Mais pourquoi Israël tolère-t-il les exactions grandissantes des colons en Cisjordanie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette photo prise depuis la périphérie de la ville palestinienne de Naplouse montre une vue de l'avant-poste de colonisation de Havat Gilad, le 2 février 2018
Cette photo prise depuis la périphérie de la ville palestinienne de Naplouse montre une vue de l'avant-poste de colonisation de Havat Gilad, le 2 février 2018
©ABBAS MOMANI / AFP

Violences répétées

Les violences perpétrées par les colons juifs en Cisjordanie palestinienne ont fortement augmenté. Depuis le 7 octobre, l'armée israélienne et les colons ont tué au moins 155 Palestiniens sur le territoire

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot est chercheur associé à l' IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques. 

 

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Atlantico : Les violences entre colons israéliens et palestiniens ont fortement augmenté depuis l'attaque sanglante du Hamas le 7 octobre. En Cisjordanie, au moins 155 palestiniens ont été tués en un mois. Pourquoi l'État hébreu tolère-t-il ces exactions dans le contexte ultra tendu que nous connaissons ?  

Pierre Berthelot : Il y a plusieurs raisons. La première est politique. Les partis qui sont les plus forts soutiens des colons sont les deux partis d'extrême-droite présents à la Knesset qui totalisent à peu près treize ou quatorze députés. Ce sont des alliés solides pour le moment. Difficile pour Netanyahou de s'en séparer, même si la coalition a été provisoirement élargie. La deuxième raison, elle est davantage psychologique. Il y a cette espèce de vengeance qu’on doit assouvir à défaut de pouvoir l’exercer à travers l’armée. Beaucoup de colons ne servent pas dans les forces armées. Ce n’est pas une force très recherchée parce qu'on craint justement qu'ils puissent commettre des exactions en tant que soldats. Et puis la troisième raison, elle est stratégique. Cette situation pourrait être un peu une arme de négociation potentielle pour Netanyahou. Par exemple, on pourrait imaginer qu’on va lui dire qu’il faut calmer le jeu. Netanyahou pourrait alors répondre qu’il va faire un effort pour davantage contrôler les colons en échange d’avoir « les mains libres » sur Gaza. On ne peut pas exclure cette possibilité. Voilà au moins trois raisons pour lesquelles il y a une recrudescence de ces attaques sans que le gouvernement israélien ne mette les moyens pour y mettre fin.

Qui gère le territoire de la Cisjordanie ? 

Israël et l'Autorité Palestinienne, mais avec trois statuts différents. Ce sont les fameuses zone A, zone B, zone C.

La zone A, la plus petite, est censée être sous le contrôle exclusif de l'Autorité palestinienne. Pour autant, sur ces territoires, Tsahal ne s’interdit pas d'intervenir en cas de menace qu'elle juge grave pour Israël. C'est donc une autorité théoriquement palestinienne, mais avec des limites. Il y a la zone B qui est une zone conjointe de co-gestion mais où c'est plutôt Israël, surtout en ce moment, qui est le plus fort. Le gouvernement israélien n'est pas enclin à faire des concessions à l'Autorité Palestinienne qui est en partie discréditée. Et puis il y a la zone C qui est la plus vaste, sur laquelle c'est un contrôle exclusif d'Israël, notamment la vallée du Jourdain. Les colons se trouvent en général dans la zone B ou la zone C, c’est-à-dire sous le contrôle exclusif d’Israël. C'est à la fois un avantage et un handicap. Une partie de ces territoires étant sous contrôle israélien, ce sont eux qui doivent agir.

Les Palestiniens en Cisjordanie seraient sur le point de se révolter. C'est une situation qui peut devenir explosive pour l'État hébreu ? Si oui, comment ?

Rappelons que le cœur des précédentes Intifada, la première entre 1987 et 1990 et la deuxième entre 2000 et 2002, c'était la Cisjordanie. Il ne faut pas l'oublier. 

Le risque de soulèvement n'est pas impossible. Tout va dépendre de l’ampleur de la contre-attaque israélienne à Gaza. Plus il y aura de morts et plus cela va susciter la colère des palestiniens en Cisjordanie. Par ailleurs, la vengeance des colons israéliens qui s’exerce en Cisjordanie peut provoquer des tensions. Le risque est assez évident. Israël doit réussir rapidement, en quelques mois, à éradiquer le Hamas et à trouver une solution qui soit favorable pour eux à Gaza. Les tensions en Cisjordanie seront alors gérables. Mais s’il y a un soulèvement, cela peut empêcher l’armée israélienne de faire son travail à Gaza puisqu’il faudra mobiliser énormément d’hommes. C’est ça le danger. On ne peut pas exclure que ça soit d'ailleurs une carte qui soit gardée en réserve par le Hamas et le Djihad islamique (les deux ont des relais en Cisjordanie) au cas où ça commencerait à être très difficile pour eux à Gaza. Ils peuvent utiliser cette carte pour tenter de déstabiliser Israël.

Les exactions des colons ne donnent pas une bonne image à Israël auprès de la communauté internationale. L’Etat hébreu peut-il perdre ses soutiens en laissant faire ces violences sur les palestiniens en Cisjordanie?

C'est tout à fait possible. Le plus mauvais scénario pour Israël, c'est quoi ? C'est que l'opération sur Gaza se prolonge, dure encore plusieurs mois, que le nombre de civils tués augmente et que l’opinion des alliés bascule. A Gaza, il y a le fief du Hamas. Même si l’opération militaire israélienne est critiquée, elle est soutenue. Mais en Cisjordanie, c’est moins compréhensible. Les pays qui ménagent Israël, la France par exemple, vont avoir une position qui sera intenable. 

Ajoutons que 2024 est une année d’élections. La présidentielle aux Etats-Unis où Joe Biden peut perdre à cause de la question palestinienne. Il y a les élections européennes en France et en Allemagne se tiendront des élections régionales importantes. L’enjeu des opinions publiques occidentales est donc très important pour Israël.

Pourquoi Israël ne calme pas le jeu avec les colons en Cisjordanie ?

Les colons font partie intégrante du système politique. Ils n’ont jamais été aussi forts par leurs relais. Les plus déterminés, le noyau dur, votent pour les deux partis d’extrême-droite qui pèsent désormais plus de 10 % à la Knesset. Ils font partie intégrante du système et ils n'ont jamais été aussi puissants politiquement. C'est difficile de couper les ponts avec eux parce que c'est un peu grâce à eux que Netanyahou est au pouvoir. Il faudrait assumer le prix de soit perdre les élections mais au nom de l'intérêt national, soit prendre le risque d'être assassiné. Mais à un moment, il faudra couper avec eux. C'est ce qui s'est passé avec Yitzhak Rabin. Jusqu’aux accords d’Oslo, il était plutôt indulgent avec eux. Puis, il a rompu avec les colons. Yitzhak Rabin a été assassiné par Yigal Amir qui était tout à fait dans la mouvance des deux partis qui sont actuellement au gouvernement.

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