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Majorités introuvables, pourquoi notre avenir sera fait de beaucoup de 49-3
©Reuters

Mise au pas

Le gouvernement a fait "passer en force" via l'article 49-3 de la Constitution la loi Macron décriée par la gauche de la gauche. Parmi toutes les tendances pouvant éventuellement diriger la France, les divisions sont multiples, et l'unité autour d'un projet, rare. Un dispositif comme le 49-3 pourrait donc servir de bouée de secours systématique pour des majorités en panne d'union.

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico : La gauche qui s'était souvent montrée rétive à l'utilisation du 49-3, apanage de la droite, est passée en force sur la loi Macron, face à sa propre majorité. Face à la difficulté toujours grandissante de fédérer sa majorité sur des projets politiques, et le parasitage des intérêts catégoriels, peut-on imaginer que le 49-3 va se généraliser, si même "la gauche s'y met" ?

Olivier Rouquan : Le 49-3 est un outil constitutionnel tout à fait légitime. Il répond à une volonté du constituant de se préserver des dérives parlementaristes observées dans le passé. La gauche accepte les institutions de la Ve République depuis les années Mitterrand. Et même si cela lui pose parfois des problèmes au regard de sa culture très délibérative, elle se réserve le droit légitime d'utiliser ce dispositif. Pour le reste, l’on sait très bien que ce que l'on dit en situation d’opposition n'est pas toujours ce que l'on met en œuvre une fois au pouvoir… La droite devrait y réfléchir.

Va-t-il y avoir multiplication de ces recours ? Je rappelle qu'il existe une limitation constitutionnelle au dispositif du 49-3 qui a été votée sous Nicolas Sarkozy, indiquant qu'en dehors des projets de lois de finances, le 49-3 ne peut pas être utilisé plus d'une fois par session parlementaire. C'est une restriction que nombre de constitutionnalistes avaient trouvé trop contraignante d'ailleurs, pour l'exécutif. Après, il existe des débats dans l'application de cette restriction : certains prétendent qu'une fois par session, cela veut dire que l'on peut utiliser plusieurs fois le 49-3 sur un même projet au fil des discussions. Mais si on lit bien le texte, de mon point de vue, l'utilisation du 49-3 reste applicable une seule fois, sur une lecture, par session. Nous évoquons bien ici les textes "hors projet loi de finances". Mais que l'on fasse une interprétation restreinte ou élargie, il existe une limitation. Il reste bien sûr la possibilité d'ouvrir une session extraordinaire pour rajouter une utilisation du 49-3 durant une même année…

Petit rappel historique enfin : la gauche a déjà utilisé le 49-3. Michel Rocard, en trois ans de gouvernement l'a utilisé 28 fois ! Plus quatre fois sous Edith Cresson et P. Bérégovoy. Il n'y a donc pas une hostilité de fond de la gauche par rapport à ce moyen. 

La droite dans l'opposition pourrait certes revenir au pouvoir en 2017, mais n'aura sans doute pas réglé d'ici-là ses divisions internes entre souverainistes, libéraux, conservateurs, pro et anti-européen etc. La droite ayant moins de complexe à faire passer des textes en force (du moins avant le quinquennat de Nicolas Sarkozy), et la gauche n'en ayant pas non plus, peut-on imaginer que quoi qu'il arrive, le 49-3 a de beaux jours devant lui, quel que soit le vainqueur de 2017 ?

Effectivement, la droite ferait bien d'être très prudente. Le contexte actuel est celui d'un affaiblissement des partis de gouvernement. Le PS est soumis à de multiples divisions, mais l'UMP également, derrière le vernis des coups de com' L'Assemblée nationale quel que soit le mode de scrutin va donc donner lieu à plus de pluralisme, et représentera plus de "partis tiers". A partir de là les majorités de gouvernement seront plus fragiles. Au fond, ne faut-il donc pas revenir même sur la limitation du 49-3 voté en 2008, pour permettre de nouveau de l'utiliser à volonté ? Il faudrait effectivement se poser la question eu égard au contexte actuel et futur.

Le recours fréquent au 49-3 réduit-il encore un peu plus la faible dimension parlementaire du régime français ? Qu'est-ce que cela peut laisser augurer pour la suite du fonctionnement politique en France ?

Pendant plus de 50 ans, on s'est très bien contenté d'un 49-3 illimité, et cela n'a finalement pas gêné grand monde. Si on veut donc donner plus de pouvoir à l'Assemblée nationale – car le 49-3 rappelons-le ne concerne que cette chambre – il y a d'autres moyens. La réforme de 2008 a d'ailleurs donné plus de moyens d'influence aux parlementaires, qui ne s'en servent pas forcément. On peut donc tout à fait envisager l'existence d'un Parlement puissant, qui n'empêche pas l'exécutif de gouverner.

Or, le problème actuel est que nombre d’élus sont happés par la démocratie de l'instantané, se désolidarisant en cours de mandat du collectif qui les a portés au pouvoir. Et cela concerne aussi bien la gauche que la droite. Ces élus moins disciplinés ne doivent pourtant pas bloquer l'exécutif, sans quoi l'opinion qui désespère déjà de ses représentants politiques, décrochera définitivement.

Plus généralement, qu'est-ce que l'intensification du recours au 49-3 dit de l'incapacité de notre classe politique à faire fi de ses divergences sur des projets forts ? Les intérêts catégoriels tuent-ils le débat en poussant le passage en force ?

Je ne pense pas que ce soit l'existence du 49-3 qui stimule les divisions… Il existe surtout une pression qui pousse à vouloir exister dans les médias à tout prix, et des positionnements qui n'ont d'autre but que de permettre à des notoriétés de se construire. Il est là le nœud du problème, c'est une tendance de fond de cette démocratie d'opinion, et le 49-3 ne représente pas réellement un facteur explicatif de ces questions.

Quels enjeux cela peut-il créer pour la suite ? Par exemple, les "frondeurs" de gauche pourraient-ils changer de stratégie puisque le 49-3 réduit leur position à néant à l'Assemblée ? Le 49-3 prépare-t-il des nouveaux moyens d'action politiques chez les frondeurs ?

En amont de tout ceci, il y a aussi la question du Congrès de Poitiers à venir pour le PS… Les acteurs du parti se demandent comment anticiper la débâcle à venir des départementales. Se joue donc l'avenir du Parti socialiste et son positionnement programmatique à moyen terme. Il y a un décalage justement au PS entre ceux qui pensent à moyen terme, et ceux qui sont au pouvoir et qui doivent aviser à J+1, éventuellement en utilisant le 49-3. Il y a un choc entre deux temporalités. Dans la perspective des phases électorales évoquées à venir, les frondeurs vont pouvoir sans doute jouer la carte de la victimisation de type "on ne respecte pas les libertés des parlementaires" ; la situation actuelle ne les gêne pas tant que cela au regard de leurs objectifs et de leur "public" naturel.

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