Mali, Burkina Faso : quelle stratégie pour une France poussée dehors sans ménagement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants brandissent une affiche, lors d'une manifestation de masse pour protester contre les sanctions imposées au Mali et à la junte, par la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), à Bamako, le 14 janvier 2022.
Des manifestants brandissent une affiche, lors d'une manifestation de masse pour protester contre les sanctions imposées au Mali et à la junte, par la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), à Bamako, le 14 janvier 2022.
©FLORENT VERGNES / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

La semaine dernière, le Burkina Faso a, une nouvelle fois, été le théâtre d’un coup d’État. Des militaires se sont mutinés pour protester contre le pouvoir, et plus particulièrement contre le Président Roch Marc Christian KABORÉ impuissant à éradiquer les violences terroristes qui ont causé au cours des sept dernières années plus de 2 000 morts et 1 500 000 personnes déplacées.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Cela fait plusieurs semaines, voire des mois, que le coup d’État était annoncé, évoqué, voire si prévisible, avec la multiplication des attaques terroristes comme en juin 2021 avec l’attaque de la ville de Solhan et la mort de 160 personnes, ou celle d’Inata à la mi-novembre avec 53 gendarmes tués. Le 11 janvier dernier, à la suite d’une tentative de putsch, une quinzaine de militaires et civils ont été arrêtés.

Troisième président civil depuis l’indépendance de la Haute Volta en 1960, M. KABORÉ a été élu en 2015 au cours d’élections organisées au terme d’une période de transition ouverte un an plus tôt avec la démission du Président Blaise COMPAORÉ. Il avait cédé à une vague de protestions populaires après 27 ans de pouvoir et l’assassinat de Thomas SANKARA en 1984 ; tous deux avaient pris le pouvoir en 1983 et transformé la Haute Volta en Burkina Faso, « le pays des hommes intègres ».

Les mutins burkinabés seraient intervenus pour libérer le général Gilbert DIENDÉRÉ, compagnon de route de Blaise COMPAORÉ, condamné à vingt ans pour une tentative de coup d’État en 2015 et son implication dans l’assassinat de Thomas SANKARA. On saura dans les prochains jours si le lieutenant-colonel Paul-Henri DAMIBA a agi pour son propre compte ou pour celui de ce général ou d’une tierce personne.

Au-delà de cette hypothèse, les, putschistes veulent « un régime de transition comme au Mali et le départ des Français du Sahel ». Vont-ils, comme la junte malienne, acheter les services de la société paramilitaire russe Wagner ?

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Depuis dix ans, tentatives et coups d’État se sont multipliés au Mali, au Burkina Faso, au Tchad, en Guinée Conakry. La bande sahélo-soudanaise est régulièrement ébranlée par des soubresauts. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le futur pays à être inscrit sur la liste…

Dans mes chroniques des 5 avril 2016 et 27 avril 2021, toutes les deux intitulées « Prenons garde au terrorisme caché », je décrivais la propagation du terrorisme islamiste du Nigéria à la Somalie, en passant par le Burkina Faso, les pays sahéliens, le nord du Bénin et du Cameroun… sans oublier la Lybie.

Il s’agit d’un terrorisme islamique aux couleurs locales comme Boko Haram, ou importé par Al Quaïda ou l’État islamique… Au-delà des préoccupations idéologiques, la concurrence entre les différents groupes terroristes s’explique notamment par l’objectif de contrôler les routes de la drogue, des cigarettes, de l’ivoire, des rhinocéros, de tous les trafics et le partage de ses gains, estimés à des centaines de millions de dollars...

Parallèlement aux événements de Ouagadougou, les mauvaises nouvelles s’accumulent au Mali :

  • Depuis la prise de pouvoir en janvier 2021 par les colonels, 5ème coup d’État depuis l’indépendance du Mali en 1960, le torchon brule entre Paris et la junte. Hier, les militaires maliens ont expulsé l’ambassadeur de France, et lui ont donné 72 h pour quitter Bamako. Un point de non-retour vient d’être atteint. N’excluons pas que les Maliens quittent la zone franc, comme ils l’avaient fait de 1962 à 1984 et que les Burkinabés suivent le mouvement.
  • Une implication croissante de la société paramilitaire WAGNER. 150 nouveaux combattants ont dernièrement atterri à Bamako, portant leur effectif à 600 ; ils ont transité par la Syrie, le Soudan, et la Lybie, autant de points d’appui russes.

Malgré les démentis de la junte malienne, il ne s’agit pas d’instructeurs mais bien de combattants qui disposent de blindés et sont dans un camp où les tentes sont progressivement remplacées par des baraquements en dur.

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Le financement d’un tel contrat interpelle. En effet, le budget malien est-il régulièrement subventionné par la France et l’Europe pour permettre à Bamako de faire appel à des mercenaires russes ?

Les Maliens vont très vite découvrir les méthodes de ces Russes ; présents en Centrafrique, ils ont commis exactions et pillages.

  • Il y a dix jours, un tir de mortiers a tué le brigadier Alexandre MARTIN et blessé neuf autres soldats. La base de Ménaka où sont présents français, européens de la « Task Force Tabuka » et casques bleus de la mission des Nations Unies a également essuyé un tir de mortiers. Cette alliance européenne comprend en plus de la France, l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, la Norvège, le Portugal, la Suède, le Royaume-Uni et la Tchéquie.

Les militaires français avaient déjà quitté le Nord du Mali et s’étaient repliés sur Gao ; dans le même temps, les effectifs avaient été redimensionnés en passant de plus de 5 000 à 2 500 hommes.

Aujourd’hui, il est difficile, voire impossible à la France de rester au Burkina Faso ou au Mali :

  • Il n’y a plus d’accord gouvernemental pour légitimer une telle présence. N’oublions pas que la France était intervenue en janvier 2013 sur le terrain à la demande écrite du Président malien de l’époque, Ibrahim Boubakar KEITA, souvent appelé IBK ; cette intervention avait été validée, le 25 avril 2013, par la résolution n° 2100 du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Un coup d’État a déposé IBK en août 2020.

Malgré le consentement tacite de la communauté internationale, la situation s’est dégradée et a donné lieu à un second coup d’État en janvier 2021. Paris et la communauté internationale n’ont pas cautionné ce dernier. Depuis, les relations entre la France et la junte n’ont cessé de se dégrader. Et dès la semaine dernière, les mutins burkinabés ont emboité le pas aux militaires maliens.

  • Par ailleurs, le consentement des populations locales est important pour conforter une présence militaire. Or, il ne cesse de s’effriter, et un sentiment anti-français s’est développé spontanément ou à l’initiative des autorités ou de puissances étrangères. Peut-on faire le bonheur d’un peuple contre sa volonté ?

Ce contexte fragilise les soldats qui pourraient, un jour, se retrouver, comme à Bizerte en 1960, assiégés par des manifestants envoyés par des autorités cherchant à faire de la France le bouc émissaire de toutes leurs difficultés.

  • Il n’est pas sûr que les Français acceptent longtemps le prix du sang, 60 morts dont 50 au combat, dans un pays à la reconnaissance aléatoire.
  • La France est tiraillée entre des interlocuteurs qui souhaitent son départ et des alliés européens comme les Danois et les Suédois, en train de plier armes et bagages.
  • Enfin, depuis plus de vingt ans il est admis que, dans une guerre asymétrique avec des terroristes, la réponse ne passe pas par des implantations fixes, mais par le renseignement, la mobilité et les moyens modernes de frappe. Si la France se retirait du Burkina Faso et du Mali, elle pourrait se replier sur ses deux autres implantations à Niamey au Niger et à N’Djamena au Tchad à partir desquelles elle serait en mesure de lancer des attaques au gré de ses intérêts.

Dans mes précédentes chroniques, je posais la question : « L’Afrique serait-elle devenue incontrôlable ? » La zone sahélo-soudanaise est devenue une véritable poudrière. La dégradation de la situation sécuritaire est également la conséquence d’un développement économique impossible. Quelles que soient les performances de la croissance, elles sont insuffisantes au regard de la croissance démographique ; seule la progression du PIB par habitant en valeur réelle permet d’avoir une véritable croissance économique.

D’ici à 2050, l’Afrique va être confrontée à un choc démographique sans précédent, une urbanisation très rapide, aux effets collatéraux du changement climatique… Ces défis mettent les systèmes économiques et politiques africains sous pression. En peu de temps, il faudra à la fois nourrir les populations, les accueillir au sein d'importants ensembles urbains, donner aux jeunesses l’éducation et les qualifications pour assurer leur employabilité, créer des emplois en nombre suffisant, renforcer et développer les infrastructures…

L’Europe ne peut être absente de ces défis, autant par générosité que par intérêt bien compris. La France et l’Europe sont à la croisée des chemins. Dans la perspective du sommet Europe-Afrique à la mi-février, une réponse européenne devra impérativement être apportée. Si les Européens ne réagissent pas, ne nous étonnons pas ensuite de voir arriver sur notre sol des migrants, des exilés politiques, des émigrés économiques, des fuyants le terrorisme, des migrants climatiques…

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