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Lutte contre la montée de l’extrême-droite : pourquoi l'Allemagne multiplie les gesticulations sans se poser les bonnes questions
©RENE TILLMANN / DPA / AFP

Crier au loup

L'Allemagne a change son chef des renseignements, accusé de ne pas lutter suffisamment contre l’extrême-droite dans l’armée et les forces de l’ordre. Une décision qui ne réglera pas la problématique de fonds.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : L’Allemagne change son chef des renseignements pour lutter contre la montée de l’extrême-droite dans l’armée et les forces de l’ordre. La politique allemande en matière d’extrême droite a-t-elle été un échec ces dernières années ?

Edouard Husson : En fait, nous avons affaire à un épisode précis: le chef du contre-espionnage militaire est jugé n’avoir pas poussé avec suffisamment d’énergie une enquête sur le comportement de membres des commandos spéciaux et, en particulier, d’avoir fermé les yeux sur la transmission à des individus concernés d’information sur l’enquête en cours. C’est un épisode localisé, qui ne dénote aucune augmentation spécifique d’idées d’extrême droite au sein des forces armées ou de la police. Il est connu depuis longtemps qu’il y a un pourcentage infime de membres des forces de sécurité qui entretiennent la nostalgie du nationalisme allemand et qui sont, même, pour certains, carrément néonazis. C’est un constat qu’on aurait pu faire, il y a dix ans ou il y a trente ans dans la vieille « Allemagne de l’Ouest ». Il se trouve que les médias sont bavards sur le départ en retraite anticipée de Christof Gramm parce que, sous l’impulsion d’Angela Merkel, l’Allemagne a perdu sa boussole: en autorisant une immigration massive, la Chancelière a perdu la maîtrise du débat politique. Elle a affaibli son propre parti, une partie des électeurs allant voter pour l’AfD, l’Alternative für Deutschland, un parti aux racines conservatrices, au programme banalement de droite mais qui a grandi trop vite et a laissé des militants néonazis ou nationalistes s’emparer de quelques fédérations, en particulier à l’Est. Ces dérives, réelles mais limitées, ne sont rien par rapport à la violence de l’extrême gauche allemande, l’une des plus violentes du monde mais aussi l’une des plus tolérées par un gouvernement. 

Quelles sont les racines de l’augmentation du nombre de militaires ou de policiers d’extrême droite ?

Encore une fois, il n’y a pas d’augmentation du nombre de militaires ou de policiers d’extrême droite en Allemagne. Je me méfie d’ailleurs du terme fourre-tout d’extrême droite. De quoi parle-t-on: le nazisme fut un mouvement d’extrême-gauche porté au pouvoir par une majorité relative d’électeurs conservateurs et nationalistes de droite. Le fascisme en général est une invention de militants d’extrême-gauche capables d’attirer à eux, sous le masque du patriotisme, un électorat de droite. On dira deux choses à propos des forces de sécurité en Allemagne: 99% des engagés sont les meilleurs défenseurs de l’Etat de droit. S’obstinant à n’entretenir qu’un « patriotisme constitutionnel » et négligeant le sentiment national, les autorités ont laissé s’installer une poignée de nostalgiques du nationalisme allemand. Personne n’en parlerait si le gouvernement de Madame Merkel n’avait pas besoin de crier haut et fort au loup d’extrême droite au moment où la Chancelière pense que sa popularité retrouvée lui permet de rouvrir les vannes de l’immigration.  

Pensez-vous que changer le chef de renseignement va stopper ou inverser cette dynamique ?

Tout ceci est de la gesticulation. Il faut poser trois questions à propos de l’Allemagne: 
- l’AfD va-t-elle enfin faire le ménage dans les rangs de ses cadres? Il y a là un devoir d’interpellation des autres partis conservateurs en Europe. Lors de la conférence « National Conservatism » de Rome en février dernier, j’ai posé la question publiquement aux représentants de l’AfD qui avaient été invités: pourquoi s’obstinent-ils à entretenir l’ambiguité sur leur rapport au passé nationaliste allemand ? C’est d’autant plus absurde que, lorsqu’on est authentiquement conservateur, véritablement de droite, on doit haïr absolument le fascisme, meute de loups d’extrême gauche qui essaient de montrer patte blanche à l’électorat patriote et conservateur. 
- Deuxième question, plus fondamentale: y a-t-il survivance spécifique en Allemagne d’un antisémitisme d’extrême droite qui a disparu ailleurs ? Dans l’ensemble de l’Europe, l’antisémitisme est devenu d’extrême gauche. On devrait dire, plus exactement, il est revenu à l’extrême gauche. Car c’est une invention de la gauche anticapitaliste. Partout en Europe, on constate que l’antisémitisme s’exprime dans la haine d’Israël, le soutien à l’islamisme, l’anticapitalisme ouvertement antisémite. Or en Allemagne, il y a eu l’attentat, heureusement manqué, de Halle, perpétré par un individu contre une synagogue, à motivation apparemment « suprémaciste ». De même l’attentat de Hanau, contre un foyer d’immigrés, a été aussitôt attribué à une motivation d’extrême droite. Il y avait eu auparavant l’assassinat de Walter Lübcke, homme politique chrétien démocrate, en juin 2019; l’attentat de Cologne contre Henriette Reker, femme politique de gauche, en octobre 2015. Et si l’on remonte dans le passé, on va mentionner le petit groupe terroriste « Nationalsozialistischer Untergrund » (NSU), démantelé au début de la décennie mais aussi la trop longue liste d’attentats néonazis depuis la réunification. S’il se confirmait que l’Allemagne garde, presque seule en Europe, un terreau authentiquement « fasciste », il faut essayer de comprendre pourquoi. 
- il faut cependant insister sur le fait que la plus grande violence aujourd’hui se trouve à l’extrême gauche. Et que l’on a vu revenir un phénomène que l’on avait connu à droite sous Weimar: la complaisance des pouvoirs publics envers la gauche extrême. Les antifas allemands sont à la pointe du militantisme antifa international. Ils exercent une véritable terreur de rue. Mais cela n’a pas empêché le président de la République Fédrérale, Franz-Walter Steinmeier de faire l’éloge, à l’occasion d’un rassemblement antifa à Chemnitz, d’un concert du groupe « Freie Sahne Fischfilet » qui appelle ouvertement à la destruction des institutions démocratiques. 

En fait, on peut en vouloir énormément à Angela Merkel d’avoir ramené un phénomène que l’on croyait disparu de l’histoire allemande après 1945: l’excès dans les décisions prises, le manque de prudence politique. La politique d’immigration en est le meilleur exemple. C’est elle qui a fait émerger définitivement l’AfD. Et il existe un silence, une censure même des médias, face aux nombreuses violences perpétrées par des immigrés arrivés au milieu de la décennie. Du coup, il y a par contraste une effervescence sur internet, où l’on peut trouver une information très complète sur les crimes commis par des « migrants »; mais aussi des données très détaillées sur les agissements de l’extrême gauche allemande. En réalité, on est plutôt étonné, vu l'irresponsabilité de Madame Merkel en matière d’immigration massive (et elle s’apprête à récidiver dans le cadre des recommandations de la Commission Européenne), qu’il n’y ait pas plus de poussée d’extrême droite en Allemagne. 

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