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Mais pourquoi l’inflation ne remonte-t-elle pas ? La réponse au plus grand mystère de la science économique d’aujourd’hui pourrait pourtant tout changer
©Reuters

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A l'occasion des fêtes, Atlantico republie les articles marquants de l'année qui s'achève. Aujourd'hui, nous revenons sur un des débats les plus importants du monde politique et économique contemporain : celui qui entoure l'épineuse question de l'inflation.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Ils disent que l’inflation est un « mystère ». Ils disent donc qu’ils n’y comprennent plus rien (le retour à une inflation de 2%/an est leur cible, par eux violée depuis des années). Ils disent que c’est la faute à pas de chance, la faute des autres, la faute à des « facteurs temporaires », ou la faute d’Amazon qui casse les prix, ou la faute des syndicats qui dépérissent : comme dans les années 70, comme chez Valmont, comme chez les neo-économistes qui ne savent pas que l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire, « ce n’est pas leur faute ».    

"Il y a un manque de satisfaction certain et général vis-à-vis de l'inflation", Mario Draghi, 7 septembre 2017. Tu m’étonnes, Mario ! Il y a surtout un manque de satisfaction certain (et hélas pas si général) vis-à-vis des banquiers centraux indépendants qui passent plus de temps à s’occuper de leurs anciens et de leurs futurs employeurs (les banques commerciales), et de sujets archi-éloignés de leur mandat (les défis d’un monde qui change le numérique et patatipatata, les réformes budgétaires, le code du travail). Ci-dessous, la mesure la moins mauvaise de l’inflation en zone euro, le déflateur du PIB scotché à 1%/an depuis 8 ans :

Cela ne devrait pas nous étonner, le ciblage de l’inflation est partout en échec, partout, en Suède, au Japon, aux USA aussi d’une certaine façon. Ergo : partout les banquiers centraux ont menti en déclarant avoir été « accommodants » depuis 2008. Partout (sauf au Japon, en déflation depuis 27 ans) ils cherchent à durcir les conditions monétaires depuis des mois, et même depuis plus de trois ans aux USA, alors bien entendu les données « en dur » ne les arrangent pas, ils préfèrent gloser autour des enquêtes de conjoncture, autour de ce que répondent des directeurs d’achat d’usines de petits pois du Kansas ou de Bavière à des questions du genre « croyez vous à un retour de la croissance et de l’inflation dans 6 mois ? ». Et ce n’est pas l’échec qui est condamnable, aussi répété et retentissant soit-il, c’est l’auto-satisfaction autour d’un échec, par des gens qui depuis 2008 obtiennent sans cesse plus de pouvoirs, sans cesse moins de contre-pouvoirs, et qui échouent dans leur seule mission légitime.

Enfin, légitime, façon de parler : légitime dans le cadre de la stratégie de ciblage d’inflation, stratégie sous-optimale ; idéalement, il faudrait cibler le PIB nominal (l’ensemble des revenus nominaux de l’économie), ce serait d’ailleurs plus logique étant donné le mandat (la stabilité des prix ET la maximisation de l’activité, relisez le Traité si vous croyez à la fable d’une mission unique), mais bon, quitte à se fixer une cible, même imparfaite, autant l’atteindre, car, sinon, il pourrait y avoir désencrage des anticipations d’inflation, à force. C’est très embêtant, ça. D’abord parce que cela signifie une hausse des taux réels (tout le monde se focalise sur les taux nominaux, qui ne sont pas ceux qui comptent en matière de remboursement des dettes et en matière d’investissement). Ensuite, parce qu’on sait le caractère irrémédiable du désencrage vers le bas : alors qu’on sait canaliser les anticipations quand elles remontent (c’est coûteux mais on sait le faire), aucun pays n’a encore trouvé le moyen de sortir d’une trappe déflationniste, même le Japon qui a racheté près de la moitié de sa dette publique en 5 ans n’arrive pas à sortir de cette ornière. Enfin parce que l’inflation d’aujourd’hui ce sont les salaires nominaux de demain : contrairement à ceux qui se réfèrent à la courbe de Phillips et au techniques néo-keynésiennes de prévisions qui échouent lamentablement depuis tant d’années, je crois que les salaires nominaux sont largement fonction de l’inflation passée, disons de l’inflation des trois dernières années : ça marche, depuis longtemps, et bien mieux que tous les modèles de la FED et de la BCE, qui s’acharnent à expliquer l’inflation par la dynamique salariale alors que c’est l’inverse :      

Il y a bien un lien, sur données américaines et européennes, mais pas le lien que l’on croit, et pas le lien dans le sens que l’on nous dit. C’est bien pourquoi les salaires ne repartent pas comme ils le devraient, depuis 6 ou 7 ans aux US, et depuis 2 ans en zone euro. Pas d’inflation, pas d’anticipations d’inflation, pas de taux d’intérêt nominaux et pas de salaires nominaux. Et tout le monde va accuser le capitalisme, les patrons, la mondialisation qui tire les salaires vers le bas, les robots qui tirent les salaires vers le bas, pendant que les vrais responsables se congratulent à la BRI à Bâle. Arrgghh.

Les salaires sont plus liés à l’inflation du passé récent qu’à une quelconque mesure de surcapacités ou de resserement du marché du travail, partout et en particulier en zone euro où les salaires sont rigides (ceci est d’ailleurs reconnu même par nos décideurs : « Low past inflation dragged down wage growth by around 0.25 percentage points each year between 2014 and 2016 », Mario Draghi, 27 juin 2017). En fait, si on veut être plus précis et remonter aux racines du mal, c’est la faible croissance du PIB nominal (i.e. la politique monétaire trop restrictive sous ses faux airs accommodants) qui explique la faible croissance des salaires. Si je devais synthétiser tous mes arguments, on aboutirait à un livre plus gros que Guerre et Paix… Alors regardons simplement l’historique. En 1980, aucun modèle macro néo-keynésien n’aurait prédit qu’il était possible de réduire le chômage US vers 1987 à près de 5% sans conséquences inflationnistes. Rebelote au début des années 1990, aucun modèle macro n’aurait cru possible de finir la décennie avec 4% de chômage et une inflation à 2%. Rebelote de nos jours. Et pourtant ils passent encore leur temps à jacasser sur une hypothétique re-verticalisation de la courbe de Phillips, un jour. Comme disait l’autre, c’est à peine mieux que la survivance poussiéreuse d’un plan conçu pour répondre aux problèmes d’il y a 40 ans sur la base d’une fausse interprétation de ce qu’avait dit quelqu’un il y a 50 ans.    

Je ne dis pas que l’inflation est une bonne chose. Mais à un niveau lilliputien de 2%/an, c’est bien utile, d’abord ça met un peu d’huile dans les rouages de la négociation salariale (il parait qu’il faut améliorer le « dialogue social » dans les entreprises… quelle blague !), toute discussion fonctionne un peu à l’illusion nominale, surtout à un moment où on prétend faire des réformes structurelles. Et puis, il faut arrêter avec cette idée cynique selon laquelle cette japonisation subie et insidieuse nous redonnerait du pouvoir d’achat, de la part de la BCE c’est du cynisme pur, encore une myopie au désastre de la déflation (Keynes, 1931 :« A quoi nous avance le bon marché des produits quand les revenus décroissent ? Quand jadis le Dr Johnson, lors d’une visite à l’île de Skye, apprit que pour un sou on pouvait acheter vingt œufs, il dit : Eh ! bien, Monsieur, je n’en déduis pas que les œufs abondent dans votre île misérable, mais que les sous sont rares »).

Pour ma part, je regarde la création monétaire et les taux de changes. J’y suis autorisé par Jean-Claude Trichet (en 1996 à Jackson Hole : “I’m not surprising anyone by telling you that I prefer monetary aggregate targeting to direct inflation targeting for a lot of reasons. One reason, which I think was mentioned by Mr. Issing, is that it fits better with the independence of the central bank. Direct inflation targeting is a concept that necessitates a discussion with the executive to reach an agreement. Monetary aggregates targeting is fully in the hands of the central bank”). L’agrégat monétaire large M3 ralentit ces derniers temps (avant même qu’on ne parle du tapering du QE), à 4,5% sur un an, ce qui est assez faible si l’on considère que M3 est encore dope temporairement par une hausse à deux chiffres de la base monétaire. Si l’on tente de calculer la création monétaire par le secteur privé, il faut regarder M3 moins M0 (la masse monétaire moins la base monétaire) : on voit que l’autonomie de la “reprise” eurolandaise n’est pas terrible :

Pas de reprise du crédit (en dépit des « taux bas », et de la propagande BCE), pas de croissance véritable, pas de vrai ré-ancrage des anticipations. Et tout cela, c’est avant le « tapering », avant le durcissement de juin dernier à Sintra, quand Draghi a décidé de faire remonter l’euro. Et qu’est-ce qui vient 12 mois après une hausse artificielle de l’euro ? eh oui, une nouvelle rechute de l’inflation sous-jacente :

Résumons. Pas d’inflation depuis 1983 partout en Occident. Encore moins d’inflation depuis 2008, et pour cause, la moitié de la croissance potentielle a disparu, et les responsables ivres d’indépendance n’ont plus aucun compte à rendre. Et dans les trimestres à venir ça, va empirer. Pas à très court terme, parce qu’il faut du temps au resserrement monétaire et à la hausse de l’euro pour agir, surtout avec une mesure officielle de l’inflation qui est communiquée en glissement sur 12 mois. Mais ensuite, c’est sûr, la cible des 2% va encore s’éloigner. La BCE elle–même commence à reconnaitre qu’elle ne sera pas atteinte en 2019. Et personne n’ose rêver d’une compensation pour une décennie entière d’inflation trop faible, ni monnaie hélicoptère ni rien de sérieux ne sera entrepris. On a donc affaire à une perte sèche, définitive. Echec et mât. Et bientôt ce sera la faute d’Amazon. 

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