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Manifestation autorisée in extremis à la Bastille : pourquoi le gouvernement ne mérite pas un procès en démocratie mais en incompétence politique, sociale et juridique
©Reuters

Léonarda forever

Les atermoiements de l'exécutif quant à la réponse à donner aux violences en marge des rassemblements contre la loi Travail et les hésitations sur l'organisation ou non d'une manifestation ce jeudi sont directement liés. Des erreurs et des failles que l'on a d'ailleurs retrouvés tout au long du conflit social, sur le dialogue avec les syndicats, mais aussi avec la majorité parlementaire.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Alors que l'exécutif avait fait savoir que la manifestation parisienne de ce jeudi 23 juin serait interdite, plusieurs représentants politiques comme Olivier Besancenot ou encore Marine Le Pen ont dénoncé une atteinte à la démocratie (voir ici). Finalement, la manifestation a été autorisée sur un parcours très limité, et le syndicats y voient une victoire en termes de sauvegarde de nos libertés fondamentales. Ce procès en déni de démocratie a-t-il vraiment un sens ? Les syndicats peuvent-ils considérer qu'ils sont bâillonnés par le pouvoir en France ? Quelle est la réalité de l'influence et du pouvoir de ces organisations par rapport à d'autres pays ? 

Eric Verhaeghe : Pour que les syndicats français deviennent le symbole de la démocratie ou des valeurs démocratiques, il faut évidemment que nos institutions aient un sérieux problème. Le fondement du syndicalisme, et plus spécialement de l'anarcho-syndicalisme, n'a en effet rien à voir avec la démocratie. Rappelons d'abord qu'ils tiennent l'essentiel de leur influence, ou l'ont tenue pendant des années, d'une relation incestueuse avec le pouvoir politique. Sans la présomption irréfragable de représentativité qui a prévalu jusqu'en 2008, c'est-à-dire une désignation officielle des syndicats, ceux-ci n'auraient aucune existence ou en auraient très peu. Et là encore, on ne peut comprendre le syndicalisme français, spécialement le syndicalisme de la CGT et de FO, sans une référence permanente à l'expropriation du capital, à la dictature du prolétariat, et à une proximité systématique avec le pouvoir. La démocratie, là dedans, n'a pas beaucoup de sens. Les syndicats sont des corps intermédiaires qui ont besoin de parasiter le fonctionnement démocratique normal pour exister. 

Rappelons par ailleurs les chiffres que tout le monde connaît : le faible nombre d'adhérents, les processus internes de décision souvent très contestables, qui biaisent fortement le fonctionnement interne de ces organisations. Cela ne signifie pas que les syndicats ne soient pas incompatibles avec la démocratie, mais il est sûr que ces formes contemporaines de la corporation d'Ancien Régime s'accommodent très bien de fonctionnements peu démocratiques. La CGT n'a-t-elle pas, pendant des années, fermé les yeux sur le totalitarisme soviétique ?

Hubert Landier : Comme toujours, il aura fallu choisir la moins mauvaise solution possible. Le parcours autorisé ne permettra d’accueillir qu’un très petit nombre de manifestants, mais les organisateurs pourront toujours crier victoire pour avoir obtenu le droit de se rassembler sans pour autant que le gouvernement soit décidé à lâcher sur l’essentiel.

Derrière cette apparence de crise sociale, ce qui se dissimule, c’est un affrontement politique entre François Hollande et Manuel Valls d’une part, Jean-Luc Mélenchon de l’autre, celui-ci se manifestant par CGT interposée, l’enjeu portant sur la prochaine élection présidentielle. Moyennant quoi chacune des parties en présence met en avant les grands mots.

Que la liberté de manifester fasse partie des libertés fondamentales, c’est indéniable ; mais le respect de l’ordre public fait également partie de ce que les citoyens sont en droit d’attendre de l’Etat. Quant à la démocratie, c’est par l’intermédiaire de la représentation parlementaire qu’elle doit s’exercer, non à travers les manifestations de rue. Et l'action ldes groupements corporatistes, associatifs ou professionnels doit s’inscrire dans l’ordre politique défini par la Constitution. 

En ce qui concerne le projet de loi Travail, ils auront pu s’exprimer avant le débat parlementaire, il leur est encore possible de s’exprimer auprès de chacun des élus, mais il serait contraire à la démocratie de leur donner la préférence par rapport à la représentation nationale. Ce qui me frappe, c’est la confusion dans les esprits à laquelle conduisent les prétentions de certains dirigeants syndicaux dont la représentativité, en fait, est assez limitée.

  1. Les manifestations contre la loi El Khomri ont été le théâtre de nombreux actes de violence et de vandalisme. La semaine dernière, c'est l’hôpital Necker à Paris qui était visé. Quelles défaillances précises du gouvernement peut-on relever quant à la gestion de l'ordre public et de l'encadrement des casseurs ? Très concrètement, certains éléments ne remettent-ils pas sérieusement en question la compétence de nos dirigeants actuels ?

  2. Patrice Ribeiro : Il y a effectivement eu des erreurs de la part des autorités. Dès le début, nous avons constaté des atermoiements, et une sorte de retenue de la part des forces de l'ordre. Cela s'est traduit concrètement par l'absence de consignes claires, et par la soustraction de certains outils ou techniques qui sont habituellement à notre disposition. Par exemple, le fait de ne pas pouvoir utiliser de canons à eau, ce qui est incompréhensible car plusieurs violences auraient pu être circonscrites rapidement. 

  3. La tactique utilisée a été celle du nombre d'hommes plutôt que du matériel, et un nombre très important d'unités de police et de gendarmerie a donc été déployé... Et finalement pris pour cible, parfois pendant des heures durant, sans qu'il y ait d'ordre d'intervention clair. Beaucoup de nos hommes ont été blessés.

  4. Mais surtout, cette absence de réponse a enhardi la partie adverse en ce sens que les casseurs se sentaient autorisés à "casser". Et ne parlons pas des réponses judiciaires, car il n'y a eu aucune condamnation ferme, uniquement du sursis et des peines de travaux d'intérêt général. C'est-à-dire aucune peine dissuasive. 

  5. Pour des raisons vraisemblablement politiques, l'exécutif n'a pas voulu voir que les violences dans les manifestations allaient crescendo. Mais ce qui est abhérrant, c'est que nous soyons en état d'urgence et qu'au-delà de l'image déplorable donnée sur l'autorité de l'Etat, il y avait des outils à notre disposition en matière de contrôle, d'assignation à résidence qui n'ont pas été utilisés. Pourtant, les individus d'extrême gauche à l'origine des violences sont connus. Mais l'exécutif a attendu des semaines avant d'interdire certains d'entre-eux de paraître. 

  6. La situation à laquelle on assiste aujourd'hui, avec des militants CGT qui participent aux violences comme la semaine dernière contre l'hôpital Necker, ne serait pas arrivée si nous avions pris dès le début les mesures adéquates.

Avec le recul, quelles ont été les erreurs commises par le gouvernement dans sa manière de négocier avec les partenaires sociaux ? Quelles autres erreurs de ce type ont-elles été commises à l'occasion des précédentes contestations qui ont émaillé le quinquennat de François Hollande ? 

Eric Verhaeghe : En principe, et selon la lettre de l'article 1 du Code du Travail, le gouvernement aurait dû saisir formellement les partenaires sociaux de son intention de réformer le Code du Travail avant de présenter son projet de loi. Les partenaires sociaux avaient alors la faculté de s'emparer ou non de ce sujet. Manuel Valls, même s'il l'a nié par la suite, a sauté cette étape et a d'emblée sorti un projet de loi dans les conditions qu'on sait. Selon mes informations, il a consulté la CFDT et le MEDEF, mais aucune des autres organisations, qui ont eu beau jeu de protester contre la méthode. Avant même que le projet de loi ne soit présenté au Conseil des ministres, il était donc déjà carbonisé et ne pouvait passer qu'en roulant sur la jante. Les amollissements acceptés par Valls dès les premiers jours pour désamorcer le conflit n'ont guère amélioré la situation : le texte a perdu l'essentiel de son intérêt, et l'opposition n'a pas faibli. C'est la difficulté de la situation pour tout le monde : le texte ne fait pas l'objet d'un rejet tonitruant, il fait l'objet d'un rejet qu'on pourrait qualifier de simple. Le rejet est constant, suffisamment puissant pour que le gouvernement ne l'ignore, mais pas assez puissant pour mettre Manuel Valls en difficulté directe. C'est donc une guerre d'usure : les syndicats y voient l'occasion d'exprimer leur ras-le-bol du système Hollande, mais ils savent qu'ils n'ont pas assez rassemblé d'opposants pour bloquer le texte. 

Hubert Landier : Les erreurs et les hésitations auront été aussi nombreuses que les arrières pensées et les non dits. Elles se répartissent en deux catégories.

D’abord le fait de n’avoir pas suffisamment respecté l’ordre démocratique normal : rédaction d’un projet, consultation des parties en présence, débat parlementaire et adoption d’un texte définitif en vue de sa promulgation. Ni les syndicat ni le patronat ne sont qualifiés pour s’exprimer au nom de citoyens français. Ils représentent leurs mandants ; et les intérêts de leurs mandants doivent être pris en considération. Point, c’est tout. Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly, entre deux appels à ce qu’ils appellent la "démocratie", devraient lire ou relire Montesquieu.

Ensuite des erreurs d’appréciation et des erreurs tactiques. La CGT a-t-elle été assez écoutée avant la présentation du projet ? Je n’en suis pas certain. En tout cas, ses dirigeants estiment que ce n’est pas le cas. Le gouvernement s’est trop enfermé dans une logique politico-politicienne. C’est avant la présentation au parlement qu’il fallait ouvrir le débat, pas pendant et après.

C’est ce délabrement des pratiques politiques qu’il convient de mettre en cause. Le désordre, ce ne sont pas seulement les violences dans la rue, c’est également l’incapacité à faire respecter un ordre constitutionnel normal.

Le gouvernement a-t-il correctement suivi l'avancée du projet de loi au Parlement ? Que dire notamment de ses relations avec la majorité parlementaire, et notamment avec les frondeurs du PS ?

Eric Verhaeghe : Là encore, le gouvernement part de très loin. Jamais François Hollande n'avait évoqué ces questions durant sa campagne électorale. On peut même dire que si François Hollande avait annoncé cette loi durant sa campagne, il n'aurait pas été élu. On peut donc comprendre qu'un certain nombre de députés manifestent une vive opposition à la loi. Sur ce point, il est frappant de voir la relative cécité ou, disons, la forte prise de risque du gouvernement sur la fronde. On a en permanence le sentiment que le Premier ministre en particulier joue avec le feu et sous-estime le rejet du texte à gauche. Pour maîtriser la situation, il n'a guère que la menace d'exclusion des frondeurs qui voteraient une motion de censure capable de le renverser. Je trouve que c'est un jeu très dangereux. En effet, rien ne prouve que le parti sera encore capable de ne pas investir des candidats l'an prochain si le gouvernement tombe. Personnellement, je regarderais donc à deux fois avant de craquer mes allumettes. Globalement, cette stratégie frontale est épuisante pour le pays. On voit bien que dans la rue comme au Parlement, le gouvernement passe en force face à des minorités qui adoreraient revenir à un système où elles gouvernent malgré la majorité ou contre la majorité. Les Français peuvent légitimement se sentir prisonniers de querelles internes au Parti Socialiste, ou d'une difficulté à prendre des décisions légitimes en son sein.  

Hubert Landier : Le gouvernement se bat pour sa survie et le président de la République pour son avenir politique. Compte tenu de la présence des frondeurs d’une part et de l’opposition de droite d’autre part, il ne dispose à l’Assemblée nationale que d’une très courte majorité. Ses décisions, sur le plan politique comme sur le plan économique et social, doivent être lues en fonction de cette double contrainte.

La ligne qui a été adoptée en vue de la prochaine élection présidentielle est une ligne social-démocrate qui vise à capter l’électorat centriste. Y renoncer en cédant aux frondeurs et à la CGT serait une capitulation. Il ne peut faire autrement que de tenir en espérant que les désordres s’apaiseront avec l’arrivée de l’été. Et il est probable qu’il y réussira. La CGT n’a plus beaucoup de réserves à lancer dans la bataille et son problème, aujourd’hui, est de trouver une issue honorable.

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