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Maisons closes : la cadence infernale des prostituées à la Belle Epoque
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Bonnes feuilles

Sacre du printemps et facéties du pétomane, ménagères en lutte contre la vie chère et sommes colossales englouties dans des bals somptueux… : les quatre vingt-sept notices de ce dictionnaire illustre le monde de la Belle Epoque, rendu fascinant par ses évolutions, ses excès et ses contrastes. Extrait de "La France de la Belle Epoque" (1/2).

Jacqueline Lalouette

Jacqueline Lalouette

Jacqueline Lalouette est professeur d'histoire contemporaine à l'université Lille III.

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Les maisons de tolérance, communément appelées « maisons closes » - parce que leur porte devait rester fermée et leurs fenêtres constamment obturées - jouaient un rôle important dans la vie urbaine. Alors qu’elles étaient nombreuses sous le Second Empire, leur nombre ne cessa de décliner jusqu’en 1914, au profit des maisons de rendez- vous ; ainsi, Dijon perdit cinq maisons de tolérance entre 1892 et 1902, date à laquelle il n’en n’existait plus que quatre, deux de 1re catégorie et deux de 2e.

Mais il y avait maison et maison. À part la présence de « femmes publiques », il n’existait rien de commun entre les établissements luxueux et les petits « bordels » de dernière catégorie. À Paris, le Chabanais abritait trente-cinq pensionnaires, toutes très stylées, grâce aux leçons de maintien dispensées par la maîtresse ; les richissimes clients étaient reçus dans des chambres décorées à la mode vénitienne, turque, russe, mauresque… Le prince de Galles, futur Édouard VII, y avait ses habitudes dans la « chambre indienne », où siégeait sa « chaise de volupté ». D’autres « bordels » parisiens attiraient aussi une clientèle fortunée, La Fleur blanche, le One Two Two… Dans ce type de maisons, étaient organisés des spectacles consistant en tableaux vivants comme « La visite au sérail », mais aussi en fessées et flagellations ; photographiées, ces séances punitives étaient reproduites sur des cartes postales vendues sous le manteau. En 1906-1907, il existait rue Lepic une maison spécialisée dans les fessées, dont les jeunes femmes étaient recrutées spécialement.

Trois autres maisons possédaient une « salle de torture », équipée de menottes et de colliers de fer. Mais ce bric-à-brac érotique des maisons de luxe ne rend pas compte de la vie quotidienne de la grande majorité des prostituées travaillant en maison. Pour les maisons de tolérance, la Belle Époque correspond à une période de « néoréglementarisme », caractérisée par le contrôle sanitaire des prostituées et l’enfermement de celles qui étaient atteintes d’une maladie vénérienne. Les filles devaient toutes être inscrites sur un registre ad hoc et posséder une carte sanitaire délivrée par le service des moeurs compétent, faute de quoi elles étaient considérées comme des « insoumises ». Certaines étaient isolées. D’autres vivaient dans des maisons closes fonctionnant avec l’accord des autorités municipales, qui y trouvaient un intérêt financier ; ces établissements étaient considérés comme un « mal nécessaire », y compris « par plusieurs moralistes et même par certains membres du clergé », écrivit Victor Marchand, maire de Dijon, en 1892. En principe, seules des femmes pouvaient tenir une maison, mais cette règle n’était pas toujours respectée ; elles n’obtenaient le sésame obligé qu’à la condition de présenter un certificat de moralité et de probité, et, pour les femmes mariées, une autorisation de leur époux.

Dans chaque commune, un règlement, très strict, se rapportait à la prostitution. Celui de Dijon, établi en 1888, comprenait soixante- seize articles répartis en quatre titres : « Des femmes publiques », « Des maisons de tolérance », « Service de santé », « Des filles isolées ». Les fenêtres de tous les établissements dijonnais devaient être garnies de contrevents empêchant de voir ce qui se passait à l’intérieur, la porte fermée et signalée par « une lanterne en verre rouge, portant le numéro très apparent de la maison » ; il était interdit « d’y donner à boire et à manger ». L’arrivée d’une pensionnaire devait être signalée le jour même au commissariat de police par la maîtresse de la maison, qui devait prouver que la nouvelle venue était « reconnue saine » ; la tenancière devait aussi déclarer chaque départ. La municipalité fixait, pour chaque maison, le nombre de femmes publiques admises à y travailler ; celles- ci étaient « logées, nourries, habillées et entretenues aux frais des maîtresse de maisons ». Chaque lundi, elles étaient « visitées à domicile » par un docteur du service de santé, qui recevait un franc, la même somme étant versée au receveur municipal.

En outre, pour chaque visite ordinaire, à laquelle il n’assistait pas, l’agent de police « préposé à la surveillance des moeurs » percevait deux francs également destinés à la caisse municipale. Les femmes reconnues malades étaient envoyées dans une infirmerie spéciale, où on les traitait avec de l’onguent napolitain, des pilules de mercure et d’opium, du nitrate d’argent, du calomel, de l’alun et de la farine de lin. Certaines pensionnaires des maisons closes avaient elles- mêmes choisi d’exercer la prostitution, quelquefois poussées par le chômage : « quand la fabrique débauche, la débauche embauche ». D’autres y avaient été conduites par des entremetteuses, parfois leur propre mère, ou s’y étaient présentées pour prendre un emploi de domestique ou de serveuse qu’un rabatteur avait fait miroiter à leurs yeux. Vers 1900, le sénateur René Bérenger créa une Association contre la répression de la traite des Blanches et pour la préservation de la jeune fille. Il est difficile de savoir qui composait la clientèle de ces lieux, les archives étant généralement muettes sur ce point.

Toutefois, en 1892, le maire de Dijon décrivit les scènes qui se déroulaient régulièrement dans le quartier où étaient regroupées les neuf maisons de tolérance existant alors ; les soldats s’y rendaient « par groupes de quarante ou cinquante hommes à la fois, barrant les rues voisines, riant, plaisantant à haute voix, au grand scandale des voisins paisibles et au détriment des jeunes enfants » ; dans ces files d’attente se trouvaient aussi des ouvriers et « des gens de la campagne les jours de marché ». On imagine la cadence à laquelle travaillaient les pensionnaires… À Dijon, le règlement interdisait de recevoir les mineurs, mais, dans certaines villes, les jeunes gens âgés de dixhuit à vingt et un ans étaient admis auprès des femmes publiques, dont la clientèle comptait aussi des commisvoyageurs et des hommes « en ribotte ». Il existait, du moins à Paris, des « bordels d’hommes », par exemple celui qu’un M. Arsène tenait rue d’Aboukir en 1895. L’existence de telles maisons contraste curieusement avec la réprobation absolue qui frappait l’homosexualité masculine, alors que l’homosexualité féminine était tolérée.

Extait de "La France de la Belle Epoque, : Dictionnaire de curiosités", Jacqueline Lalouette, (Editions Tallandier), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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