Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé : malaise au pays du féminisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Laura Lesueur publie « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé » aux éditions Le Cherche Midi.
Laura Lesueur publie « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé » aux éditions Le Cherche Midi.
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Bonnes feuilles

Laura Lesueur publie « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé » aux éditions Le Cherche Midi. Des dérives du féminisme radical à la nécessité d'un féminisme éclairé, ouvert à la nuance, inclusif de toutes les femmes, mais aussi des hommes, Laura Lesueur s'interroge sur la façon dont on peut progresser sur la question en évitant les écueils qui divisent. Extrait 1/2.

Laura Lesueur

Laura Lesueur

Laura Lesueur est conférencière et cheffe d'entreprise. Elle est la créatrice du podcast "Legend Ladies" qui traite de l'ambition féminine au travers de parcours de femmes d'horizons divers. En 2022, elle a été distinguée pour son investissement en matière d'égalité femmes-hommes par le réseau social Linkedin et le magazine Forbes.

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Je suis une femme. Juste une femme, qui vaut peut-être bien toutes les femmes et que vaut n’importe qui. J’ai trente-trois ans.

J’ai été directement concernée par l’inégalité salariale. Le sexisme ordinaire en entreprise, je connais. Je ne compte plus les fois où j’ai subi, comme huit femmes sur dix, le harcèlement de rue ou dans les transports.

Pendant six ans, j’ai vécu un phénomène d’emprise avec un homme si jaloux qu’il en était devenu menaçant. J’ai eu peur à de nombreuses reprises en rentrant seule le soir, une fois la nuit tombée, rasant les murs et m’assurant que ma bombe lacrymogène se trouvait bien dans mon sac, dégainable à tout instant, et comme bien des filles, plusieurs fois, j’ai dû faire semblant d’être avec mon père ou un copain au téléphone. Plusieurs fois, j’ai eu peur de tomber enceinte alors que je ne le voulais pas. De manière constante, j’ai dû batailler pour prouver à mes collègues masculins que mes particularités physiques et mes goûts féminins assumés ne faisaient pas de moi une décérébrée. J’ai failli mourir, une veille de Noël, à l’hôpital, ce qui m’a valu de connaître d’importants problèmes de fertilité. Je ne dirais pas que de tout cela je n’ai pas souffert. Mais de tout cela je me suis remise.

Cependant, ces derniers temps, un point me questionne en profondeur.

Il s’agit de ce sentiment de malaise persistant, cette absence de réponse univoque, en 2023, à la question que j’ai tant posée : « Et vous, êtes-vous féministe ? »

Mes proches, mes amis ou anciens collègues, mais surtout les quelque cent cinquante femmes – et hommes – avec qui je me suis entretenue sur mon podcast « Legend Ladies » ont été traversés par cette même question.

Lancée en 2020, cette émission a rapidement connu une très grande audience. La démarche initiale venait d’une envie et de la curiosité d’interroger la notion d’ambition féminine. Était-elle si différente chez une femme d’affaires, une entrepreneuse, une politique, une autrice, une actrice, une médecin, une femme au foyer ? Par-delà les parcours, les réussites, les âges, les origines sociales, était-il possible de définir cette ambition ? Pour quelles raisons certaines femmes avaient-elles du mal à l’assumer, en éprouvant le besoin de la justifier ou en allant jusqu’à s’en excuser, quand il n’était pas carrément question de la dénigrer ? Quel sens mes invitées allaient-elles donner à ce mot qui souffre encore d’une réputation ambivalente lorsqu’il est conjugué au féminin ?

Mon axe de départ était donc le suivant : questionner l’idée d’ambition chez mes interlocutrices au travers de leur parcours, leur environnement professionnel, leur âge, leur trajectoire ; ôter à cette notion la couleur négative qu’elle acquiert quand elle concerne une femme (si tant est qu’il existe une ambition liée au genre…) ; montrer qu’elle est finalement protéiforme en retraçant les vies de personnes qui ont osé suivre leur voie, faire entendre leur voix.

Tordons d’emblée le cou à une idée qui fâche. L’ambition peut s’avérer saine et même souhaitable, et elle peut se manifester de diverses manières. Il ne s’agit pas de « tout vouloir », ce qui rendrait le mot gros d’une avidité dont on le boursoufle déjà. Seuls les enfants malheureux ou les inconséquents veulent tout. Vouloir, ça n’est donc certainement pas se disperser. C’est se vouer à une vision du monde, à un projet qui nous tient plus que tout à cœur, ou à un idéal, et se donner les moyens d’y tendre. Si nous devions résumer l’ambition, je dirais qu’elle revient avant tout à assumer sa liberté, à ne pas céder sur ses désirs. À avoir l’audace de se réaliser pleinement, sans se travestir, sans se soumettre, ni rien concéder de soi.

Cependant, très vite, au fil des heures passées à interroger des femmes dans le but énoncé, je me suis aperçue que le véritable enjeu se trouvait ailleurs.

Assez naturellement, au cours des entretiens, j’ai été amenée à interroger mes invitées sur les obstacles qui ont ponctué leurs parcours – et autres questions que l’on aimerait ne plus avoir à poser aux femmes mais qui continuent de traduire une réalité :

« Avaient-elles eu le sentiment de devoir jouer des coudes pour faire leur place ? »

« Comment parvenaient-elles à concilier des carrières ambitieuses avec une vie de famille qui l’était souvent tout autant ? »

« Comment étaient-elles venues à bout de ce fichu syndrome de l’imposteur ? »

« Avaient-elles eu le sentiment de devoir prouver plus parce qu’elles étaient des femmes ? »

« Étaient-elles régulièrement confrontées au sexisme ? »

« Et, au fait, se revendiquaient-elles “féministes” ? »

Silences… Mouvements de recul… Crispations sur la chaise… Moues dubitatives… Yeux levés au ciel… Soupirs…

« Oui, mais… »

« Non, pas vraiment, mais… »

« Féministe, pas du tout !! »

« Évidemment, nous le sommes toutes ! »

« Féministe. » Chaque fois, le mot a un effet « éléphant dans un magasin de porcelaine ». Il paraît encombrant, on ne sait qu’en faire, on a vite envie de s’en débarrasser. Il énerve, crispe, dérange, fatigue ou, au contraire, il enthousiasme à l’excès. En tout état de cause, le moins qu’on puisse dire, c’est que le rapport à la question n’est pas apaisé.

POURQUOI CETTE INCAPACITÉ À PARLER D’UNE SEULE ET MÊME VOIX ?

Féministes, il me semble que nous le sommes toutes tant que ce mot recouvre l’idée d’une revendication à l’égalité des droits (politiques, économiques, culturels, sociaux, juridiques) et des libertés entre les femmes et les hommes.

Ayant moi-même fait mes armes dans des environnements professionnels particulièrement peu féminisés (fonctions de direction commerciale au sein d’entreprises de la French Tech où le taux de femmes ne dépasse guère les 20 %), compétitifs –  où la performance est érigée en valeur absolue  –, j’ai eu le loisir d’observer la « bro culture » (ndlr  : littéralement la « culture des frères », « bro » étant une forme abrégée du mot anglais “brother”, « frère ») en marche. J’ai été directement confrontée aux inégalités salariales ou au sexisme.

Si l’on envisage donc le « féminisme » comme un mouvement constitué de vagues successives visant à établir une égalité absolument indispensable entre les sexes, face à des écosystèmes où le déséquilibre peut s’avérer criant, et comme le droit inconditionnel des femmes à pouvoir avoir un enfant si et seulement si elles le veulent, alors oui, le féminisme est un combat progressiste indispensable qu’il nous faut poursuivre et soutenir de toutes nos forces. S’accorder sur ce point de convergence est un préalable important.

Ensuite, lorsque l’on passe de la théorie à la pratique, le tableau devient plus nuancé.

Au fil de mon questionnement, il m’est apparu que la représentation du mouvement féministe, son mode d’expression et une partie de ses revendications ont rendu difficile l’émergence de convictions communes et univoques sur le sujet. Au point de desservir le combat initial que nous venons d’évoquer, noble et nécessaire.

Si nous avons aujourd’hui tant de mal à répondre avec assurance et sans détour, d’une seule et même voix, à la question « Êtes-vous féministe ? », c’est parce que l’on sent bien que ce mot porte en lui des dérives trop souvent en dissonance avec les intimes convictions des uns et des autres. Le terme de « féministe » est désormais entaché des excès du féminisme radical dans lequel très peu d’entre nous (femmes et hommes confondus) se reconnaissent, bien qu’il soit celui que l’on entend le plus dans l’espace public.

Extrait du livre de Laura Lesueur, « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé », publié aux éditions Le Cherche Midi

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