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Mais qui saura séduire durablement les catholiques français maintenant qu’ils ont repris goût à la politique ?
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Dans son dernier livre, "À la droite de Dieu" (publié aux éditions du Cerf), Jérôme Fourquet s'intéresse aux raisons qui ont poussé les catholiques à se plonger de nouveau dans le grand bain de la politique.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Depuis 2012 et la grande mobilisation de la France catholique contre le mariage pour tous, comment a évolué l'électorat catholique en France ?  Est-ce que la baisse de la pratique religieuse a entraîné par effet de levier une droitisation du vote et un engagement militant qui s'est radicalisé ?

Jérôme Fourquet : Ce que l'on constate, c'est que l'on a historiquement un électorat catholique pratiquant majoritairement ancré à droite jusqu'à présent réfractaire au vote FN. Il y avait toujours la persistance d'un vote "catho de gauche". Les catholiques ne sont évidemment pas un bloc politique homogène et plusieurs sensibilités s'expriment mais les "catholiques de gauche" sont minoritaires (25%) et environ la moitié des pratiquants votent à droite alors que 15%  votaient pour le FN historiquement.

C'est le point de départ avant la présidentielle de 2012. Dans le livre, nous essayons d'expliquer comment, assez rapidement, et notamment au moment de la manif pour tous il y a eu un processus de "radicalisation", de "droitisation" dans cette partie de la population (évidemment tous les catholiques n'ont pas soutenu la Manif pour tous). Ce processus s'opère autour d'une double prise de conscience qui n'est pas facile à dater mais qui s'opère dans ces années-là. Quelle est-elle ? D'une part les catholiques avaient intégré l'idée qu'ils étaient minoritaires dans la société française mais l'échec de la mobilisation contre la loi Taubira a révélé cela de manière plus cinglante. Jusqu'à présent cette position minoritaire n'avait pas prêté à conséquence dans la mesure où il y avait une espèce de "gentlemen agreement" entre les catholiques et la République. Un accord tacite qui avait été écorné en 1984 quand la gauche s'était attaqué à l'école libre ce qui avait suscité une grande mobilisation à l'instar de ce qu'il s'est passé en 2012. Quand cette mobilisation avait eu lieu, la gauche avait reculé et abandonné ce projet. Là nous sommes dans un schéma dont le début est similaire sauf que cette manifestation se solde par un échec. A partir de là, les catholiques prennent complètement conscience qu'ils sont minoritaires désormais et que ce statut peut les exposer à ce que le législateur adopte des textes en contradiction profonde avec leurs valeurs alors que jusque-là ils avaient été préservé de ce cas de figure.

Parallèlement à cela il y a une autre prise de conscience qui s'opère dans le temps. La société française est en voie de déchristianisation très avancée (et même de déconfessionnalisation) et ce n'est pas uniquement contre cela qu'il faut se mobiliser mais contre aussi ce qui est perçu comme une concurrence très active ou efficace de la part d'une religion plus récemment installée sur notre sol qui est la religion musulmane. C'est un autre aspect du phénomène de radicalisation qui va là aussi aboutir à une radicalisation multiforme de toute une partie de la population catholique pratiquante. L'expression la plus visible de cette "radicalisation" ou "droitisation" de l'électorat catholique ce sont les résultats du deuxième tour de la présidentielle où 40% de catholiques pratiquants sondés votent Marine Le Pen. Certes ils n'avaient pas de candidats de droite pour qui voter, mais en 2002 et même si l'offre politique était différente, le candidat FN de l'époque avait fait entre 15 et 18%. Il y a plus qu'un doublement du vote en faveur de l'extrême droite dans cet électorat, ce qui n'a pas manqué de susciter la controverse dans cette communauté.

C'est l'aspect le plus visible et le plus chiffrable. Mais ce réveil catholique s'est aussi manifesté de bien d'autres manières. Il y a d'abord ce qu'on a appelé les suites de la Manif pour Tous avec l'éclosion de nombreuses structures militantes, associatives qui ont des objectifs variés (évangélisation, poursuite du combat contre les lois de bioéthique…). Dernier exemple : on peut noter aussi la montée en puissance de toute la thématique de la défense des chrétiens d'Orient.

Comment expliquer que, dans ce contexte, malgré un sursaut identitaire et une inquiétude grandissante face à l'islam les partis ouvertement catholiques ne remportent l'adhésion que d'un nombre toujours limité d'électeurs catholiques et que ces derniers restent sur une droite "traditionnelle"?

Il y a incontestablement une politisation accrue de ces questions. Vous vous souvenez peut-être de la Une de Libération "Au secours, Jésus revient" au moment du deuxième tour de la Primaire de la droite. Il y a incontestablement un retour dans le débat public de cette question de l'identité catholique et des valeurs chrétiennes. Mais pour autant, il n'y a toujours aucun marché au sens électoral du terme pour des partis qui viseraient à surfer là-dessus,  ou qui, en se revendiquant d'obédience chrétienne ou catholique viserait à s'approprier cet électorat. On l'a vu aux européennes de 2014 avec le Parti Chrétien Démocrate de Christine Boutin qui a fait un score de 1% dans les circonscriptions dans lesquelles il était présent. Et ce même parti n'a pas fait recette aux élections législatives non plus. La droitisation se concrétise pour certains par un vote en faveur du Front National et pour d'autres par un attachement toujours important à la droite classique. François Fillon avait beaucoup joué sur cette corde mais a été pris dans le tourbillon des affaires. Alors qu'on le sait la question de la morale et de l'intégrité sont des questions fondamentales pour l'électorat pratiquant. Au moment de l'éclatement de l'affaire il y a eu une période de doute pour l'électorat mais finalement, ils sont quand même revenus au bercail. Il y a cet attachement à la droite, si tenté qu'elle prenne en compte et porte un certain nombre et de leurs valeurs.

D'après vous, est-ce que le dossier de la PMA est capable de raviver la lutte, la flamme de l'électorat catholique et ouvrir un nouveau front social comme en 2012 avec le mariage pour tous? Vu les victoires écrasantes de LREM à la présidentielle et aux législatives et le fait que de toute façon cet électorat soit toujours acquis à la droite, est-ce que le gouvernement a vraiment des raisons de s'inquiéter d'un possible nouveau front sociétal?

Il faut toujours être très prudent lorsqu'on essaye de se livrer à ces pronostics. L'émergence et la puissance du mouvement de la Manif pour Tous a fait beaucoup de surpris.

Toutefois, là, il faut noter que le contexte est tout de même différent. Certes on est de nouveau sur une loi dite "bioéthique" qui s'inscrit dans le prolongement de la loi précédente, certes les différentes enquêtes qui sont sorties montrent une large majorité  (60, 65%) de catholiques pratiquants opposés à cette PMA mais les ressemblances s'arrêtent là. D'une part si cette loi était proposée elle serait portée par une majorité qui serait une majorité macronienne beaucoup plus centriste et centrale que la majorité en 2012/2013.

La deuxième différence, à l'époque, on voyait bien qu'il y avait une majorité large favorable au droit au mariage mais une opinion divisée (50/50) sur le droit à l'adoption.  Aujourd'hui, à froid, toutes les enquêtes convergent pour montrer que 60% des gens sont favorables à la PMA pour les femmes homosexuelles ou célibataires. Le centre de gravité de la société française est donc beaucoup plus favorable sur cette question qu'il ne l'était lors du mariage et de l'adoption.

Autre facteur à prendre en compte, autant dans la société que dans les rangs d'un certain nombre de soutiens ou sympathisants de la Manif pour Tous il y a aussi uneespèce de sentiment de lassitude vis-à-vis de ces questions et une volonté de ne pas remettre le pays "à feu et à sang" et de ne pas rejouer sur les divisions françaises. Et il est beaucoup plus difficile de faire repartir une mobilisation quand les manifestants sont démoralisés.

Même s'il faut rester prudent, on peut donc raisonnablement penser qu'il sera plus difficile d'atteindre le même niveau de mobilisation qu'en 2012 ou 2013.

Du côté du gouvernement on peut se poser la question "est-ce bien souhaitable" de faire émerger un autre foyer de contestation alors que l'agenda des réformes sociétales est déjà bien remplit. Après, au contraire, il peut y avoir une vision plus stratégique de la chose. Les enquêtes ont montré que l'électorat catholique était marqué à droite mais cela valait pour l'élection présidentielle et les législatives. Depuis il s'est passé beaucoup de choses. Beaucoup de personnalités de droite sont passées à LREM et l'on a, sur d'autres thématiques que les thématiques sociétales, notamment les questions économiques, tout une partie de l'électorat de droite classique qui est satisfait de ce que fait Macron.

Il ya  donc deux lectures possibles. Soit l'on s'en tient à la présidentielle et l'on se dit "ceux-là sont perdus pour la cause, ils resteront indéfectiblement liés à la droite classique, on  peut donc avancer sur notre agenda qui, par ailleurs satisfait 60% des Français" ou un autre regard qui dirait que "depuis la présidentielle on a enfoncé un coin dans l'électorat de droite et on a toute une partie de la droite modérée qui semble potentiellement gagnable à notre cause et on risque de les braquer en faisant la PMA ". Je pense à titre personnel qu'ils vont être tentés de le faire en se disant qu'ils peuvent se le permettre.

Enfin, une autre stratégie, un autre scénario possible que l'on n'a pas évoqué, même si c'est une partie minoritaire des catholiques de droite qui sont pour la PMA, cela peut acter une fracture supplémentaire à droite. Cela peut donc être une occasion pour LREM de faire en sorte que Wauquiez s'engouffre dans le créneau de la droite conservatrice et identitaire en réponse à ce projet de PMA  et, se faisant, perde potentiellement une partie des catholiques modérés qui pourront rallier les rangs de LREM".

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