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Manipulation des changes : le dernier scandale en date qui vient affaiblir les prétentions à la vertu des banques
©Reuters

Toujours plus haut, toujours plus fort

Le régulateur des services financiers de New York a demandé des informations à une douzaine de banques dans le cadre d'une enquête sur des manipulations supposées du marché des changes.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Les autorités financières de l'Etat de New York ont ouvert une enquête sur des soupçons de manipulation des taux de change sur plus d'une douzaine de banques. Parmi elles, la Société Générale, la Deutsche Bank, Goldman Sachs, Barclays et Crédit Suisse. Quels sont, concrètement, les soupçons qui pèsent sur ces banques ?

Michel Ruimy : Il faut savoir qu’outre les autorités financières américaines, plusieurs autres autorités ont engagé des enquêtes sur cette affaire. Il s’agit donc d’une enquête internationale dont l’objectif est de savoir s’il y a eu des ententes illicites entre banques visant à manipuler les cours sur le marché des changes (Foreign Exchange ou Forex) dont les transactions quotidiennes se montent à plus de 5 300 milliards de dollars (environ 4 000 milliards d'euros), en gros le PIB 2013 de la France et du Royaume-Uni réunis !

On reproche à certains traders d’une douzaine de banques d’avoir manipulé les cours en utilisant des forums de discussion sur l’internet (chats rooms) et des messageries instantanées pour influencer le taux de référence quotidien, le WM/Reuters, qui est le prix de 160 monnaies, déterminé à intervalles réguliers par le calcul de la médiane des transactions réalisées pendant soixante secondes. Les transactions visées par l’enquête, qui auraient eu lieu ces dernières années après la crise financière, se seraient concentrées principalement sur les devises mineures scandinaves ou latino-américaines, plus facilement manipulables que les principales parités (euro-dollar, yen-dollar…), qui sont des marchés sur lesquels de très importants volumes sont échangés. Ils auraient profité d’informations fournies par les ordres d’achat/vente de clients pour s’enrichir eux-mêmes. Ils auraient partagé des informations privilégiées avec la concurrence pour placer de nombreux ordres d’achat/vente pendant un court laps de temps précédant le « fixing » clé du WM Reuters de 16 heures. Ils auraient donc agi de connivence au mépris des lois de libre-concurrence, de la législation anti-trust américaine et européenne.

Quelles peuvent être les conséquences pour les établissements bancaires concernés. S'il y a eu fraude, peuvent-ils être condamnés ?

Oui, tout à fait. En vertu d’une directive avalisée en ce début de semaine par le Parlement européen pour moraliser les marchés Union européenne, les auteurs convaincus de délits financiers importants, comme la manipulation de marché ou les délits d'initiés, pourraient être passibles de peines de prison. Cette disposition impose notamment aux 28 États-membres de l’Union d’envisager des peines de prison d’au moins 4 ans pour les formes les plus graves de délit et de 2 ans minimum pour divulgation irrégulière d’informations privilégiées.

Aujourd’hui, dans de nombreux pays (Autriche, Bulgarie, Finlande, Espagne, Slovénie, Slovaquie et République tchèque), ces abus ne sont pas réprimés pénalement, ce qui permet à leurs auteurs de s’en tirer avec de simples amendes.

Cette affaire peut-elle également avoir une influence sur l'économie ? Cette affaire peut-elle avoir le même impact que le scandale du Libor et de l'Euribor ?

Le Libor est un taux d’intérêt de référence pour de nombreux crédits. Il était fixé, chaque jour, à partir de transactions effectuées par un panel de quelques établissements financiers triés sur le volet.

Dans cette affaire qui a secoué la finance internationale l’an dernier, il était relativement facile pour certaines de ces banques de manipuler ce taux en le tirant légèrement à la hausse ou à la baisse selon le cas, de manière à maximiser leurs profits sur des opérations liées à produits dérivés, détenus par d’autres traders appartenant à ces mêmes banques ou à des établissements « amis ».

Il semblerait que cette affaire soit un scandale aussi important, a priori, que celui du Libor. La Financial Conduct Authority (FCA), l’organisme de tutelle du secteur financier britannique, a, en effet, déclaré que les motifs qui ont mené à l’ouverture de son enquête sur les changes sont « tout aussi graves » que ceux qui avaient conduit à l’enquête sur les soupçons de manipulation du Libor. Il faudra attendre vraisemblablement 2015 pour connaître les conclusions de cette investigation.

Pour information, les amendes déjà prononcées dans l’affaire du Libor représentent, à ce jour, au total, près de 4 milliards de dollars.

Cette affaire est-elle la preuve, une nouvelle fois, que le monde de la finance n'est pas suffisamment contrôlé ?

Il convient de bien comprendre ce qu’il se passe.

Jusqu’à la découverte de cette affaire, les autorités de régulation ne s’intéressaient guère au Forex, marché très liquide, bien organisé, dominé par le dollar qui bénéficie d’une réglementation d’une grande souplesse du fait de la quantité limitée de devises activement négociées dans le monde, du grand nombre d’intervenants, de l’importance des volumes échangés… qui garantissaient la transparence du marché. Les régulateurs avaient ainsi une totale confiance dans le marché, dans les professionnels. A ce titre, selon le Sunday Times du 3 novembre 2013, la confiance de la Banque d’Angleterre envers les cambistes était telle qu’elle se contentait de s’informer auprès des professionnels via un comité composé de traders de renom. De plus, répétaient à l’envi les superviseurs, l’indice WM/Reuters est calculé sur les opérations réelles et non pas sur des estimations, comme dans le cas du Libor.

Dans cette affaire, même si le coût réel pour la clientèle n’est sans doute pas énorme, il s’agit d’une nouvelle violation de la confiance. Ainsi, ce scandale peut illustrer, dans une certaine mesure, l’adage selon lequel la confiance n’exclut pas le contrôle.

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