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Malka Marcovich : « Mai 68 a généré l’essor de l’industrie capitaliste pornographique et la confusion entre libertinage, liberté et violence »
©ARCHIVES / AFP

Héritage

La génération mai 68 s'est caractérisée par sa quête en faveur de la libération des mœurs et sa recherche permanente du bonheur et d'une jouissance immédiate. Elle a émergé sur fond de slogans qui avec le recul sont en effet assez puérils, et ne doivent en aucune manière être sacralisés.

Malka Marcovich

Malka Marcovich

Malka Marcovich est historienne et féministe engagée

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Atlantico : La génération mai 68 s'est caractérisée par sa quête en faveur de la libération des mœurs et sa recherche permanente du bonheur et d'une jouissance immédiate avec les excès que vous décrivez dans votre livre, "L'Autre héritage de 68". Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, ne peut-on pas parler de génération égoïste prête à sacrifier les suivantes sur l'autel de son propre contentement ? Quelles ont été les conséquences peu reluisantes de cette période qui marque l'apogée des 30 glorieuses ?

Malka Marcovich : Je ne sais pas bien ce que recouvre la génération de mai 68 en dehors de celle des baby-boomers. Comme l’a très bien analysé Jean-François Sirinelli cette génération dont certains ont participé à 68, sont en quelque sorte des « bébés de l’Atlantide », première génération à n’avoir connu aucune guerre, mais ayant vécu avant l’avènement des années 1960/70 dans une société très archaïque, en particulier pour les femmes, du point de vue des mœurs. Je pense que les slogans de 68 qui semblent indiquer une recherche permanente de bonheur et une jouissance immédiate sont des slogans qui avec le recul sont en effet assez puérils, et ne doivent en aucune manière être sacralisés. Les excès que je décris dans mon livre ne sont que l’aboutissement à ciel ouvert et sous couvert de libération de représentations extrêmement traditionnelles des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, de la sexualité humaine et en particulier, la représentation stéréotypée de la sexualité masculine autour de besoins prétendument irrépressibles. Je ne pense pas que l’on puisse véritablement parler d’une génération égoïste prête à sacrifier les suivantes. Mais l’effet d’entraînement de cette génération a hissé au statut de mythe fondateur cette période dont très peu, comme je l’indique, ont été au cœur des événements. En revanche, ce statut d’anciens combattants a pu placer certains dans une position d’arrogance vis-à-vis des plus jeunes. Les conséquences immédiatement palpables de cette époque fut l’essor de l’industrie capitaliste pornographique et la confusion entre libertinage, liberté et violence.

Un extrait de "L'Autre héritage de 68" : la violence sexuelle imposée des parents "libres"

Ne nous sommes-nous pas enfermé dans cette doctrine de l'impératif de jouissance aujourd'hui ?  Est-ce que le "jouissez sans entraves" n'est pas devenu un frein à notre propre épanouissement et à notre propre quête du bonheur selon vous ?

La notion de « jouissance sans entraves » a fait l’impasse sur la question essentielle du désir et du respect de l’intimité des individus. Cela nécessite bien évidemment de reconnaître que le consentement est une notion que l’on doit creuser tant politiquement que philosophiquement et qu’il est impératif de ne  pas faire l’impasse sur les rapports de pouvoirs et la question de l’impunité. Ces années ont été marqués en effet par des injonctions normatives extrêmement totalitaires pour les plus jeunes. Il y avait une véritable confusion des termes et des mots, un véritable « grand bazar » mental que je décris aussi dans mon livre. Que veut dire quête de bonheur ? Que veut dire plaisir ? Même ceux que l’on appelait les nouveaux philosophes et qui remettaient en cause les aveuglements d’une certaine gauche pour les régimes  totalitaires n’allaient pas jusqu’au bout de la critique sociale de l’époque.  Alain Finkielkraut ou Pascal Bruckner questionnaient  certes « le nouveau désordre amoureux », mais demeuraient plus que complaisants vis-à-vis d’un auteur comme Tony Duvert, qui faisait ouvertement l’apologie de la pédophilie.

Un extrait de "L'Autre héritage de 68" : quand les "nouveaux" rapports profs/élèves se terminaient en drames...

Quelle est la part de responsabilité que l'on peut légitimement attribuer à mai 68 pour les tensions qui s'expriment aujourd'hui en France ? Retrouve-t-on dans l'idéologie de mai 68 les germes des tensions qui parcourent l'hexagone ?

Tant de tensions nous fragilisent aujourd’hui. Je ne crois pas que l’idéologie de 68 portait en germe ces tensions. Je n’ai jamais voulu en écrivant ce livre jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est pourquoi mon livre commence en 1945 pour se terminer au milieu des années 1980.  Je crois que nous vivons à un moment décisif de prise de conscience sur la complexité des violences sexuelles depuis le début de  l’affaire Weinstein. Je suis une petite sœur de baby-boomers, née avec l’avènement de la Vème République et le retour du Général de Gaulle, dans une période mouvementée de notre histoire, et une période pleine d’illusion sur la marche du progrès technique. Enfant en 68, adolescente à l’époque de la loi Veil, je n’ai pris conscience des silences qui entouraient les violences sexuelles que bien plus tard. Je me suis battue depuis plus de 25 ans au niveau international contre l’objectivation du corps des femmes, tant par l’industrie mondiale du sexe que par les extrémistes religieux. Je reste et je demeure une femme humaniste, laïque, féministe et universaliste. Les rencontres que j’ai faites dans mon travail ont formidablement nourries ma réflexion. Pour diverses raisons qui sont au-devant de l’actualité -prescription, consentement etc. -  nombre de personnes ont gardé le silence. Je peux dire que de l’héritage de 68, j’ai conservé de mes aînées, ces étincelles de vie et de créativité qui font ce que je suis aujourd’hui. Comme vous l’aurez remarqué, j’ai souhaité que mon livre soit parcouru par la musique, les chansons que l’on fredonne encore aujourd’hui… Alors je terminerai cet interview avec cette chanson de Princess Erika en 1988, il y a tout juste 30 ans : « Trop de blabla, me dit-dit cet homme-là, trop de blabla, j’ai donné déjà ! »

"L'Autre héritage de 68" de Malka Marcovich, publié aux Editions Albin Michel

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