc plutôt la surprise de se retrouver au centre de ce qui était censé être un débat franco-français qui a prédominé. A ceci, il faut ajouter le sentiment que le Maroc constitue peut-être une espèce de victime expiatoire pour cet exercice de catharsis collective, Marrakech s’étant pour l’occasion transformée en une « banlieue parisienne» où tous les interdits - fussent ils abjects - seraient levés.

Quand de vieilles affaires refont surface

Plus grave, cette affaire a fait ressurgir une certaine conception particulière de l’équité médiatique, puisqu’il y a moins de cinq années, le Maroc a eu, malheureusement, à vivre une situation complexe face à un drame assez proche.

A l’époque, une personnalité parisienne du monde du spectacle était arrêtée - en flagrant délit - partageant le lit d’un jeune homme mineur. Les autorités judiciaires marocaines ouvrent alors tout naturellement une enquête. En moins de quinze jours, le Tout-Paris politico-médiatique s’était fendu d’une pétition géante afin de demander à ce que soit relaxée cette personnalité, dont le seul crime aurait été « d’être homosexuel ».

En déplaçant le débat sur une prétendue homophobie des Marocains alors même que la qualification qui était adaptée au cas était « relations sexuelles avec un mineur » la société française était à l’exact opposé de l’échelle de valeurs qu’elle défend aujourd’hui avec énergie.

Ceci illustre peut-être le profond impact qu’a eu l’affaire DSK sur l’approche par la France des crimes sexuels qui seraient perpétrés par ses hommes politiques, passant du statut de grivoiseries pittoresques à crimes inexpugnables.

Ce changement d’approche et d’attitude ne peut qu’être applaudi par le Maroc, qui est une terre de tourisme privilégiée pour les citoyens français, mais il ne doit néanmoins pas se faire au détriment de Marrakech, ville qui n’a jamais été laxiste à l’encontre de ce type de pratiques, et dont les forces de police n’aurait certainement pas hésité à prendre leurs responsabilités si, effectivement, une personnalité française s’était faite « poisser ».

S’il est une chose que le Royaume chérifien serait aujourd’hui en droit de réclamer, c’est qu’un traitement médiatique équilibré lui soit consacré, débarrassé des outrances et des clichés, et que les mêmes précautions éditoriales lui soient appliqués qu’en France lorsqu’un sujet aussi grave que la pédophilie est évoqué. En effet,  le risque de dévier vers un traitement qui confinerait à une certaine image « exotique » ou post-coloniale est trop sérieux pour être pris à la légère.  

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