Marie Madeleine : ce disciple ne peut être nommé puisqu’il s’agit d’une femme<!-- --> | Atlantico.fr
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Chantal Reynier publie "Marie de Magdala" aux éditions du Cerf.
Chantal Reynier publie "Marie de Magdala" aux éditions du Cerf.
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Atlantico Litterati

La relation entre Jésus de Nazareth et Marie Madeleine a fait naître bien des mythes. Chantal Reynier décrypte l’énigme Marie de Magdala telle qu’elle se présente dans l’Évangile, puis telle qu’elle s’est incarnée dans notre culture, de la peinture à la littérature.Le mystère de cette femme singulière, passionnée, unique en somme, subsiste. Subsiste aussi celui de cette forte relation au Christ. Mère, amie, disciple, âme-sœur ? « C’est le regard que Jésus pose sur elle qui permet de saisir la singularité ́ de Marie de Magdala par rapport aux autres disciples et de percevoir, à travers la relation unique que Jésus a avec elle, ce que cette relation révèle de lui ».

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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« Le » disciple bien-aimé ?

« Dans une étude récente, la bibliste néerlandaise Esther de Boer (« Mary Magdalen and the Disciple Jesus Loved », Lectio difficilior 1, 2001) à la suite de Ramon K. Jusino a vu dans Marie de Magdala le « disciple bien-aimé » et donc l’auteur du quatrième évangile. Cette hypothèse repose sur une série d’arguments, notamment sur l’anonymat du disciple en question. Cet anonymat intrigue : si Jésus aime ce disciple de manière singulière, pourquoi l’évangile ne donne-t-il pas son nom ? De plus, ce disciple apparaît tardivement dans le texte : il faut attendre la Passion car Jésus ne s’est pas confié à ses disciples et n’a choisi un successeur qu’au terme de son ministère. D’où vient la proximité de Jésus avec un tel disciple ? Pourquoi ce disciple a-t-il autorité ? Or, c’est dans le quatrième évangile que Marie de Magdala, et elle seule, est chargée de porter la Bonne nouvelle aux Onze. Par ailleurs, une certaine rivalité entre Jean et Pierre est mise en lumière dans la scène au tombeau et celle au bord du lac. Comment expliquer cela ? Sinon en assimilant Marie de Magdala_ au disciple que Jésus aimait. Tout semble alors devenir clair : ce disciple ne peut être nommé puisqu’il s’agit d’une femme ; Pierre est réticent à l’égard du disciple que Jésus aimait à cause du mépris dans lequel il tient les femmes ; la parole de Jésus : noli me tangeredevient compréhensible ; la place singulière donnée à Marie dans le quatrième évangile au moment de la Résurrection est justifiée puisqu’il s’agit non d’une femme mais de l’auteur du quatrième évangile, confondu avec le disciple bien-aimé . Une telle lecture relève de l’ironie au sens stylistique du terme et prive Marie de Magdala de son identité . Certes, en s’appuyant sur le sens crypté des Écritures, la polyvalence de certains termes, les questions d’autorité posées par la place de Pierre, l’exégète construit un raisonnement qui est cohérent mais dénué de fondement textuel incontestable.

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Marie, mère de Jésus ?

Dès le IIe siècle, on a proposé une autre assimilation, tout aussi étonnante, Marie de Magdala serait la mère de Jésus. C’est l’hypothèse retenue par des sources anciennes : Diatessaron (IIe siècle), Hippolyte de Rome, Paulin de Nole, Cyrille d’Alexandrie, Cyrille de Jérusalem, Origène, par les textes apocryphes comme l’Epître des Apôtres, les Actes de Thaddée, le Livre de la résurrection de Barthélemy, les Actes de Philippe ainsi que par des sources juives comme le Talmud de Babylone (VIe siècle). Ces sources sont pour la plupart orientales, transmises en copte ou en syriaque. Cette interprétation a connu une certaine diffusion, avant d’être délaissé et ne s’est jamais vraiment répandue en Occident. Thierry Murcia (Marie appelée la Magdaléenne, Aix-en Provence, 2017) a récemment remis en lumière cette hypothèse, identifiant, lui aussi, Marie de Magdala avec la mère de Jésus, qu’il différencie de Marie- Madeleine laquelle est la synthèse de plusieurs figures. La lecture qu’il propose s’appuie sur les arguments suivants.

Marie de Magdala et la mère de Jésus portent le même nom. Le nom de Magdala n’indique pas une origine géographique mais est un attribut qui met en avant la grandeur de la personne, «Marie la Magnifiée». Marie de Magdala est toujours en tête du groupe des femmes, elle en est responsable, ce qui indique une femme veuve. Selon une logique tout humaine, puisque la mère de Jésus est présente à` la croix, elle doit aussi être présente au tombeau le matin de Pâques. C’est à sa mère que le Ressuscité , selon cette mê- me logique, devrait apparaître en premier : c’est ce que décrit en donnant à Marie la mère de Jésus le nom de Marie de Magdala. C’est elle qui devient alors messagère de la résurrection. D’ailleurs n’est-ce pas la femme la plus citée des évangiles ? Il est étrange en effet que Marie de Magdala ait une telle place, qui fait d’elle plus qu’un disciple, la disciple parfaite : c’est donc qu’elle est la mère de Jésus. Paul, qui dresse la liste de ceux et celles à qui le Christ ressuscité est apparu ne nomme pas Marie de Magdala. Cela prouve qu’elle n’est pas celle qu’on croit. Au début du livre des Actes des Apôtres, Marie, la mère de Jésus est présente avec les disciples au Cénacle (Ac 1, 14). On s’attendrait à ce que soit aussi présente Marie de Magdala. Il n’en est rien. Les deux ne sont jamais citées ensemble, a` l’exception de Jn 19, 25. Ce qui montre la` encore qu’il s’agit d’un seul et même personnage.

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Reste à comprendre l’exception : Jn 19, 25. Le quatrième

évangile est le seul à présenter Marie, la mère de Jésus, au pied de la croix. En fait, par une habileté stylistique, un chiasme, il brouille les pistes et dit que Marie, la mère de Jésus, n’est autre que Marie de Magdala. Comment ? En alignant plusieurs Marie, comme dans un message codé que seuls des initiés sont en mesure de déchiffrer sans que les autres soient alertés sur le problème, il évite ainsi de dire explicitement qu’il n’y a que deux femmes près de la croix mais celui qui est au courant le comprend: la première, la mère de Jésus, alias Marie de Magdala, et la seconde, Marie, épouse de Clopas, sa tante.

Sur le plan familial, il n’est pas possible que Marie soit absente de la Passion de son Fils, n’assiste pas à` son ensevelissement et ne visite pas le tombeau. Justement, Marie de Magdala, elle, est présente non seulement pendant le ministère de Jésus mais au Calvaire, au tombeau, à la première apparition du Ressuscité . Preuve qu’elle est en fait la mère de Jésus. Bien sûr, Marie, la mère de Jésus, dans les récits de l’enfance que l’on ne trouve que dans les e évangiles de Matthieu et Luc, est idéalisée, voire héroïsée et ne ressemble pas à la Marie de Mandala de la fin des évangiles. Cette différence n’est pas un empêchement à l’assimilation des deux personnages car les traditions concernant la Vierge sont tardives.

De cette omniprésence de Marie de Magdala, on en déduit qu’elle est la mère de Jésus et, ce faisant, on refuse qu’une femme, autre que sa propre mère, ait une place singulière. Une telle hypothèse, si elle avance de nombreux arguments, n’en reste pas moins insuffisamment étayée. On a vu la question syntaxique de Jn 19, 25 (chapitre 5). Les arguments de logique qui sont proposés se heurtent aux textes. Cette surinterprétation de la mère de Jésus va à l’encontre de la posture de Jésus rapportée par les synoptiques: «‘‘Qui est ma mère? et mes frères ?’’ et promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit: ‘‘voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu m’est un frère, une sœur et une mère’’ » (Mc 3, 33-35 et par Mt 12, 46-50 ; Lc 8, 19-21). De même, dans l’évangile de Jean où il n’y a pas de ré

cit de l’enfance, Marie, sa mère, est celle qui, à Cana, introduit Jésus dans la vie publique et passe ensuite après s lui (Jn 2, 1.12). Elle ne reviendra sur le devant de la scène qu’à la Passion lorsque Jésus la confiera à Jean (Jn 19, 25-27). L’enseignement de Jésus, qu’il soit rapporté par les synoptiques ou par l’évangile de Jean, a toujours une visée universelle au-delà du cadre familial. Quant à Paul, il est vrai qu’il ne parle pas de Marie de Magdala dans ses lettres, mais il ne parle pas davantage de Marie, la mère de Jésus, qu’il désigne sous le simple vocable : «une femme» (Ga 4, 4). Par ailleurs, pourquoi nier l’identité ́ propre de Marie de Magdala alors qu’on refuse de la confondre avec Marie de Béthanie ou avec la pécheresse de Luc? Pourquoi serait-elle davantage assimilable à la mère de Jésus ? Affirmer que Marie de Magdala est la mère de Jésus et que sur elle se concentre la mission d’évangé -lisation contredit les relations que Jésus entretient avec sa mère en respectant la singularité de sa fonction maternelle.

Ces deux interprétations par assimilation avec « le disciple bien-aimé » et avec Marie la mère de Jésus, montrent combien la figure de Marie de Magdala est complexe et sujette à` des lectures influencées par des textes postérieurs au Nouveau Testament et aussi par notre arrière-plan culturel. Les deux font appel à un langage crypté qui n’a rien à` voir avec le langage symbolique de Jean. Si intéressantes soient-elles, ces hypothèses ne sont pas en cohérence avec le texte biblique. D’autres rapprochements mettent davantage en relief l’identité et la fonction donnée a` Marie de Magdala par les auteurs néotestamentaires.

EVE ?

Dans le domaine de l’accomplissement des figures, Marie de Magdala n’est pas sans évoquer la figure d’Ève que l’on applique plus spontanément à Marie, la mère de Jésus. Le récit de l’apparition à Marie dans le quatrième évangile se déroule dans le jardin qui rappelle celui de la création. Si, dans la Genèse, le jardin est celui où apparaît l’être humain (Gn 2, 8) ainsi que le lieu ou` l’homme et la femme désobéiront à leur Créateur (Gn 3), dans le quatrième évangile, le jardin est le lieu où Jésus est entré ́ dans sa Passion (Jn 18, 1), a été ́ enseveli et d’où` il sortira vivant, révélant a` l’être humain sa vocation.

Le jardin sert de cadre a` la quête respective d’Ève et de Marie de Magdala. La première cherche la connaissance à travers le fruit défendu, la seconde cherche à` savoir « ou` » se trouve le corps de Jésus. Ève, en poursuivant une recherche qui la sépare de Dieu, tombe dans le péché ́ . Marie de Magdala, en reconnaissant Jésus comme Seigneur, s’ouvre au salut offert.

La nouvelle Ève ?

Hyppolyte de Rome est le premier à donner a` Marie de Magdala le titre de « nouvelle Ève ». Il sera suivi par Ambroise de Milan et d’autres. Alors qu’Ève a connu la première la mort, Marie connaît la première la joie de voir le Ressuscité et de découvrir la promesse de la Résurrection pour tout être humain. Ève était annonciatrice de mort ; Marie proclame la vie qui n’aura pas de fin. En contrepoint d’Ève, elle témoigne de la nouvelle création. Pour Grégoire le Grand, « la faute du genre humain est détruite la` où elle avait pris naissance au Paradis ». Alors qu’Ève avec Adam avait introduit le péché ́ dans le monde, Marie de Magdala, en rencontrant «le second et le dernier Adam» (1 Co 15, 45-47), devient celle qui engendre les croyants à la foi, revalorisant ainsi le rôle de la femme comme le suggère Léonce de Constantinople.

L’épouse du Cantique ?

Une autre figure de l’Ancien Testament préfigure Marie. Il s’agit de la Sulamite du Cantique des cantiques. S’il n’y a pas de correspondance lexicographique, un parallélisme de situation et une même dynamique sous-tendent les scènes de Ct 3, 1-4 et de Jn 20, 1-18. La Sulamite en quête du Bien- Aimé parcourt les rues de Jérusalem tandis que Marie sort de la ville et se précipite au tombeau dans lequel Jésus a été dépose ́ (Ct 3, 2 ; Jn 20, 1-2). Les deux sortent, en pleine nuit pour la première, en fin de nuit pour la seconde. Elles sortent seules en dépit des conventions qui demandaient que la femme sorte toujours en plein jour et accompagnée. Marie et la Sulamite, inspirées par leur amour, ne craignent pas les mauvaises rencontres. Pourtant Marie sait qu’il y a des adversaires de Jésus ; quant à la Bien-Aimée, elle ne redoute pas les gardes, puisqu’elle les interroge. Cependant, dans les deux cas, la recherche est vaine : « J’ai cherché et ne l’ai point trouvé ́ » déplore à deux reprises la Sulamite ; « On a enlevé le Seigneur du tombeau et on ne sait pas ou` on l’a mis » s’écrie Marie par trois fois.

Dans cette recherche interviennent des tiers. Pour la Sulamite, il s’agit des gardes : « Les gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la Ville : ‘‘Avez-vous vu celui que mon cœur aime?’’» (Ct 3, 3). Marie est questionnée: par deux anges... Ils lui disent : « Femme pourquoi pleures-tu ? » et elle répond : « On a enlevé ́ mon Seigneur et je ne sais pas ou` on l’a mis. » Elle voit aussi le « jardinier » qui l’interpelle de la même manière. Alors elle s’enquiert auprès de lui du lieu où pourrait se trouver celui qu’elle cherche.

Après avoir rencontré ́ les gardes, la Bien-Aimée trouve «celui que son cœur aime»; après avoir entendu son nom, Marie reconnaît Jésus. La Sulamite s’exclame alors: «J’ai trouvé ́ celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et ne le lâcherai point que je ne l’aie fait entrer dans la maison de ma mère... » (Ct 3, 4). Marie est dans la même dynamique. Comme la Sulamite qui veut saisir son Bien-Aimé ́, Marie s’élance vers Jésus qui lui demande : « Ne me touche pas », « Ne me retiens pas », « Cesse de me tenir » (Jn 20, 17).

Le jardinier et le jardin font se lever un monde symbolique. Dans le Cantique des cantiques, le terme grec utilisé pour les interlocuteurs de la Sulamite ne signifie pas seulement « garde » mais aussi « jardinier ». La quête de Marie se passe dans un jardin, jardin évoquant tout a` la fois le Paradis, l’arrestation de Jésus, son ensevelissement, sa résurrection et enfin son apparition. Dans le Cantique des cantiques, il est aussi question de jardin: «Que mon Bien-Aimé entre dans son jardin» (Ct 4, 16). «J’entre dans mon jardin, ma sœur, ma fiancée» (Ct 5, 1). Ainsi la rencontre de Marie de Magdala avec le Ressuscité peut être comprise a` cette lumière, notamment à celle de la finale du livre des Cantiques, ou` la Bien- Aimée s’adresse au Bien-Aimé en ces termes : « Toi qui habites les jardins, mes compagnons prêtent l’oreille a` ta voix : daigne me la faire entendre » (Ct 8, 13). Marie a eu le privilège de s’entendre appeler par son nom. A` son tour, elle devra faire entendre la voix du Bien-Aimé. »

CopyrightChantal Reynier « Marie de Magdala »/ 152 pages /12,00€ - ( févr. 2022)

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