Marnes-la-Coquette : le village le plus riche de France<!-- --> | Atlantico.fr
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"La Louque", la maison et ses jardins du chanteur français Maurice Chevalier à Marnes-la-Coquette.
"La Louque", la maison et ses jardins du chanteur français Maurice Chevalier à Marnes-la-Coquette.
©PATRICK KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Anne-Sophie Beauvais publie « Le Ghetto » aux éditions Kero. Marnes-la-Coquette. Le simple nom de cette petite commune évoque presque à lui seul toute la singularité de l’endroit : voici un lieu aussi charmant que protégé. Vivre là, c’est avoir le sentiment d’être à 500 kilomètres de Paris, alors même que moins de 10 kilomètres séparent ce village de la tour Eiffel. Raconter Marnes-la-Coquette, c’est évidemment parler d’argent puisque cette commune, d’après la direction générale des impôts, est la plus riche de France. Extrait 1/2.

Anne-Sophie Beauvais

Anne-Sophie Beauvais

Condisciple d'Emmanuel Macron à Sciences Po, Anne-Sophie Beauvais a aujourd'hui 39 ans. Ancienne conseillère en cabinet ministériel, elle connait bien le monde politique. En 2009, elle est appelée par Richard Descoings, l'ancien directeur de Sciences Po, pour diriger l'Association des anciens élèves de l'école. A ce poste, elle continue d'observer le monde politique et la trajectoire de tous ceux qui, diplômés de cette maison, y gravitent – et ils sont nombreux. 

Elle est également rédactrice en chef du magazine Emile, un trimestriel destiné aux Sciences Po, traitant de la chose politique.

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Le matin du 6 décembre 2017, Marnes-la-Coquette apprend le décès de l’un de ses habitants. Johnny Hallyday vient de faire ses adieux à la France et à des milliers de fans.

Cette petite commune de 1 700  habitants, située dans le département des Hauts-de-Seine, près de Paris, n’était pas vraiment préparée à cet événement, qui fait se rencontrer mythologie française et dévotion populaire, même si, au cours des précédentes semaines, alors que Johnny Hallyday luttait contre la maladie (ce fichu cancer des poumons), des dizaines de cars techniques de la télévision et de la radio s’étaient succédé dans les petites rues de la commune. Ils accompagnaient un ballet incessant de journalistes, accostant sur les trottoirs, caméras et micros à la main, chaque habitant de la commune pour obtenir un témoignage, un souvenir, une réaction, qui leur permettrait d’alimenter leurs journaux ou  l’un des directs des chaînes d’info en continu.

À côté des journalistes, beaucoup de badauds et de fans, qui venaient parfois de loin jusqu’à Marnes, restaient debout pendant des heures sur les mêmes trottoirs, afin de communier, à distance et dans le froid – nous étions en plein hiver – avec leur idole. Des Français courageux et généreux, aux racines plus modestes que privilégiées.

Qu’ont pensé les habitants de Marnes-la-Coquette de toutes ces émotions médiatiques et plébéiennes sous leurs fenêtres ? Euphémisons en écrivant qu’ils n’ont pas apprécié. Vivre à Marnes, c’est, en effet, acheter une quiétude. C’est même l’acheter à prix d’or, puisque chaque maison de cette petite commune a aujourd’hui une valeur immobilière que convoitent les agences de la région, au nom de leurs très importantes commissions.

C’est d’ailleurs ce qu’ont peut-être pleinement réalisé les fans du chanteur lorsqu’ils sont arrivés aux abords de sa propriété, dans cette petite commune cossue et tranquille : leur idole les a fait rêver… en échange, ils lui ont permis de vivre très confortablement. Une maison ici, à Marnes, et deux autres, à Los Angeles et Saint-Barthélemy, dans les Antilles. Là réside d’ailleurs un pacte mystérieux : on tolère la richesse chez ceux, comme les footballeurs ou les chanteurs, qui procurent des émotions… mais on la trouve insupportable lorsqu’elle est présente chez les autres, qu’ils soient patrons ou gouvernants. Les fans de Johnny n’étaient évidemment pas venus à Marnes pour faire la révolution. Ils ont manifesté leur tristesse et sont repartis. Cette rencontre entre deux France, la populaire et la bourgeoise, s’est bien terminée.

Marnes-la-Coquette, pour ceux qui ne connaissent pas l’endroit, est en réalité un village. Un de ces villages immuables, qui se hâtent lentement vers leur avenir. Un bourg, modeste, resserré autour de son église et de sa mairie, que le XIXe  siècle et le temps ralenti des campagnes imprègnent. Et une ancienne petite poste, transformée aujourd’hui en office notarial, mais dont on a gardé, depuis un siècle, sur le mur, l’antique inscription, cent fois repeinte, comme pour continuer de faire vivre une époque révolue : « Poste-Télégraphe-Téléphone ».

Arriver ici, étrangement, c’est avoir le sentiment d’être au cœur de la France, loin des grandes villes, au bout d’une route nationale, ensoleillée l’été, enneigée l’hiver. Aucun immeuble à l’horizon ou presque, sur toute l’étendue de la commune qui, avec le temps et l’après-guerre, a  simplement gagné quelques quartiers résidentiels un peu plus contemporains au nord du village. Partout, des maisons cossues. Celles du bourg sont les plus belles, avec leurs façades claires, réalisations d’une architecture bourgeoise venue donner, à la fin du XIXe  siècle, une élégance nouvelle à l’endroit.

Cependant, ce village n’est pas ordinaire. Nous ne sommes pas en province justement, mais au pied de la tour Eiffel ! Exagération ? Pas vraiment. Dix kilomètres seulement séparent Marnes-la-Coquette de Paris. Un village collé à la capitale, et qui est resté, contre vents et marées urbaines, pastoral et verdoyant. Car si l’on regarde Marnes sur une carte, elle apparaît en effet comme une belle tache verte jouxtant Paris : sur les 375  hectares que compte la commune, seuls 70 sont construits. À  l’est se trouve le vaste parc de Saint-Cloud, dont une partie appartient à Marnes-la-Coquette ; au sud, la forêt domaniale de Fausses-Reposes, dont Marnes-la-Coquette partage la propriété avec la ville de Versailles ; et à l’ouest, un parc immense de 75 hectares dédiés aux chevaux, le Haras de Jardy. Un parc, une forêt et un haras… comme un écrin, ou plutôt une barrière naturelle et protectrice à ce village qui a ainsi pu, tel un îlot parfaitement caché, continuer à vivre à son rythme, comme bon lui semble, en dehors de l’agitation citadine et de la folle expansion parisienne. Car qui peut ignorer que Paris est une immense métropole, la première de France ? La région-capitale ! L’agglomération la plus dynamique, la plus dense en matière d’habitat, de transports, en matière économique aussi, avec ses commerces, ses entreprises, ses quartiers d’affaires. Une agglomération qui n’a cessé de pousser ses frontières avec le temps, et d’engloutir sans retenue, et avec une gourmandise vorace, toutes les parcelles et communes alentour. Comment cette métropole carnivore a-t-elle pu laisser vivre, sans y toucher, cette bulle verte et villageoise juste à côté d’elle, comme une incongruité à sa porte ? Heureuse situation, en tout cas, qui explique que de nombreuses personnalités connues, soucieuses de leur tranquillité, soient régulièrement venues se « cacher » à Marnes. Car Johnny Hallyday ne fut pas le seul. Jacques Séguéla, Maurice Chevalier, Jean Marais, Hugues Aufray, Danielle Darrieux, Alain Prost… tous ont laissé des traces, des souvenirs, ici, à des époques différentes. Aux « VIP », il faut aussi ajouter les riches hommes d’affaires, entrepreneurs, avocats ou banquiers, qui ont élu domicile à Marnes-la-Coquette, partageant le même souci de gagner tranquillité, discrétion et qualité de vie.

Avant le décès de Johnny Hallyday, qui l’a rendu célèbre, Marnes-la-Coquette ne s’était, en effet, jamais exhibé, laissant cela à d’autres lieux en France, comme Neuilly-sur-Seine ou  Saint-Tropez. Toutes les personnes, riches ou célèbres, qui sont venues s’installer là ne recherchaient aucune publicité, au contraire. Et toutes ont été attirées ici par une route, une seule : celle qui les mène de Paris, justement, à Marnes-la-Coquette. Cette route traverse le parc de Saint-Cloud, qui est donc à la fois la grande barrière protectrice mais aussi la voie la plus extraordinaire, depuis la capitale, pour accéder au village. On l’emprunte en voiture, pour rentrer chez soi et laisser à Paris toute l’agitation de la journée. On avance sur de larges allées bordées d’arbres centenaires, le long de jardins terrassés à la française, surplombant la tour Eiffel. On y voit, sur les côtés, de larges bassins et des fontaines qui offrent parfois des jeux d’eau ; et puis, plus l’on s’enfonce dans le parc, plus l’on découvre des parties boisées, plus denses et plus profondes, où il n’est pas rare d’apercevoir, depuis sa voiture, des biches apeurées qui arrivent jusqu’à la route, quand ce ne sont pas des écureuils que l’on manque d’écraser. Au bout du parc, se dessine alors une vaste et lourde porte de bois, officiellement baptisée « la porte Blanche », parce que repeinte en blanc depuis deux siècles, et qui ouvre majestueusement l’accès au cœur du village de Marnes. Le passage de cette porte symbolise l’entrée dans un autre monde, où l’Histoire s’entremêle à une forme d’art de vivre.

Extrait du livre de Anne-Sophie Beauvais, « Le Ghetto », publié aux éditions Kero

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