Marine Le Pen lance, sans accroc, sa campagne médiatique sur France 2<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Marine Le Pen lance, sans accroc, sa campagne médiatique sur France 2
©

Retour au front

Le passage de Marine Le Pen dans "L'émission politique" de France 2 n'a pas bouleversé la campagne de la candidate du Front National. A part peut-être à sa droite avec l'intervention de Patrick Buisson, elle a su tenir tête aux attaques convenues de ses contradicteurs.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Cette émission marque-t-elle le vrai lancement de la campagne électorale ? Les principaux candidats sont maintenant connus et ne devraient pas changer, sauf coup de théâtre. Seul le FN manquait encore à l’appel, lui qui est resté jusqu’à présent dans un relatif attentisme, préférant probablement laisser ses concurrents se déchirer dans leurs primaires. D’ailleurs, le FN avait demandé de reporter son temps de parole déficitaire de la période antérieure sur les prochaines semaines, mais le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne l’a pas suivi.

Si l’émission était donc attendue, va-t-elle laisser des traces ? Au premier abord, on a surtout une impression de déjà-vu. Marine Le Pen confirme son incontestable talent en matière de communication. Elle sait rester calme, être claire et accessible, elle maîtrise son style et son discours, et c’est à peine si elle élève la voix dans les moments un peu tendus. Sa position de favorite pour le premier tour l’incite cependant à la modération, surtout si elle entend récupérer les électeurs de François Fillon en cas de défaite de celui-ci. D’où cette entrée en campagne plutôt en rondeurs. Il faut dire aussi que les grandes propositions sur la sortie de l’euro ou sur la priorité nationale ne sont pas des nouveautés ; elles ont même perdu leur caractère sulfureux depuis le Brexit et l’élection de Trump. Même sur la peine de mort, le FN "nouvelle formule" se contente du service minimum en renvoyant la décision à un hypothétique référendum. 

Du coup, les journalistes ont peiné à trouver de véritables angles d’attaque. Sur les différents dossiers (la dette, la monnaie, le nucléaire) les débats ont souvent pris un caractère technique et donné à Marine Le Pen la possibilité de montrer qu’elle a du répondant. Quant au dossier des attachés parlementaires du Parlement européen, la critique est devenue moins facile depuis l’affaire Fillon. 

On cherche donc en vain des formule-choc qui permettraient de conforter l’idée que le FN est un parti définitivement infréquentable. Tout juste peut-on relever la formule "islamo-gauchiste" à propos de Benoît Hamon, ce qui vient rappeler que la question de l’islam structure désormais fortement le paysage politique. Les propositions sur les étrangers (taxe en cas d’emploi d’un étranger, délai de carence de deux ans pour l’accès à la sécurité sociale) peuvent être jugées contestables mais Marine Le Pen les défend avec un argument original : la dénonciation de l’immigration en tant que politique "néo-coloniale". Cette formule est intéressante parce qu’elle vient bousculer sur leur propre terrain les partisans de l’ouverture des frontières, eux qui se revendiquent généralement de l’anticolonialisme. Un débat nouveau est peut-être en train de naître : la libre-circulation des personnes dans le monde globalisé est-elle synonyme d’émancipation ou au contraire d’asservissement ?  

En tout cas, la stratégie de banalisation semble maintenant bien rodée. Marine Le Pen ne suscite plus de réactions d’effroi de la part de ses contradicteurs, sauf éventuellement chez Najat Vallaut-Belkacem. Mais cette dernière a été tellement excessive dans la posture de l’opposante outrée qu’on peut se demander si elle ne devient pas contre-productive. Avec sa stratégie agressive, son regard méprisant, ses interruptions systématiques, la ministre de l’Education a-t-elle adopté le bon ton face à une Marine Le Pen qui endosse sans difficulté la posture de la modération ? Najat Vallaud-Belkacem avait pourtant des arguments à faire valoir. N’a-t-elle pas raison, par exemple, de nuancer le portrait catastrophiste qui est dressé à propos du système scolaire en France, ou de inquiéter de l’avenir du collège unique avec la proposition d’apprentissage à 12 ans ? N’est-elle pas fondée à demander à Marine Le Pen de quelle façon elle compte renforcer l’enseignement des apprentissages fondamentaux ? N’a-t-elle pas raison de demander à Marine Le Pen pourquoi les députés de son parti ont refusé de soutenir le gouvernement dans son projet visant à renforcer les contrôles sur l’enseignement privé hors contrat, alors que ce dernier est visiblement en passe de devenir l’un des nouveaux terrains de propagation de l’islamisme ? Mais à l’inverse, Marine Le Pen a également marqué un point lorsqu’elle a souligné que la proportion d’enfants d’ouvriers dans les Grandes écoles avait chuté au cours des dernières décennies. Certes, le pouvoir actuel n’est pas directement responsable de cette situation, mais que peut-il mettre à son actif sur ce point ?  

Dans sa stratégie de banalisation, Marine Le Pen a su habilement jouer sur l’actualité récente. L’affaire du jeune Théo lui a permis de se démarquer de la frange radicale du FN en récusant fermement le qualificatif de "racaille" utilisé par l’un des responsables du FN. On l’a même entendu prendre la défense de ce jeune ("il a été blessé", "il appelle à la paix"), comme elle tentera plus tard d’atténuer la dureté de sa politique de refoulement des migrants en clamant "je ne suis pas un monstre". De même, l’élection de Trump lui donne l’occasion d’atténuer sa radicalité : d’un côté, elle peut se vanter de n’être pas si extrémiste qu’on le dit puisque elle n’a nullement l’intention d’adopter une décision de type "muslim ban", sauf en cas de menace d’attentat avérée ; de l’autre, elle exalte la politique du nouveau président concernant la relocalisation nationale de l’emploi, en insistant sur le fait que la fermeté à l’égard des grandes entreprises qui délocalisent est payante. 

L’intervention de Patrick Buisson au titre de l’invité surprise est venue confirmer le profond renouvellement du discours du FN. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, issu lui-même de l’extrême-droite, lui a en effet reproché de s’être "chiraquisé". Il lui a ainsi demandé pourquoi elle refusait d’assumer explicitement l’héritage chrétien de la France. La question lui a permis de préciser sa ligne républicaine-nationale : elle entend défendre simultanément la liberté religieuse et la laïcité, ce qui passe notamment par l’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’espace public. Le maire communiste de Montreuil, Patrice Bessac, a bien tenté de la contrer sur cette proposition en s’appuyant sur l’exemple de Latifa Ibn Ziaten, cette femme voilée dont le fils, militaire de carrière, a été assassiné par Mohamed Merah en 2012. Mais l’attaque était trop convenue et a permis à Marine Le Pen de déployer une réponse en deux temps : d’abord une mise en cause directe de son contradicteur ("vous faites partie des maires qui ont acheté la paix civile"), ensuite le recours au témoignage du communiste André Gérin, ancien maire de Vénissieux, ardent partisan de la loi de 2010 sur la burqa, qui dénonce la montée de l’islamisme dans les quartiers d’immigration. La séquence a été d’autant plus difficile pour Patrice Bessac que pendant quelques secondes, son micro a été coupé, ce qui a permis à Marine Le Pen de lui répondre pendant que celui-ci s’égosillait vainement à l’écran. Patrice Bessac a cherché à reprendre la main en affirmant que les grands personnages de l’histoire de France sont ceux qui ont su rassembler, mais il a proposé une liste pour le moins étonnante de la part d’un communiste en évoquant Charles de Gaulle et "même Jeanne d’Arc". 

A la fin de l’émission, David Pujadas a annoncé le programme qui allait suivre : un documentaire intitulé "La guerre des sexes : la vie sans les hommes". L’une des premières scènes montrent une femme qui se plaint avec vigueur de la surreprésentation des hommes à tous les niveaux : dans les médias, au travail, etc. Cette critique peut s’entendre, mais l’émission à laquelle on vient d’assister frappe au contraire par son caractère très féminin. A part David Pujadas, Karim Rissouli et François Lenglet, tous les intervenants ont été des femmes (Léa Salamé, Charline Vanhoenacker et Najat Vallaud-Belkacem), et ce sont surtout des femmes qui ont fait les moments les plus marquants : la visite de Marine Le Pen dans un centre de formation, où Marine Le Pen a été vivement interpelé par une femme congolaise au sujet de sa proposition de taxer les travailleurs étrangers ; une secrétaire médicale au chômage, ancienne électrice FN, désespérée de ne voir aucune proposition pour les seniors dans son programme ; et une dirigeante d’une PME qui s’inquiète des effets d’une sortie de l’euro sur son entreprise ("et moi et moi", n’a-t-elle cessé de répéter). A chaque fois, Marine Le Pen a été mise en cause et a dû se justifier. Il n’est pas sûr qu’elle ait toujours convaincu, loin s’en faut, mais le plus intéressant est que, dans chacune de ses séquences, Marine Le Pen a donné le sentiment d’instaurer une certaine proximité avec ces femmes. On l’a même vu faire une accolade chaleureuse avec les femmes étrangères du centre de formation. Bien sûr, ces éléments ne risquent pas de briser le plafond de verre qui entoure le FN, mais  ils établissent une difficulté supplémentaire pour ceux qui entendent dénoncer ce parti. A la toute fin de l’émission, Marine Le Pen s’est adressée à Léa Salamé en lui souhaitant beaucoup de bonheur en raison de sa naissance à venir. Cette remarque était-elle sincère ou purement tactique ? Impossible de le savoir, mais on peut en tout cas s’interroger sur l’impact de cette dimension spécifiquement féminine dans l’évolution de l’image du FN.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !