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Mais pourquoi la loi travail fait-elle peur aux syndicats alors qu’elle est censée leur redonner du pouvoir ?
©REUTERS/Benoit Tessier

Paradoxe

Emmanuel Macron a fait de la loi travail, la mère de toutes les réformes, mais pourquoi fait-elle peur à tant de monde?

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le débat en France sur la réforme du code du travail est absolument surréaliste si on l'évalue à l'aulne de ses objectifs sur la situation économique globale. Les risques ne s’expliquent que par la résistance des appareils syndicaux au changement. En fait, la plupart des chefs syndicaux ont tout simplement peur de perdre leur job. C’est peut-être très politiquement incorrect que de le rappeler, très vulgaire mais c’est la vérité. 

Alors cette inquiétude ne touche pas tous les appareils syndicaux. La CFDT par exemple, assume parfaitement cette culture du compromis et y voit une opportunité d’accroitre son influence et son pouvoir, mais les syndicats issus de l’époque communiste comme la CGT, ou extrémiste comme Sud, y voient une menace directe à leur rôle et à leur survie.  Leur raison de vivre est de s'opposer au système capitaliste d’économie de marché. Tout ce qui contribue à améliorer le système capitaliste, à fluidifier l'économie de marché et ce faisant, à sécuriser à long terme les emplois, désamorce les conflits sociaux et réduit le champ de la lutte de classes. 

Pourquoi la loi travail voulue par Emmanuel Macron fait-elle peur aux syndicats et à la gauche traditionnelle ? Tout simplement parce c’est une loi qui a pour ambition de transformer le modèle social français. Le faire passer d’un modèle fondé sur une culture du conflit national à un modèle fondé sur une culture du compromis social au niveau de l’entreprise. 

Pendant plus d'un siècle, le modèle n’a progressé qu’à l'issue d’une lutte de classes sociales, une succession de conflits qui permettaient aux syndicats d’arracher des avantages ou des améliorations et de les protéger contre vents et marée de la conjoncture. 

Emmanuel Macron souhaite un modèle socio-économique qui tienne compte de l'évolution du fonctionnement de la planète. Une mondialisation des échanges, une économie de marché partout dans le monde qui a généralisé la concurrence et une révolution technologique qui a bouleversé les rapports entre les hommes et améliore considérablement la productivité et la compétitivité de ceux qui ont su s'y adapter. 

La plupart des pays du monde se sont adaptés à ce changement de paradigme et sont d’ailleurs sortis de la crise financière qui a balayé la planète depuis 2008. La plupart des pays mais pas la France. Parce que la France, qui a quand même traversé le siècle des Lumières, allumé les feux de la révolution, exporté la démocratie et le libéralisme économique, conçu et développé avec la Grande Bretagne la plupart des grandes innovations industrielle au 19ème siècle, cette France-là s’est repliée sur ses résultats sans voir, depuis trente ans, que le monde était bouleversé, et pas à son initiative. Plutôt que d’assumer le changement, la France l’a ignoré, préférant vivre sur ses acquis qu'elle a d’ailleurs hypothéqués pour vivre à crédit. Aujourd'hui, la France a du mal à comprendre qu'on ne peut plus conserver le même train de vie sans accepter quelques changements dans les process. 

La loi travail voulue par Emmanuel Macron est sans doute la première des réformes, la plus importante. Pourquoi ? 

Parce qu'elle est de nature à donner deux qualités qui manquent cruellement au modèle français :

Un, de la flexibilité, c’est à dire donner aux acteurs de l‘économie la liberté de s’organiser et de s’adapter aux variations de la conjoncture.  

Deux, de la sécurité, c’est à dire répondre à l’angoisse partagée par la plupart des acteurs face à des mutations qui peuvent les affecter. Si on considère que la première des sécurités c’est d’avoir un emploi, un moyen de vivre et un rôle social, il faut toucher au droit du travail qui régit des situations trop rigides, devenant sclérosantes. 

Alors, pourquoi un dispositif qui donne des résultats positifs dans la plupart des pays développés, n'en donnerait pas chez nous et surtout se retrouve bloqué par les partenaires syndicaux. 

L’opposition des syndicats se cristallise sur certaines dispositions contenues dans le projet de loi et qui avaient déjà provoqué la colère des partenaires sociaux lors de la loi El Khomri.

1e le changement de la hiérarchie des normes est sans doute le point qui agace le plus les syndicats traditionnels. Cette disposition prévoit que la norme sociale, l’accord ou la règlementation devrait se négocier et se décider au niveau de l’entreprise, et pas seulement au niveau de la branche ou au niveau national. Le projet de loi cherche à ce que le droit du travail soit fabriqué au plus près de la réalité de l’entreprise, les horaires, les jours de travail devraient pouvoir s’adapter à l'activité de l'entreprise en fonction de sa conjoncture. 

Jusqu’alors, cette organisation est du ressort de la branche ou des négociations nationales. Le débat sans fin sur l’ouverture des magasins le dimanche prouve bien l’archaïsme de ces procédures

La CFDT reconnaît le bien fondé et l’utilité d’un tel changement, parce que pour la CFDT, il ne peut y avoir de progrès social que si le projet économique est performant

La CGT, FO et les syndicats SUD sont beaucoup plus réservés et même hostiles. Pour des raisons très simples.  D‘abord, ils ne sont pas ou mal représentés au niveau de l'entreprise. Ensuite, ils règnent sur les branches. Enfin, ils prétendent que le personnel de l'entreprise sera à la merci de la direction générale.

La vraie raison est qu'un changement de la hiérarchie des normes oblige les syndicats à s’organiser différemment, à affronter au niveau de l’entreprise la concurrence des autres syndicats.

2e Un allégement des procédures de licenciement avec un plafonnement des indemnités. La majorité des chefs d’entreprise considère que la lourdeur et le coût souvent imprévisibles des licenciements les dissuadent d’embaucher et donc de créer des emplois. Résultat, les entreprises ne grossissent pas, ou alors elles prennent du personnel intérimaire ou multiplient les CDD. 

La meilleure des sécurités est de faciliter les embauches en CDI.  Le meilleur moyen est de fluidifier le marché de l’emploi.  Pour les syndicats, le changement est compliqué à accepter même si beaucoup, savent que le marché de l’emploi est bloqué. 

3e La suppression ou l’allègement du compte de pénibilité. Initié par les syndicats, le dispositif a pour objet de mesurer la pénibilité du travail et d’en tenir compte pour calculer les primes ou les droits à la retraite. Cette obligation est souvent difficile à respecter. Elle oblige l’entreprise à mettre en place des procédures administratives de mesures et de contrôles extrêmement lourdes et couteuses.

Cela dit, au delà de ces dispositifs, tous les partenaires sociaux savent bien que ce qui est en jeu, c’est la mise en place d’un modèle social plus compétitif.  Parce qu’au delà du code du travail qu'il faut simplifier, il faudra aussi finaliser la baisse des prélèvements sociaux à la charge de l'entreprise, il faudra réformer l’assurance chômage et le fonctionnement de l'Unedic. Réformer le systeme des retraites et de l’assurance chômage. Tout se qui constitue les modules qui composent le puzzle social est sans doute à restaurer. 

Par conséquent ,au bout du bout, il est bien évident que c’est la modernisation du système paritaire qu’il faudra entreprendre. Bref, moderniser le paritarisme pour en sauver le principe , mais donner aux syndicats des moyens d’exercer un véritable contre pouvoir qui débouche sur des solutions de compromis.

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