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Manifestations en plein cœur de Téhéran : la déstabilisation du régime iranien recherchée par les sanctions de l'administration américaine a-t-elle commencé ?
©ATTA KENARE / AFP

Turbulences

Les protestations depuis le Grand Bazar de Téhéran - qui reflète le pouls de l’économie iranienne - révèlent l'ampleur des difficultés économiques traversées par le pays.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico : Selon plusieurs médias internationaux, comme la BBC, d'importantes manifestations ont eu lieu ce 25 juin à Téhéran, notamment pour protester contre la vie chère. Comment mesurer le risque de déstabilisation du régime par de tels mouvements ? 

Ardavan Amir-Aslani : Le retrait américain de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 a eu pour effet d’éteindre l’espoir de tout un peuple que leur sort au quotidien allait changer. Que le pays allait s’ouvrir aux investissements internationaux et que l’industrie pétrolière, une fois modernisée, allait permettre à l’Iran de retrouver sa place de deuxième producteur de l’OPEP. En somme, que les jours meilleurs succéderaient à des années de sanctions et d’ostracisme. Or, tout cet espoir est demeuré lettre morte. Déjà quand l’accord produisait ses pleins effets avec les Etats-Unis qui en faisaient partis, l’accord était déjà mort-né du fait du maintien des sanctions américaines non liées au nucléaire qui bloquaient aussi bien les flux financiers vers l’Iran que le financement des projets. Ainsi, au lieu des 150 Milliards de dollars d’investissements espérés, le pays n‘a reçu au mieux qu’une faible fraction des milliards annoncés, 10 milliards au maximum et probablement moitié moins. Aujourd’hui avec le retrait américain, la quasi-totalité des entreprises étrangères d’importance ont quitté le pays. La monnaie iranienne ne cesse d’être chahutée sur le marché libre ayant déjà perdu quasiment 100% de sa valeur par rapport aux cours d’il y a un an. Cette instabilité des cours a entrainé d’une part une radicale augmentation du prix des biens et denrées d’importation mais a également freiné aussi bien les consommations que les ventes.

Le Bazar de Téhéran reflète le pouls de l’économie iranienne. Sa fermeture traduit outre le mécontentement des commerçants qui fournissent le marché, l’absence d’espoir à court terme dans la stabilité économique du pays. La dévaluation de la monnaie iranienne a poussé la population à se ruer vers les devises étrangères de plus en plus rares, vers l’or et l’immobilier, les valeurs refuges traditionnelles entrainant un sentiment de panique dans le pays. Après le 6 août, date de la transposition des premières sanctions américaines, viendront celles frappant le secteur pétrolier le 4 novembre prochain. Les Etats-Unis ont déjà exhorté les pays acheteurs à cesser de s’approvisionner en pétrole iranien. La transposition de cette deuxième série de sanction privera l’Iran de ses principales sources de revenus et mettra une pression extrême sur le budget de l’Etat. Le gouvernement n’aura d’autres choix que de pallier au manque à gagner en ayant recours à la planche à billet ce qui entrainera une explosion de l’inflation.

L’heure des troubles est devant le gouvernement iranien et pas derrière. Des jours difficiles sont à prévoir.

Dans un contexte où les sanctions américaines devraient être mises en place dès le mois d’août prochain, comment évaluer les risques de poursuites de tels mouvements ? Comment anticiper la réaction du régime ? 

La poursuite des mouvements sociaux est inéluctable du fait de l’incapacité du pouvoir de pallier à la situation, fautes de moyens. La situation s’empirera en automne quand les ventes pétrolières s’arrêteront et mettront les finances du gouvernement en difficulté. Le pouvoir risque de paniquer face à l’ampleur des troubles à venir. Il ne pourra y apporter de solutions fautes de moyens financiers adéquats. Le gouvernement du Président modéré Rouhani est déjà mis à mal ayant survendu les dividendes que l’Iran allait pouvoir percevoir suite à la signature de l’accord nucléaire et ayant sous-livré ses bienfaits en pratique. Les conservateurs guetteront ses moindres faits et gestes et ne manqueront pas de le fragiliser davantage. Rouhani sera fustigé comme celui qui a détruit l’infrastructure nucléaire du pays en échange des avantages annoncés mais non matérialisés de l’accord nucléaire. Afin de calmer le jeu, le gouvernement sera contraint de compter de plus en plus sur l’appareil sécuritaire et de la sorte abdiquera à chaque recours des parcelles de plus e plus importants aussi bien de son pouvoir que de sa crédibilité. Ne pouvant compter sur l’Europe, totalement incapable d’apporter des solutions concrètes aux besoins financiers de l’Iran, Rouhani sera obligé de s’engager sur la route dangereuse que sera la sortie de l’accord nucléaire ce qui le privera du soutien politique de l’Europe et l’engagera dans la voie des conservateurs qui voudront durcir le pouvoir afin de garantir sa pérennité

Alors que certains commentateurs ou analystes perçoivent l'action américaine comme ayant pour objectif un "changement de régime" en Iran, comment évaluer la probabilité d'un tel résultat ? Quelles en seraient les conséquences politiques ? 

On n’a pas besoin d’analyses pour se rendre compte que la volonté de Washington à travers la transposition des sanctions est bien le changement de régime à Téhéran. Pour s’en convaincre il suffit d’écouter les discours du conseil à la sécurité nationale, John Bolton ou encore ceux du secrétaire d’Etat, Mike Pompeo qui tous deux prônent ouvertement le changement de régime à Téhéran. Rappelons que les sanctions que les Etats-Unis ont imposées à l’Iran sont sans précédents depuis la seconde guerre mondiale. Ainsi, le pouvoir iranien n’aura d’autres choix que d’avoir recours à la répression et de céder à la tentation de devenir une seconde Corée du Nord, celle d’avant l’entente avec Trump. Or là où le bât blesse, pour les durs du régime, est que l’Iran n’est pas la Corée du Nord ; on ne peut enfermer 83 millions d’iraniens dans un grand camp ne serait-ce que parce que le pays dispose d’une dizaine de pays frontaliers voisins et pas qu’une Chine alliée comme unique voisin comme c’est le cas de Pyong Yang. Ainsi faute d’alternative Téhéran pourra se retrouver dans une situation où il n’aura d’autres choix que d’entamer des négociations directes avec Washington. Une telle éventualité sera tellement antinomique avec les principes directeurs du régime qu’une redistribution des cartes sera inéluctable à Téhéran avec comme conséquence l’avènement d’un régime ouvertement militaire qui lui, étant monocéphale, pourra parier sur le quitte ou double avec Washington.

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