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UniCredit.
UniCredit.
©MIGUEL MEDINA / AFP

Excès, fraudes et bras d’honneur…

Alors que le secteur bancaire est largement secoué par les affaires de la Silicon Valley bank et du Crédit Suisse, les rémunérations des dirigeants, elles, continuent de flamber.

Gabriel A. Giménez Roche

Gabriel A. Giménez Roche

Gabriel A. Giménez Roche est professeur associé d'économie à NEOMA Business School. Il enseigne la macroéconomie, la théorie des cycles et les processus entrepreneuriaux dans des programmes de premier cycle et des cycles supérieurs. Il porte un vif intérêt aux sujets macroéconomiques qu'il commente dans la presse française et internationale. Ses recherches portent sur la théorie du malinvestissement, la zombification économique et les routines entrepreneuriales. Les recherches de Gabriel ont été publiées dans le Quarterly Review of Economics and Finance, Small Business Economics, The World Economy, Journal of Economic Issues, entre autres. Il est membre de l'American Economic Association et de la Royal Economic Society.

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico :Après avoir reçu l'approbation des autorités de contrôle pour racheter ses propres actions, UniCredit va restituer aux actionnaires 5,25 milliards d'euros sur ses bénéfices 2022, soit la totalité de son bénéfice net sous-jacent. Alors que le secteur bancaire est largement secoué par les affaires de la Silicon Valley bank, du Crédit Suisse et de la perquisition de grandes banques françaises pour fraude, comment se fait-il que les autorités de contrôle et la BCE laissent les dirigeants et leurs actionnaires faire des profits aussi importants sans sourciller ?

Gabriel Gimenez-Roche : Il faut en effet souligner le caractère particulièrement massif de cette distribution des profits. Après des années des taux d’intérêt artificiellement trop bas, les débouchées d’investissement traditionnel se sont montrées peu rentables. L’alternative pour les banques était soit une réorientation vers des placements plus risqués, soit une consolidation actionnaire. En effet, la disponibilité massive de liquidités depuis 2008 par les banques centrales a rendu possible le rachat d’actions comme alternative attrayante aux placements risqués : l’on augmente la valeur des actions, en augmentant ainsi le profit potentiel de revente, par simple rachat. C’est une logique d’adaptation au vu de la situation qui leur a été imposée par le régulateur.

La rémunération des dirigeants est un sujet récurrent, que ce soit pour les banquiers ou autres exécutifs dans d'autres secteurs. La question est de voir sur quoi cette rémunération, si exceptionnelle, est-elle basée. C'est en grande partie aux actionnaires de lancer des procédures auprès des autorités pour vérifier s'il n'y a pas eu malversation ou autre faute professionnelle. Car si un haut exécutif se fait payer des sommes anormales, les victimes sont bien les actionnaires. Encore une fois, ce ne semble pas être le cas d'UniCredit (tous les actionnaires ont bénéficié) et pour le moment encore moins le cas du Crédit Suisse.

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Il se peut aussi, mais c’est de la spéculation, que la BCE veuille passer le message, en vue de calmer les marchés, que le système bancaire européen ne comprend pas uniquement des banques systémiques dangereuses, mais aussi des banques vertueuses.

Pierre Bentata : Cela peut paraître malsain ou assez malvenu. Mais dans le même temps, cette stratégie arrange aussi bien les banques que la BCE. Les établissements les plus fragiles sont attaqués à juste titre car ils ont pris des risqués démesurés. Par exemple, UniCredit, en rachetant elle-même ses actions, rassure les marchés. Elle attire aussi les actionnaires, en espérant faire monter la valeur des actions. En somme, elle envoie un signal fort sur les marchés financiers. Enfin, elle se sort elle-même du risque systémique en évitant des attaques sur ses propres actions. Il est donc normal que les banques centrales acceptent cela, même si moralement cela peut sembler discutable et que cela se traduit par des rémunérations colossales.

UniCredit est-il dans la même situation que la SVB ou le Crédit Suisse ? 

Gabriel Gimenez-Roche : Bon, nous ne pouvons pas dire que ce qui est arrivé à la SVB ou au Crédit Suisse s’applique à UniCredit. D’ailleurs, SVB a fait faillite à la suite d’une surspécialisation sur une activité extrêmement risquée, le capital-risque sur des start-up technologiques, tandis que le Crédit Suisse n’a pas vraiment fait faillite, mais était sous le risque imminent d’une panique bancaire. Il est important de noter que chaque banque a une situation financière et règlementaire distincte, et les décisions des autorités de contrôle, y compris la Banque centrale européenne (BCE), sont prises au cas par cas. UniCredit est le résultat d’une expansion bancaire par le résultat de la déréglementation du secteur bancaire italien dans les années 1990. C’est la méga fusion des deux grands groupes, Unibanco et Credito Italiano, lesquels contrôlaient déjà une majorité des banques du centre nord de l’Italie. Leur fusion ne semble pas être due à un problème de liquidité comme celle du Crédit Suisse avec UBS, mais s’est produite en raison d’un vrai objectif d’expansion et consolidation de capital. D’ailleurs, après une période d’expansion qui va jusqu’à la fin des années 2000, UniCredit commence à réorganiser sa structure en Italie et ses filiales et succursales à l’étranger, surtout après la crise financière de 2007. L’objectif étant de réduire ses frais généraux, accumulés lors des différentes expansions et acquisitions. Plusieurs levées de capitaux sont réalisées avec succès et restructurations d’actionnaires. L’effort de ses consolidations et restructurations a payé, car UniCredit montre une solidité financière et une gestion des risques plus performante lors des fameux tests de résistance pratiqués régulièrement par la BCE vis-à-vis d’autres banques de la zone euro.

Parce que les conséquences d’une faillite bancaire seraient catastrophiques, comme on l’a appris en 2008, les banquiers semblent bénéficier d’une forme d’immunité dont-ils profitent pour s’enrichir. Est-on dans l’incapacité de réguler les excès des banques qui mutualisent les risques, mais privatisent les profits ?

Gabriel Gimenez-Roche : Mettons UniCredit de côté un moment. Les excès dont on parle concernant des banques systémiques sont en grande mesure le résultat des années d’une sur réglementation mal orientée. Bon nombre de méga fusions bancaires ont été imposées par les banques centrales. C’était une solution facile. Au lieu d’affronter directement le problème posé par une banque illiquide, les autorités préfèrent de la fusionner avec une banque saine. Évidemment, le produit final sera une banque encore plus systémique avec des capitaux et réserves affaiblis par la fusion. C’est bien le cas de la fusion UBS et Crédit Suisse.

Certes, depuis 2008, les régulateurs ont mis en place des mesures pour mieux gérer les crises bancaires comme le renforcement des exigences en matière de fonds propres, les tests de résistance, des mécanismes permanents de résolution des crises bancaires (comme le MRU européen) et une surveillance accrue sur la gestion des risques, la gouvernance d'entreprise et la culture organisationnelle des banques. Néanmoins, toutes ces mesures sont neutralisées si elles sont mal orientées. Par exemple, les sous-primes, pivots de la crise de 2007, étaient le résultat de l’application hâtive de Bâle II par les États-Unis (la « Recourse Rule »). Cette réglementation mal orientée avait créé alors une possibilité d’arbitrage réglementaire très incitative pour les banques américaines. Plus récemment, l’inclusion de certains types d'obligations, comme les obligations AT1 et AT2 (les « CoCo bonds », par exemple) dans le capital obligatoire des entreprises n’avait pas envisagé une surinterprétation d’insécurité de la part du marché.

Enfin, nous ne pouvons pas croire qu’en réprimant fortement la principale source de rentabilité des banques, le spread sur intérêts, avec une politique des taux ultra-bas, les banques vont tout simplement accepter la stagnation. Elles vont chercher d’alternatives. D’une part, certaines alternatives seront plus risquées comme la spécialisation sur le capital-risque, la réorientation vers les activités de banque d’investissement, le soutien à des produits innovants comme les cryptos. D’une autre part, les alternatives sont sûres, mais controversées, comme les rachats d’actions. Tout est légal et réglementé et tout est le résultat des politiques régulatrices.

Pierre Bentata : UniCredit est proactive pour tenter de réduire les risques ou les effets de contagion, ce qui constitue une certaine différence avec la crise de 2008. Quand on considère être une banque systémique, d’une certaine manière on est protégé. Ainsi, les États ont réalisé que si un risque pesait sur ces banques, il n’auraient plus les moyens de s’endetter. Nous sommes donc un jeu ou plus personne n’est responsable, tant que les États ont décidé eux-mêmes de faire peser les risques de leurs politiques budgétaires sur les marchés financiers. Si les États n’avaient pas besoin des banques, et par extension des marchés financiers, il n’y aurait plus de crainte de panique et les mécanismes assurantiels seraient beaucoup plus simples. Si des banques externalisent leurs risques sur l’ensemble du système, c’est parce que les États font la même chose. Les deux ont besoin de l’intervention de l’autre pour s’en sortir. Ce qui est vicieux, c'est que ce jeu de dupe est difficile à comprendre quand on ne saisit pas le fonctionnement des banques ou des marchés financiers. Ainsi, les États ont toujours le beau rôle : à chaque fois qu’on voit une bulle et que les banques risquent de s’effondrer, les gouvernements proposent de réglementer davantage les banques. Ces dernières ont beaucoup plus de difficultés à avoir des stratégies inconsidérées, ce qui devrait pousser le système à fonctionner correctement. Pourtant, les gouvernements sont tentés à réguler de plus en plus, ce qui donne le sentiment qu'on n'arrive pas à réguler le système. En réalité, il l’est déjà suffisamment. Comment se fait-il que les banques, comme la SVB, prennent des risques comme en 2008 ? Il y a deux raisons à cela : on a triché sur les taux d’intérêt (la BCE propose des taux bien trop faibles) et dans le même temps on fait marcher la planche à billets. Ces liquidités se retrouvent sur le secteur bancaire, mais comme les banques ne peuvent pas prêter, l’argent se retrouve sur les marchés financiers. On donne donc aux banques tous les moyens pour prendre des risques, ET on les régule de manière à ce que leurs activités traditionnelles ne soient pas rentables. Ce double jeu est largement responsable des crises que nous connaissons. 

Si les États sont partie prenante du problème, qu’est-il possible de faire pour réduire ces risques ? 

Pierre Bentata : Il ne me semble pas qu’il y ait beaucoup de solutions. Pourtant, la première consisterait à déconnecter les États du système bancaire, mais pour cela, il faut que leur budget soit en équilibre, que les finances soient saines. De plus, il faudrait que les banques centrales soient vraiment indépendantes, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement. Ainsi, la BCE est simplement censée gérer l’inflation, ce qui n’est pas ce qui s’est passé pendant la crise du Covid. Enfin, et cette proposition existe depuis longtemps chez les économistes hétérodoxes : si le public n’est pas capable de gérer la monnaie, il faut redonner les banques au marché et revenir sur une forme de concurrence bancaire. 

Le PNF a ouvert une enquête pour des soupçons de fraude fiscale et des perquisitions massives dans cinq banques en France ont eu lieu. Sommes-nous trop permissifs avec les banques face aux fraudes ? Que faire ?

Gabriel Gimenez-Roche : La question des fraudes fiscales ou aux sanctions internationales (contre l’Iran, la Russie, etc.) est la dérive de la recherche de rentabilité alternative au spread déprimé. Néanmoins, il se peut que les banques sentent plus à même de passer à l’acte au vu de leur statut de banque systémique. Elles savent que l’on ne peut pas le laisser tomber en cas de crise. C’est une incitation énorme à la mauvaise conduite. En outre, derrière ses fraudes, il y a souvent aussi des personnages du milieu politique et même des régulateurs. Nous entrons là dans le domaine des conspirations. Il faudrait non seulement plus de transparence sur les activités bancaires, mais aussi sur les activités de décideurs politiques. En tout cas, avec l’arsenal de surveillance et règlementaire en place, il est impossible de dire que les banques agissent seules.

Pierre Bentata : Ce qui se produit, c’est un abus de droit. On joue avec des règles pour échapper à l’impôt. Mais, de manière réaliste, on ne peut pas éviter ce genre de situation : la tentation d’échapper à l’impôt existera quoi qu’il arrive. Mais il faut s’interroger sur la manière de réduire les incitations à agir de la sorte : le pénal, les perquisitions, etc. c’est très important. Mais la meilleure façon de réduire l’incitation à truander le système, c’est que l’impôt qu’on cherche à contourner soit moins élevé. Plus le fardeau fiscal sera élevé, plus ces situations de fraude vont se multiplier. L’internet et le web facilitent largement un certain nombre de mouvements.

On ne peut donc rien faire contre la cupidité des hommes et de leurs banquiers ?

Pierre Bentata : Si, bien sûr. On l’observe clairement en économie comportementale : les gens, en majorité, ne sont pas des tricheurs. Parmi les criminels, seulement moins de 10% sont systématiquement tentés par l'idée de truander le système. Une infime partie de la population, elle, respectera les règles coûte que coûte. Mais pour l’immense majorité de la situation, c’est fluctuant. Pour agir, il faut se demander quand les choses deviennent insoutenables dans le système. Si on avait un État et des services publics fonctionnels, beaucoup plus de gens accepteraient de payer les impôts qu’on leur demande.

Qui pourrait être en position de « mater » l’industrie bancaire et financière et de réclamer des contreparties aux banques ? Et Comment ?

Gabriel Gimenez-Roche : En gros, personne. L’idéal serait d’éviter la situation où les banques systémiques deviennent la règle. Or, c’est exactement le cas actuel presque partout dans le monde. Avec des banques plus petites, les risques pourraient être mieux gérés et le caractère systémique pourrait disparaître. Le prix à payer serait des coûts de transaction plus élevés dus à la perte des économies d’échelle. En même temps, la concurrence accrue due à un marché bancaire plus atomisé pourrait compenser cela. Le problème est que même une atomisation planifiée du marché bancaire serait un choc énorme pour l’économie. De longs fériés bancaires seraient nécessaires, ce qui crée de l’incertitude. Enfin, la situation actuelle est en grande mesure le fait des régulateurs.

Un autre requis pour un marché bancaire plus sain serait des États budgétairement responsables. Aujourd’hui, l’offre de crédit bancaire est ancrée sur les réserves injectées par les banques centrales, des réserves dont la contrepartie est la dette publique, ce qui est très mauvais pour une économie, surtout si l’origine de cette dette n’est pas productive. Avec moins de dette publique en circulation, les actifs du privé, tous liés à la productivité, donneraient le ton sur le secteur bancaire. Mais voilà que ce requis de responsabilité budgétaire est bien loin d’être respecté par les États, sources de toute régulation et intervention.

Pierre Bentata : Cela passe d’abord par l’indépendance des Etats. S’ils n’étaient pas si liés aux banques, les relations seraient plus saines et les propositions de réglementation seraient aussi beaucoup plus cohérentes et pertinentes. Et ce que nous a aussi montré l’histoire économique, c’est que le meilleur moyen de discipliner un secteur économique, c’est de le remettre en concurrence, pour qu’il soit jugé par les clients directement. C’est la stratégie de la Commission européenne dans différents domaines, mais elle se refuse à le faire pour la monnaie. A l’heure actuelle, toutes les banques sont, ensemble, dépendantes de la banque centrale et inextricablement liées aux Etats. Et c’est cette situation qui crée un risque systémique.

Il y a aussi la problématiques de liens entre les banquiers centraux et les dirigeants des banques commerciales, qui frôle parfois le conflit d’intérêt…

Pierre Bentata : C’est un problème que l’on retrouve en économie de la régulation chaque fois que l’on cherche à établir une régulation dirigiste d’un secteur. Quand on veut réguler un secteur de manière précise, on a besoin de faire appel à des gens qui sont issus du secteur en question, puisque c’est eux qui détiennent la réglementation. Mais cela place nécessairement sur le fil du rasoir avec la possibilité de délits d’initié, de conflits d’intérêt et d’aller-retour entre le secteur régulé et la place de régulateur.

A quel point, les banques jouent-elles, parfois, contre l’intérêt général pour leur intérêt propre ? (notamment dans la mesure où les hausses de taux d’intérêt leurs sont profitables) Comment agir face à cela ?

Gabriel Gimenez-Roche : La hausse des taux rend la finance plus traditionnelle rentable à nouveau. Ce n’est pas un mauvais signe. Cela va créer une incitation aux banques afin de réorienter leurs portefeuilles d’actifs vers des placements plus sûrs aux rendements mieux sécurisés. Rien d’étonnant que ce soient justement les secteurs des start-ups et de la tech (les cryptos) qui souffrent le plus avec la hausse des taux.

En revanche, si l’on veut que les banques aient moins de poids sur les décisions politiques, alors il faut déjà que les banques soient plus petites et nombreuses, mais aussi que le politique fasse moins de dérapages budgétaires pour être moins dépendant des banques.

Pierre Bentata : C’est vrai dans la banque comme dans n’importe quelle entreprise qui cherche à maximiser son profit. Sauf que puisque cela touche à la monnaie tout le monde est concerné en même temps. La banque va sans hésiter piéger ses clients si cela peut lui rapporter. Le problème c’est que le système, pourtant ultra-réglementé, n’arrive pas à éviter cela. Il faut rétablir une vraie menace, celle de la faillite et de poursuites judiciaires. Mais ce ne sera pas possible si les Etats protègent les banques de la faillite car ils ont besoin d’elles.

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