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Macron ou la victoire tardive du souverainisme germanophobe
©LUDOVIC MARIN / AFP

Germany

Emmanuel Macron est-il devenu germanophobe? S’il a renoncé à la traditionnelle interview du 14 juillet… il l’a remplacée par une interview à la presse allemande et à Ouest-France. Le discours qu’il y tient est marqué par un fort glissement souverainiste où certains pourraient voir de la germanophobie.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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C’est un peu l’ironie de l’histoire. Emmanuel Macron s’exprime le 13 juillet dans la presse allemande (et dans les colonnes de Ouest-France). Les propos qu’il tient lui vaudraient une belle volée de bois vert, s’ils avaient été tenus deux ou trois ans auparavant.

Emmanuel Macron ne se gêne en effet pas pour dire les choses qui fâchent sur ce fameux couple franco-allemand dont l’élite française nous rebat les oreilles avec un dogmatisme qui frise l’hystérie. En particulier, pour le Président français, l’Allemagne joue en Europe un jeu non coopératif.

Selon lui, la prospérité allemande provient largement d’un profit qu’elle tirerait des dysfonctionnements de l’euro. Ce disant, il rejoint d’un coup le discours de tous ceux qui appellent à un examen rationnel de la construction européenne, loin des clichés colportés par la pensée dominante sur l’obligation d’être un europhile béat et un adorateur de l’amitié franco-allemande.

Macron à front renversé avec son électorat

L’évolution du langage mérite d’être signalée. Il y a quelques semaines encore, Macron faisait campagne en soutenant des idées contraires à celles-là. L’essentiel de son élection, le Président français la tient d’une attaque en règle contre toute forme de souverainisme, jugé rétrograde, et d’une idéalisation complète de la construction européenne.

À l’usage, on s’aperçoit que, pour le Président français, la réalité est plus complexe. Macron est européen et, « en même temps », il partage les idées souverainistes d’une construction de l’Europe déséquilibrée, dont l’Allemagne sort vainqueur.

Combien, pour avoir tenu ce même discours, n’ont pas été accusés de germanophobie primaire? Ceux-là savourent aujourd’hui l’étrange retournement macronien.

Oui, il faut parler du rôle de l’Allemagne

On rendra grâce, ici, à Emmanuel Macron, de rompre l’omerta instaurée par les élites françaises sur la vraie nature du comportement allemand en Europe.

D’ordinaire, le bien-pensant dominant français interdit toute forme de pensée critique vis-à-vis de la domination allemande en Europe. C’est tout juste si on a le droit d’en parler. Dans tous les cas, il est de bon ton de prêter à l’Allemagne un angélisme auquel elle-même n’a jamais prétendu.

Bien entendu que la stratégie allemande dans le concert européen est dictée par une défense bien comprise de ses intérêts. Cette défense passe régulièrement par des postures égoïstes et, au besoin, unilatérales. On l’a vu sans ambiguïté sur l’affaire des réfugiés, qu’Angela Merkel a décidé d’appeler sans consulter ses partenaires. La conséquence de cette attitude est bien connue: la gestion de la crise des réfugiés met l’Europe au bord de l’implosion.

Il ne s’agit donc pas de diaboliser l’Allemagne ni de lui prêter une malice congénitale qui vaudrait condamnation. Il s’agit seulement de constater que la vision de l’Europe portée par l’Allemagne, de la crise grecque à la crise ukrainienne en passant par la crise des réfugiés, se réduit souvent à un court-termisme germano-centré dont l’impact sur la cohésion du continent est dangereux.

Les élites parisiennes sont coupables d’interdire cette lucidité au nom d’une amitié franco-allemande qui se transforme, au fil du temps, en effacement consenti de la nation France. La première victime de cette pensée unique n’est autre, en effet, que l’Europe elle-même, dont la construction rendue bancale par l’égoïsme allemand bat dangereusement de l’aile.

L’impasse de la stratégie macronienne

Il reste à Emmanuel Macron à franchir une étape supplémentaire. Face au constat des dangereux déséquilibres internes à l’Europe, le Président continue en effet à penser selon le mode platonicien mal ajusté des élites françaises. Pour celles-ci, l’Allemagne ne peut vouloir consciemment le mal. Il suffit donc de lui expliquer ce qui ne va pas pour qu’elle corrige son comportement. Donc qu’elle accepte une révision des traités.

Ce raisonnement naïf trahit le manque de maturité politique de nos décideurs.

Angela Merkel n’a en effet pas attendu Emmanuel Macron pour découvrir ce que les Allemands savent depuis la réunification et dont ils se repaissent avec délectation. L’Allemagne est la première puissance européenne et elle use et abuse de ce rang pour tirer profit de la construction communautaire. Disons même que ce qu’on appelle l’Union Européenne est un édifice germanocentré, une vaste division continentale du travail qui assure la prospérité de ce qu’on appelle couramment l’Allemagne.

Le traité de Maastricht n’est pas autre chose que l’expression de ce germanocentrisme. Il a obligé tous les pays de l’Union à se plier à une logique monétaire et budgétaire qui a fait la prospérité de la Prusse progressivement élargie à des territoires anciennement sous influence française, et qui ont fini en 1870 par s’appeler l’Allemagne.

Par une étrange ignorance française, le rappel simple et indispensable de cette histoire récente, qui permet de comprendre que la France est millénaire et l’Allemagne séculaire, est vécu comme une ignominie. Nous gagnerions pourtant à replacer l’histoire de l’Union Européenne dans son contexte: celui de la construction, sous diverses formes depuis un siècle et demi, d’un projet impérial prussien qui se heurte systématiquement à la paix des nations. Mis en veilleuse entre 1948 et 1991, ce projet a repris vie et espoir depuis vingt-cinq ans avec les tensions que l’on sait.

Attendons la prochaine interview du président Macron pour l’entendre de sa bouche.

Emmanuel Macron

Jamais je n’ai reproché à l’Allemagne d’être compétitive. Mais une partie de la compétitivité allemande est due aux dysfonctionnements de la zone euro, à la faiblesse d’autres économies.

Emmanuel Macron

Il faudra des changements de traités parce que cette Europe est incomplète

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