Mais pourquoi avons-nous tant de mal à ressentir notre âge réel ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les gens ont besoin de répondre à un certain nombre de performances. On arrive au maximum de celles-ci autour des 18-20 ans.
Les gens ont besoin de répondre à un certain nombre de performances. On arrive au maximum de celles-ci autour des 18-20 ans.
© WANG ZHAO / AFP

Multiples facettes

La distinction est nécessaire entre l'âge ressenti et l'âge réel.

Christophe de Jaeger

Christophe de Jaeger

Le docteur Christophe de Jaeger est chargé d’enseignement à la faculté de médecine de Paris, directeur de l’Institut de médecine et physiologie de la longévité (Paris), directeur de la Chaire de la longévité (John Naisbitt University – Belgrade), et président de la Société Française de Médecine et Physiologie de la Longévité.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment de "Bien vieillir sans médicaments" aux éditions du Cherche Midi, "Nous ne sommes plus faits pour vieillir"  chez Grasset, et "Longue vie", aux éditions Telemaque

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Atlantico : Pourquoi tant de personnes ont-elles une compréhension immédiate et intuitive de ce concept très abstrait, appelé âge subjectif, lorsqu’on leur présente au hasard ?

Christophe de Jaeger : On a tous, lorsqu’on nous pose la question “quel âge pensez-vous avoir ?”, tendance à enjoliver les choses. Cela, nous le savons, mais là où cet article est intéressant est qu’il compare les visions de populations différentes, asiatiques, africaines et occidentales. En occident, l’âge avancé n’est jamais forcément positif. Quand on a 50 ans, on préférait donner l’impression d’en avoir 40, ce n’est pas si évident. Certaines personnes interrogées répondent en une fraction de seconde 20 ans, une façon de dire qu’elles se sentent très bien. En revanche, dès que les personnes dépassent les 50 ou 60 ans, elles ont beaucoup de mal à donner un âge subjectif qui correspond réellement à quelque chose. Si on monte vers les 70 ans, cela devient encore plus compliqué dans leur tête. Pourquoi ? Car en réalité, les gens ne vont pas bien tous les jours, à cause des problèmes de genoux ou de souffle. Et à ce moment-là, ça donne l’impression d’être plus âgé. En fait, ils sont rattrapés par leur état de santé.

Il faut préciser les choses. Il y a un âge chronologique, calculé à partir de la date de naissance. Celui-ci ne sert pas à grand-chose sauf à délimiter des moments importants de notre vie. Par exemple, à 18 ans, il est possible de voter et passer le permis de conduire. Ces éléments sont comme des bornes. A 60 ou 62 ans, c’est la retraite. En dehors de cela, l’âge chronologique ne représente pas grand-chose. Cela pourrait représenter une certaine maturité et expérience, mais dans la réalité, c’est assez complexe à définir. 

Ensuite, il y a l’âge ressenti. Quand une personne de 60 ans va bien jouer au tennis ou faire un bon parcours de golf, elle aura l’impression d’avoir 20 ans. Mais cet âge ressenti est extraordinairement trompeur car il ne correspond à rien d’autre qu’un sentiment subjectif. 

Enfin, il y a un troisième âge fondamental, l’âge physiologique, réel du corps. Il s’agit d’une information fondamentale trop peu connue. On peut parfaitement le mesurer depuis une trentaine d’années. A n’importe quel âge, il est possible, système par système, de savoir où la personne en est dans « son vieillissement » normal. Par exemple, il y a des gens avec un âge chronologique de 50 ans et un âge ressenti de 30 ans mais qui vont avoir un âge physiologique de 65 ans. 

Pourquoi les individus ont-ils tendance à ne pas accepter leur âge réel ? Existe-t-il une vraie différence entre les continents ? 

Prenons un exemple intéressant sur lequel je travaille, les centenaires d'Okinawa. Les gens se posent la question : quel est le secret de cette fameuses zone bleue d’Okinawa où il y a tant de centenaires. Pour quelle raison ? Ils ont une nourriture plutôt frugale, donc ils sont en restriction calorique, ce qui joue sur la longévité. Ils sont toujours en exercice physique, même à 80, 90 ans ou plus. Mais, ils ne travaillent pas avec les mêmes demandes de performance qu’à 40 ou 50 ans. On se rend compte que ces gens-là, quel que soit leur âge, sont toujours intégrés dans la société, ils ont toujours une valeur dans la société. Cette notion est très importante. Lorsque l’on vous demande votre âge ressenti, c’est aussi par rapport à votre valeur dans la société. Si vous êtes quelqu’un d’âgé, dans le cadre occidental, vous ne valez plus grand-chose à 65 ans. Quand vous êtes quelqu’un de plus âgé, toujours intégré dans la société, il n’y a pas le même rapport, il y a un respect. Ce respect, on le perd quand on voit ce qu’il se passe dans les maisons de retraite. On s’interroge : Quel est le respect véritable porté à ces personnes très âgées, qui sont mises en dehors de la société, dans des zones où elles ne sont plus valorisées comme faisant partie de la société ?

Les gens ont besoin de répondre à un certain nombre de performances. On arrive au maximum de celles-ci autour des 18-20 ans. Ensuite, elles se dégradent très lentement entre 20 et 30 ans. Les réserves vont s'épuiser tranquillement puis, entre 30 et 50 ans, il y a une vraie diminution des capacités, qu'elles soient physiques ou intellectuelles. Les deux vont être compensées par l’expérience. Par exemple, au tennis, à 20 ans, on court sur toutes les balles, même quand elles sont perdues d’avance. A 50 ans, on va gérer son jeu et quand la balle est perdue, on se prépare à la suivante. En sachant gérer les rencontres, on peut être amené à gagner plus de matchs. Donc, l’expérience est quelque chose d’extrêmement trompeur et qui cache les différentes pertes de fonctions physiologiques. 

Il y a une référence à l’image qui est très importante, et cette image est dégradée par les problèmes de santé. 

Dans quelle mesure la question “quel âge ressentez-vous” est différente de la question “quel âge avez-vous dans votre tête ? Est-il possible de faire un distinguo ?

Il est possible de faire un distinguo. Car quand on demande “quel âge avez-vous dans votre tête” à 50 ans, des personnes répondent 20 ans. Dans la tête, on est libéré de toutes ces problématiques physiques. L’âge ressenti est quelque chose de très global. C’est à la fois dans la tête et dans les capacités de faire du sport et de l’exercice. Il y a énormément de choses, c’est une question très compliquée. 

Cet âge ressenti, présent dans la tête, est très trompeur et devrait interroger les personnes sur leur capital santé. En prévention primaire, on se rend compte que ce qui amène les gens à consulter est de reconnaître certaines limitations et d’accepter que ce n’est plus comme avant. Des chefs d’entreprise me disent, à 50 ans, ne plus prendre de rendez-vous après le déjeuner car ils n’ont plus de capacités d’attention. Dans la réalité des faits, l’ensemble de nos différents systèmes physiologiques se dégradent doucement à partir des 18-20 ans. Cette dégradation va faire le lit des maladies. Et quand elles surviennent, elles vont accélérer cette dégradation physiologique, appelée la sénescence. La grande problématique est que la prise de conscience de cette sénescence peut déboucher sur un certain nombre de mesures, de protections ou de corrections. Pour cela, il faut en être conscient. En étant dans le déni de cette réalité, la personne ne fait pas ce qu’il faut pour maintenir au meilleur niveau possible et gérer au mieux le capital santé. Cet âge ressenti, nous amène à être aveugle sur la réalité des dégradations. C’est en cela qu’il n’est pas qu’une curiosité intellectuelle, il est véritablement un problème. Il faudrait que cette notion d’âge physiologique, l’âge réel, soit beaucoup plus développée, partagée par l’ensemble de nos contemporains.

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