Marlène Schiappa, Playboy et la warholisation du macronisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Marlène Schiappa va poser en Une du prochain numéro de Playboy.
Marlène Schiappa va poser en Une du prochain numéro de Playboy.
©Thomas SAMSON / AFP

Des influenceurs comme les autres

Marlène Schiappa va poser en une du prochain magazine Playboy. Samedi, Elisabeth Borne a recadré la ministre, déclarant que son interview accordée au magazine de charme "n'était pas appropriée, a fortiori dans la période" actuelle de crise sociale liée la réforme des retraites.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Atlantico : L'interview de Marlène Schiappa dans Playboy suscite une polémique jusque dans les rangs du gouvernement. Critiques misogynes pour les uns, choix de communication inapproprié en pleine crise des retraites, que faut-il en retenir selon vous ?

Virginie Martin : Marie Minelli – le pseudo que Marlène Schiappa a choisi pour ses romans - est coutumière du fait ; elle écrit depuis les années 2010 des livres aux titres pour le moins évocateurs « les filles bien n’avalent pas », « comment transformer votre mec en Brad Pitt en 30 jours » et a publié sous son vrai nom « Osez l’amour des rondes ».

C’est – on l’espère – en connaissance de cause qu’Emmanuel Macron a adoubé cette idée de nommer Marlène Schiappa secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes dès 2017. C’est donc en connaissance de cause que l’état de service de la future ministre est assumé, assurément, à moins que ce choix ne fut engagé par défaut de candidate.

En 2016, elle dirige un ouvrage « lettre à mon utérus » et fait écrire 16 auteures parlant à leur utérus. Marie Minelli est dirigée par Marlène la Ministre et écrit dans ce recueil : 

« Cher utérus, 

J'ai une montre connectée. Cette montre discrète, repérée uniquement par les experts, reconnaît les autres montres similaires qui passeraient par là et s'y connecte, afin de leur envoyer des informations sur mon rythme cardiaque et le nombre de pas que j'ai faits dans la journée.

Sans le savoir, toi aussi mon utérus, tu es un objet connecté, qui a cette formidable capacité à repérer les autres utérus et à échanger avec eux […]

Et si l'utérus, au-delà de l'organe de reproduction ou de l'essence biologique des femmes, représentait surtout l'ultime preuve de l'avenir de la solidarité féminine : la féminité connectée ».

Marie-Marlène fait allusion ici aux menstruations des femmes qui, vivant ensemble, finiraient par se synchroniser. 

Tout ça pour dire que cet entretien et ces photos à paraître dans le magazine Playboy ne sont véritablement que le prolongement de l’appétence de la Secrétaire d’Etat à ce genre d’exercices.

Que faire de cette information ? Est-ce qu’Emmanuel Macron aurait dû trouver une femme dotée d’un profil plus sérieux, ne risquant pas d’entacher le déjà si fragile secrétariat d’Etat à l’égalité. Oui, à n'en pas douter, car est-ce que la fonction ministérielle est là pour décomplexer les femmes rondes ? Est-ce le rôle d’une ministre que d’être proche d’influenceuses partageant recettes make-up et problèmes au féminin. C’est plutôt le rôle que les magazines féminins se sont octroyés ; Marie-Marlène vit ses activités de ministre comme la rédactrice en chef de Femme Actuelle ou de Grazia. Elle est véritablement dans une approche « Politainment », la politique de proximité dans le divertissement. Mais est-ce cela qu’un.e ministre doit promouvoir ? 

Depuis juillet 2022, Marlène Schiappa est chargée de l’économie sociale et solidaire et la montée en gamme de son Everest érotique finit en avril dans Playboy. 12 pages. Une consécration certainement, sous prétexte, encore et encore de parler à tout le monde, d’expliquer aux hommes les droits des femmes… via le magazine qui était celui de Hugh Hefner (mort en 2017), propriétaire du manoir rempli de lapins, et accusé de viols dans un documentaire choc « Secrets of Playboy »… Marlène Schiappa en s’affichant fièrement en Marianne-Playboy offre une forme de légitimité à ce type de magazine qui joue sa fortune sur l’exploitation des femmes via leur corps et la sexualité. Pourquoi pas… quand on sait les réseaux de prostitutions, la drogue nécessaire, les contraintes, les acharnements de chirurgie esthétique, les âges souvent bien trop jeunes, les douleurs corporelles… Bon, légitimer Playboy -même si le titre a largement évolué depuis que le web a explosé la concurrence sur le marché de la photo de nu- et risquer sa crédibilité de ministre, le marché est gagnant – perdant à moins que, dans l’économie de l’attention qui est la nôtre, la surenchère médiatique soit gagnée par Marie-Marlène. En effet, cette économie de l’attention est un pilier de notre société du spectacle, et Marlène Schiappa prend toute la place… c’est peut-être elle qui a raison, car, dans nos agendas très remplis, prendre du temps à s’occuper de Playboy, nous vole du temps pour faire autre chose… économie de l’attention, disais-je.   

La forme est-elle en train de prendre définitivement le pas sur le fond dans le débat politique français qui se transforme largement en postures, signaux, narratifs et autres stratégies de buzz ?

La société des images, la société des écrans ne fait-elle pas écran au fond. C’est la société écran comme le disait Guy Debord. Celle qui cache et dissimule, celle qui surtout dépolitise le politique. 

Le politique déjà démonétisé se dépolitise, il perd sa fonction, sa nature, son essence. 

Julien Freund rappelait que l’essence du politique est le commandement, la distinction entre le privé et le public et la relation ennemi-ami. Ici point de commandement, une ligne privé - public ténue et une dialectique ami-ennemi effacée derrière le spectacle. 

Ici la politique est réduite à un coup de communication, car l’essentiel de la parution est dans la parution elle-même pas tellement dans ce qui sera dit dans ces 12 pages d’interview… cela passera après le coup de com’, le coup d’éclat et la captation de notre attention précieuse. 

Et puis, il y a l’éthique – et je ne parle pas une seconde de morale, pas une seconde – les politique se doivent de répondre à ces deux éthiques wébériennes de responsabilité et de conviction. Si Marlène Schiappa est convaincue de bien faire, est-elle vraiment conforme à une certaine éthique de responsabilité quand elle joue encore et encore la société de l’exhibitionnisme ? 

Car nous sommes, en effet, passés de cette société du spectacle à celle de l’exhibition de Kardashian, à Afida Turner en pensant par le monde des influenceurs. Cette exhibition nous promet une transparence qui n’est qu’une fausse promesse, car, derrière toute cette mise en scène dépolitisée, se cache une société très organisée, éminemment capitaliste et pour le coup très politique. 

Choisir Playboy ne relève-t-il pas aussi d'un goût pour la transgression et le second degré qui met en lumière le cynisme d'une macronie qui ne croit finalement plus à grand-chose d'autre qu'à ses destins personnels ?

C’est comme si le monde politique s’était laissé happé – par narcissisme ou autre égotisme – par la vague de cette société de l’exhibition qui est une injonction à se mettre à nu, à se donner au public, à se faire remarquer, à être toujours plus provocateur au risque d’être perdu dans l'oubli. 

La mode est certainement la tête de proue de cette provocation ; devant toujours vendre plus, ce secteur doit être outrancier, faire défiler des hommes tout pénis dehors (Rick Owens collection automne-hiver 2015), les sacs en forme d’ourson en peluche sanglés de ceinture noires inspirées de pratique sexuelles SM chez Balenciaga accusée de faire la promotion d’images pédophiles (la marque s’est excusée et a fini par retirer ces clichés), les robes haute couture avec têtes d’animaux qui ont fait grincer des dents la branche française de l’association de défense des animaux PETA… bref, aller toujours plus loin pour capter l’attention. Provoquer pour attirer et vendre, provoquer pour attirer et gagner en notoriété. 

Ce n’est plus la quart d’heure de gloire de Andy Warhol, c‘est toute une vie qui devrait être instagrammée. 

Comme si nos politiques étaient frustrés de ne pas être des têtes de gondole d’Hollywood, ils courent après cette vie de gloire. 

Photos léchées en studio et look Instagram mega filtré, dans quelle mesure ces photos sont-elles révélatrices du narcissisme contemporain auquel le chef de l'Etat lui-même n'est pas étranger, notamment au regard des photos que poste sur Instagram Soazig de la Moissonnière, la photographe qui le suit et glamourise ses postures ?

Le site Instagram auquel vous faites allusion est une mise en scène perpétuelle du Président de la République : entre pose à la Tom Cruise dans Top Gun, attitude à la James Bond, expression à la Ryan Gosling, c’est bien dans le registre cinématographique des imaginaires sur grand écran que ce site prend l’inspiration. L’héroïsation du Président de la République est en marche : réfléchissant, se concentrant l’air grave, serrant des mains aux grands de ce monde, franchisant les marches de l’Élysée d’un pas svelte ou celles d’un avion officiel, cet Instagram est une déification – jupitérisation - à laquelle les followers  réagissent avec plaisir : 

« la classe », « beaucoup d’émotion devant ces photos », « cette photo est bouleversante », « cet homme est un surhomme comment peut-on douter de lui ? », « très beau modèle surtout », « notre PR est un bosseur, et vos photos en sont les témoins », « A travers ces magnifiques photos on peut imaginer le rythme de travail de notre président », « What beautiful pictures, he looks well and relaxed…. »

Ce n’est plus de l’héroïsation mais de la super héroïsation, les Avengers ne sont pas loin… la politique peut-être un peu plus loin, à moins que les super-héros ne fassent de la politique sans que personne ne s’en aperçoive vraiment… sauf quand le glas des 64 ans sonne.

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