Luc Rouban : « L’argument du défaut de compétence du RN se heurte désormais à la déroute de l’Etat »<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et les députés du Rassemblement National après les élections législatives.
Marine Le Pen et les députés du Rassemblement National après les élections législatives.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Rassemblement National

Le vrai gagnant des élections de 2022 est le Rassemblement national. L'offre politique de Marine Le Pen, en associant l'autorité et la question sociale, répond aux attentes d’une grande partie de l’électorat qui s’est droitisé.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico : Votre ouvrage est consacré à la "vraie victoire du RN" (éditions Les Presses de Sciences Po). Selon vous, celle-ci n'est plus explicable par le simple prisme du populisme. Pourquoi? Qu’est-ce qui l’explique donc ?

Luc Rouban : Les analyses menées en termes de « populisme » sont assez largement dépassées aujourd’hui. Elles l’étaient déjà hier, du reste, car le RN est difficilement assimilable à un pur produit du populisme comme l’était, par exemple, le fascisme italien qui avait attiré des ouvriers et des paysans misérables après la Première guerre mondiale. Le RN n’a jamais revendiqué le bouleversement de l’ordre démocratique, l’usage systématique de la violence politique, l’instauration d’un parti unique ou l’interdiction des syndicats. On a donc commencé à parler de « néopopulisme » pour désigner des mouvements politiques fort divergents comme ceux du RN et de LFI mais qui avaient en commun de critiquer les élites et le système de décision en France au nom du peuple et des réalités sociales qu’il affronte. Mais c’est précisément ce point que je creuse dans l’ouvrage. Le « populisme » est composé de plusieurs registres, comme le souverainisme ou la recherche de la démocratie directe, mais le point focal aujourd’hui est celui de l’efficacité immédiate de l’action publique. Cette dimension n’est pas soutenue que par les classes populaires contre les « élites ». La question de l’effectivité de l’action publique, c’est-à-dire de la portée concrète sur le terrain des décisions politiques, est centrale pour une majorité de membres des catégories moyennes et supérieures qui, elles aussi, attendent du concret en matière de santé publique, d’école, de méritocratie réelle, d’accueil des migrants, et même de défense nationale vue l’impréparation de notre armée à un conflit conventionnel en Europe. On voit même les activistes écologistes dire : « cela fait des années que l’on parle et rien ne change sur le terrain », activistes pourtant bien à gauche et diplômés. Le RN, bien plus que LFI ou la NUPES pris dans l’ivresse mémorielle des révolutions passées et pensant que l’égalitarisme a réponse à tout, a pu ainsi élargir sa base électorale en captant une attente forte pour davantage de réalisme de la part des élus et de l’appareil d’État. Ce n’est pas parce qu’elles étaient devenues populistes que 33% des « professions intellectuelles supérieures » ont voté pour Marine Le Pen au second tour. Mon ouvrage essaie donc de percer le mur des clichés pour essayer de cerner ce qui s’est joué alors et continue de se jouer en ce moment.

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Après les résultats des élections présidentielles et législatives de 2022, le RN peut-il devenir le parti dominant à droite, au vu de ce qu’est devenu le centre de gravité de la droite ?

On assiste en fait à un double mouvement que j’analyse à partir d’enquêtes approfondies sur la base d’échantillons qui vont de 6 000 à 10 000 enquêtés. Le premier, c’est une droitisation générale de l’électorat en particulier sur la question de l’immigration et de la sécurité, une droitisation qui touche d’ailleurs tout le monde y compris les électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui s’avèrent bien moins tolérants aujourd’hui qu’en 2017. Le macronisme lui-même a fini par se positionner à droite en abandonnant en fait sa posture centriste. Le second mouvement est l’écartèlement de LR dont les électeurs sont passés soit à Emmanuel Macron s’ils sont diplômés, fortunés et âgés et à Marine Le Pen s’ils sont moins diplômés, plus modestes et plus jeunes. Mais cette opposition sociologique est en train de s’atténuer et des électeurs de catégories moyennes et supérieures, mécontents de leur mobilité sociale et de la dégradation de la société française, ont choisi plutôt la droite radicale, commençant par voter Éric Zemmour au premier tour pour se rabattre sur Marine Le Pen au second. Il en résulte que le RN est désormais le parti dominant à droite, faute de concurrent.

Vous le soulignez, le RN se banalise, se notabilise. Est-ce assez pour devenir le pôle central d’une possible majorité de gouvernement, possiblement via l’Union des droites, avec tout ce que cela suppose ?

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Là encore, il faut ne pas se tromper d’analyse. Je ne pars pas des partis politiques, dont on sait qu’ils sont plus ou moins fracturés en interne autour de personnalités, qu’ils hébergent parfois des brebis galeuses et qu’ils sont pris dans des logiques de communication. Je pars des électorats car ce sont les électeurs qui décident de l’avenir du pays en prenant ce qui les intéresse vraiment dans l’offre politique. L’union des droites ne se fera pas car le RN reste aux yeux des notables de LR un partir de prolétaires qui lui dispute de plus l’héritage gaullien que Jacques Chirac a pourtant dûment enterré dans les années 1986. De son côté, le RN a besoin de Reconquête ! et d’Éric Zemmour pour attirer la bourgeoisie conservatrice et catholique dans l’entonnoir des droites radicales mais n’a pas besoin d’un accord avec LR qui est en passe de devenir un parti zombie déjà mort mais bougeant encore. Les électeurs de droite n’auront guère le choix que de s’orienter vers un RN un peu embourgeoisé et ayant mis fin aux provocations à l’ancienne sauf à voter pour ce qui remplacera le macronisme et dont on ne sait rien pour l’instant.

L’hypothèse du RN comme leader d’un bloc populaire qui finirait par s’imposer est-elle désormais moins crédible au vu de la recomposition de l'électorat du parti que vous soulignez ?

Il n’existe pas de « bloc populaire » qui affronterait un « bloc élitaire ». La sociologie électorale montre que le RN a gagné du terrain au sein des catégories moyennes et supérieures y compris chez les fonctionnaires et y compris chez les enseignants. Comme je le soulignais plus haut, la logique « populiste » n’a pas d’avenir pour le RN et seule LFI la cultive encore en faisant de gros efforts à l’Assemblée nationale pour « faire peuple » au désespoir, je pense, de bon nombre de responsables socialistes et communistes qui n’ont pas eu d’autre choix que de rejoindre la NUPES. La transformation que j’essaie de mettre au jour dans l’ouvrage est que les nouveaux enjeux, qui sont des enjeux de survie (réchauffement climatique, flux migratoires, guerre en Europe) ont relancé la question de l’égalité sur un plan que ne maîtrise plus la gauche, et qui peut se traduire par la question : qui va payer le coût des politiques écologiques, migratoires ou de la guerre qui peut éventuellement s’étendre ? On voit bien que l’on n’est plus dans une logique de redistribution fiscale et de rééquilibrage de l’État providence. Car ce sont les cultures et les modes de vie qui sont en cause.

Le volontarisme affiché par le RN et sa capacité d’apprendre de ses erreurs compensent-elles pour autant le défaut de compétence qu’on souligne souvent à son égard ?

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L’argument de l’incompétence du RN en général et de Marine Le Pen en particulier a été utilisé avec grand succès par Emmanuel Macron en 2017 et avec moins d’effet en 2022 malgré une posture de mou dédaigneuse lors de son débat télévisé chargé de bien faire comprendre qu’elle ne connaissait pas bien les dossiers. Le problème est que l’argument de la maîtrise technique des dossiers, s’il avantage indubitablement le camp macroniste voire le camp LR, va désormais se heurter au bilan du terrain. Il faut bien reconnaître que l’État est en déroute. On entend à la radio des publicités officielles pour inciter les jeunes à se lancer dans des carrières d’enseignant avec la voix flûtée d’une jeune femme émerveillée à cette perspective. C’est parce que le nombre de candidats s’est effondré et que la qualité de ceux qui restent est de plus en plus douteuse. Le paysage de l’action publique en France est un champ de ruines malgré des records de prélèvements obligatoires : l’hôpital public, fierté de notre système, est à l’os ; l’enseignement produit des illettrés par trains entiers tout en préservant des îlots d’excellence ; on laisse les directeurs d’établissement se débrouiller pour définir les normes de la laïcité sans le soutien d’une hiérarchie qui regarde ailleurs ; les hauts fonctionnaires sont écartés au profit de cabinets conseils privés qui vendent des rapports sans avoir la moindre idée de ce que vivent sur le terrain le fonctionnaires agressés par les usagers ; la politique d’accueil des migrants est une catastrophe et l’on se félicite de les voir s’éparpiller dans la nature alors que les règles de droit sont devenues si complexes et confuses qu’elles ne produisent que des miséreux qui ne peuvent ni rester ni partir sous les yeux de policiers à qui ont demande d’accomplir la sale besogne de « faire le ménage ». Je pourrais aussi parler de la recherche scientifique où les règles déontologiques de base sont régulièrement violées, tout cela pour « faire du chiffre » dans les rapports d’activité. En bref, le bilan du macronisme va sans doute rééquilibrer ses prétentions à la compétence et au « management ».

Àla faveur d’une droitisation de la France et de l’Europe, que vous décrivez, le RN a-t-il une ouverture pour 2027 ? Quels sont les obstacles désormais ?

Le RN a certainement la possibilité de se transformer en force politique puissante dans la perspective de 2027. Il va sans doute profiter d’une demande pour une autorité accrue qui émane de toutes les catégories sociales et même des jeunes. Il s’est notabilisé, la moitié de ses députés provient des catégories supérieures et la période où il était incarné par d’anciens gendarmes à la retraite est dépassée. Il a su associer un faible libéralisme culturel à un libéralisme économique modéré, en réaffirmant le rôle des services publics, une équation qui est retenue par une grande partie de l’électorat. Cette stratégie a permis de ressourcer la droite à la question sociale en court-circuitant la gauche sur son terrain de prédilection. On peut penser que Marine Le Pen, si elle se présente, gagnera encore des points, ce qui ne veut pas dire qu’elle pourra disposer d’une majorité suffisante pour emporter l’élection au second tour. Tout dépendra de la réorganisation du champ politique après la disparition du macronisme.

Luc Rouban publie « La vraie victoire du RN » aux éditions Les Presses de Sciences Po

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