Mario Draghi, la décision qui pourrait tout changer : et la BCE déclencha un bras de fer avec l’Allemagne pour sauver la croissance européenne avec un Quantitative easing <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la BCE installe un nouveau rapport de force européen.
Le président de la BCE installe un nouveau rapport de force européen.
©Reuters

Tournant idéologique

Malgré l'opposition allemande, Mario Draghi se prépare à mettre en place un plan de relance à la mode européenne dès le mois d'octobre. Même si les contours de ce plan resteront probablement imparfaits et insuffisants, le président de la BCE installe un nouveau rapport de force européen. Un mur idéologique vient de tomber, une véritable source d'espoir pour la zone euro.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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  • La BCE annonce une série de mesures non conventionnelles dont la mise en place d’un "QE" (quantitative easing)  à la mode européenne
  • Les modalités de ce plan sont meilleures que ce qu’il était possible d’espérer mais resteront sans doute insuffisante eu égard à la taille de l’enjeu
  • Mais la décision est majeure. Mario Draghi brise un tabou en mettant l’Allemagne en minorité au sein du conseil des gouverneurs de la BCE. La bataille idéologique va pouvoir commencer.

Le coup de théâtre est réel pour la Banque centrale européenne. Après avoir annoncé de bien timides mesures au mois de juin dernier, l’autorité monétaire de la zone euro semble enfin prendre conscience de la gravité de la situation économique européenne. S’il est évidemment trop tôt pour préjuger de ce que la BCE vient d’annoncer, il reste possible d’en évaluer les contours et de saluer une réelle avancée idéologique.

Une baisse de Taux et un programme de rachat d’actifs

Les premières décisions annoncées par la BCE ce 4 septembre pourraient relever de l’anecdote (une baisse de taux de 0.10% pour en arriver à un taux directeur s’affichant désormais à un niveau de 0.05%) si elles n’avaient pas de conséquences. En effet, à partir de cet instant, l’instrument du taux directeur est à son plus bas historique et ne pourra plus être abaissé, ce que le Président de la BCE a d’ailleurs confirmé. Mario Draghi ne pourra donc aller plus loin de ce côté-là. Voilà pourquoi il est était si important que BCE annonce qu’elle disposait d’autres outils d’intervention à sa disposition.

Et c’est ce qui est arrivé. Car la BCE a également pu annoncer la prochaine mise en place d’un plan de rachats d’actifs qui peut s’apparenter aux différents plans d’assouplissement quantitatifs (Quantitative Easing ou "QE"), sur le modèle de qui a pu être fait par la Réserve Fédérale des Etats Unis, le Banque d’Angleterre ou encore la Banque du Japon. Le principe en est simple : La Banque centrale européenne "crée de la monnaie" avec laquelle elle achète des titres,  ces titres sont portés au bilan de l’autorité monétaire et la monnaie fraichement créée se retrouve en circulation. Il s’agit ni plus ni moins de ce qui est régulièrement appelé une "dévaluation" dans le langage courant. Si le principe est le même que le "QE" américain, il existe quelques différences de taille.

Les Modalités du plan de rachat d’actifs

En premier lieu, le montant qui sera injecté ne sera dévoilé que le 2 octobre prochain, ce qui peut tout aussi bien être une source d’espoir qu’une cause de déception potentielle. Et la comparaison avec les actions menées par les autres banques centrales au cours des dernières années ne manquera pas d’alimenter le débat. En effet, la FED avait pu procéder à une injection totale de liquidités avoisinant les 3500 milliards de dollars depuis 2008, soit plus de 20% du PIB du pays. Un ratio équivalent à ce qui a été entrepris par Japon ou le Royaume Uni. Ceci pour un résultat similaire dans les 3 pays : le retour vers le plein emploi. Reste que si la BCE veut s’approcher de tels résultats, le montant qui sera dévoilé le mois prochain devra alors se monter à 2000 milliards d’euros. Ce qui semble hors de propos pour le moment. Les estimations actuelles étant de l’ordre de 50 à 200 milliards d’euros.

En second lieu, la nature des actifs rachetés n’est pas la même. La Banque centrale européenne n’envisage pas pour le moment  de procéder à des rachats de dette publique comme peuvent le faire les autres banques centrales. Seuls des titres privés seront considérés (Asset- Backed Securities et Covered Bonds). Il est ici à souligner que selon différentes sources, l’ensemble de ces marchés ne totalise que 2000 milliards d’euros au total. Le plan qui sera dévoilé en octobre prochain ne pourra donc représenter qu’une fraction de ce total. L’ironie ici est que l’Allemagne s’oppose fermement à tout rachat de dette publique ; afin de contourner cette "interdiction", les gouverneurs ont pris le soin d’intervenir uniquement sur le marché des titres privé tout en prenant le risque d’acheter des actifs de moindre qualité. Actifs qui seront portés au bilan de la BCE et qui présenteront un risque supérieur à celui qu’aurait pu représenter un titre de dette européenne. Quand le remède est pire que le mal.

Si la BCE veut pouvoir intervenir avec une ampleur similaire à ce qui a été fait outre atlantique, il reste indispensable de s’autoriser à racheter de la dette publique. Seul marché susceptible de proposer la "profondeur" nécessaire à un plan de relance de grande envergure. Une possibilité qui reste malgré tout sur la table.

En troisième lieu, et ce point apparaît sans doute comme étant le plus décisif, un tel plan de rachat d’actifs ne pourra délivrer ses effets que s’il est accompagné d’un objectif clair et ambitieux. Pour les Etats Unis, l’objectif exprimé était de faire baisser le taux de chômage à 6.5%, même chose pour le Royaume Uni. Pour le Japon, il s’agissait de permettre un retour de l’inflation à un niveau de 2% dans un laps de temps de 2 ans. Le fait de désigner un tel objectif est essentiel, comme le déclarait le plus éminent et le plus respecté spécialiste monétaire mondial, Michael Woodford lorsqu’il évoquait le cas de la FED en 2011 :

"Pour que l’assouplissement quantitatif soit efficient, la Fed devra faire que ces réserves soient augmentées de façon permanente, mais aussi autoriser une hausse temporaire de l’inflation qui sera nécessaire pour augmenter le niveau des prix de façon permanente".

Ce qui, en d’autres termes, signifie qu’un plan d’assouplissement quantitatif ne se suffit pas à lui seul. Il est nécessaire de lui adjoindre une communication claire et de nouveaux objectifs, soit en termes de taux de chômage, soit en termes d’inflation, pour que son efficacité soit pleinement assurée. De plus, l’augmentation de la taille du bilan de la BCE devra être permanente et non temporaire.

Pour le moment, à la vue des déclarations de Mario Draghi, les objectifs de la BCE ne sont en rien modifiés : stabiliser l’inflation à un niveau inférieur mais proche de 2%. Dès lors, il apparaît que l’objectif apparemment recherché par la BCE est simplement de parvenir à remplir son mandat actuel. Rien de plus. Car les dernières publications relatives à l’inflation au sein de la zone euro font état d’un niveau de 0.3% au cours de l’année passée, en lieu et place du sacrosaint 2%. L’objectif de la BCE est donc de combler le retard pris sur ce terrain. En d’autres termes, le plan annoncé est bien plus un plan anti-déflation qu’un plan de relance. Un plan défensif plutôt qu’un plan offensif.

Ce qu’il est possible d’attendre du plan de rachat d’actifs

Bien qu’imparfait dans sa conception et trop faible dans les montants envisagés pour espérer retrouver une forte croissance, le plan annoncé ce 4 septembre est bien décisif pour la zone euro. Il constitue sans nul doute un des plus importants efforts entrepris au niveau européen afin de restaurer l’activité économique et ainsi contribuer à la lutte contre le chômage. C’est une étape majeure qui est franchie, car la structuration d’un tel plan fait entrer la BCE dans une nouvelle ère. L’ère du non conventionnel, l’ère de potentielles actions futures. Ce plan ne sera en lui-même pas suffisant mais il ouvre la voie à un futur. L’enjeu est donc ici peut être plus politique.

Les enjeux politiques

Il est important de rappeler que le plan de relance envisagé par la BCE sera presque nécessairement décevant aux yeux de ceux qui souhaitent un retour fort de la croissance et de l’emploi. Pour qu’un tel programme puisse voir le jour, ce n’est pas vers le conseil des gouverneurs de la BCE qu’il faudra se tourner, mais vers le législateur européen, ou plus justement les pays membres. Si ces derniers veulent connaître les niveaux de croissance actuels des Etats Unis (4.1%), il sera indispensable de modifier le mandat de la BCE, et lui imposer un objectif de plein emploi. Sans cela, le cadre juridique qui entoure le plus puissant pouvoir économique européen restera ce qu’il est : un simple outil de contrôle de l’inflation. Alors qu’une Banque centrale dispose de bien plus de capacités, dont celle de permettre le retour du plein emploi.

Mais pour cela, il faudra convaincre les Etats du nord de l’Europe et en premier lieu, l’Allemagne. Car la décision qui a été prise ce jour n’a pas été prise à l’unanimité. Jens Weidmann, Président de la Bundesbank, a d’ores et déjà indiqué sa désapprobation et il est évident que les commentateurs outre Rhin ne vont pas se gêner pour tomber sur le dos de Mario Draghi, qu’ils jugeaient déjà irresponsable avant ce 4 septembre.

Le fait que l’unanimité des gouverneurs de la BCE n’ait pas été obtenue par Mario Draghi est également un signal. Car il s’agit d’une nouveauté pour cette institution habituée au consensus. Dès lors, il est à prévoir qu’un réel affrontement aura lieu sur le terrain politique. En effet, alors que les gouverneurs de la FED sont régulièrement désignés comme étant de telle ou telle école de pensée économique, les membres de la BCE sont plus facilement désignés par leur pays d’origine. Jens Weidmann est d’abord perçu comme étant un allemand, ou Mario Draghi comme un italien, et ce, avant toute autre considération. La presse allemande se fera un plaisir d’accuser le laxisme italien alors que la presse du sud, ou anglo-saxonne, railleront l’orthodoxie allemande. Et cette faille qui vient de s’ouvrir promet un affrontement réel au-delà de la salle réunissant les gouverneurs de la Banque centrale.

Car Angela Merkel se trouve confrontée à une problématique politique sérieuse. Les différentes actions de la BCE lui sont reprochées comme autant de signes de faiblesse, aussi bien par sa majorité CDU-CSU que par le nouveau parti AFD (Alternative für Deutschland, parti anti euro qui vient de signer 10% aux dernières élections de Saxe). Il ne devrait pas être nécessaire d’attendre trop longtemps pour entendre les réactions du Ministre des finances; Wolfgang Schäuble.

Au-delà d’un plan qui sera sans doute d’une trop faible ampleur, ce que vient de faire Mario Draghi marque tout simplement l’ouverture d’un débat européen d’une nouvelle nature. Une faille s’est ouverte dans le mur idéologique européen.

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