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LR en panne : cet élément sans lequel la droite ne redeviendra jamais audible
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Virage manqué

Incapable de faire évoluer leur logiciel économique, fébrile sur les questions de souveraineté, la droite française ne parle pas aux gilets jaunes. On peut d'ailleurs sérieusement s'interroger sur la visibilité d'un Laurent Wauquiez aujourd'hui.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Comment expliquer l'incapacité des LR à exister sur le terrain politique dans le contexte actuel ? Comment expliquer notamment que le parti dirigé par Laurent Wauquiez apparaît encore moins crédible sur la question de l'immigration ? 

Edouard Husson : Nous assistons au retour du refoulé. Depuis 1992, la classe politique française est allée à rebours de l’histoire. De Gaulle l’avait annoncé: les nations boiraient le communisme comme le buvard boit l’encre. La libération du communisme a été une renaissance des démocraties nationales, jusqu’en Allemagne. Or les dirigeants français n’ont eu de cesse de vouloir projeter le pays dans le postnational. Ils ont placé les Français devant une injonction paradoxale: soyez une grande nation; mais ne soyez pas une nation. Alors que la nation est le creuset de la démocratie, on n’a plus eu le droit de défendre la nation qu’à la marge - en étant traité de « souverainiste », de « populiste », de passéiste. 

A droite, on s’est complu soit dans la mise à l’écart populiste soit dans le schéma postnational. Nicolas Sarkozy a bien réhabilité la nation, en partie, mais une fois au pouvoir, il a surtout eu pour méthode, celle de l’essuie-glace: un coup d’identité nationale, un coup de réconciliation avec la bien-pensance. Il y a perdu la possibilité d’être réélu. Mais personne ne s’est imposé pour le remplacer: Alain Juppé n’a pas changé, en quarante ans de vie politique, lui qui, déjà, faisait concurrence à Balladur à la fin des années 1970, pour savoir qui viderait le mieux les projets de discours de Jacques Chirac de leur substance gaulliste. François Fillon a totalement sous-estimé la détresse de la France périphérique, obsédé qu’il était par le retour à l’équilibre budgétaire. Et aujourd’hui Wauquiez nous fait du Wauquiez: - J’vous jure que j’ai jamais porté de gilet jaune - Ah! En fait, si ! J’vous jure que j’m’en souvenais pas. L’histoire frappe à sa porte au Puy en Velay mais il est introuvable. On entend souvent dire aujourd’hui qu’après tout il vaut mieux l’original, Marine Le Pen, que la copie, Wauquiez. Mais cela ne résoud en rien l’incapacité de la droite à exercer le pouvoir puisque le mirage de l’alliance droite-gauche des populismes, vieux rêve de Marine Le Pen,  est aussi enfermante pour l’électorat que les atermoiements d’un Wauquiez. 

Le cas de la politique d’immigration, que vous citez, est emblématique: ce devrait être un domaine de compétence des Républicains. Mais ils l’ont abandonné à l’affrontement des mots entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Résultat, il n’y a que 14% des Français à mettre en valeur les positions de LR sur l’immigration - contre 16% pour celles de Macron et 26% pour celles de Marine Le Pen. 

Alors que les droites anglo-saxonnes, au travers du Brexit et de l'élection de Donald Trump, ont opéré un virage social de leur approche économique, peut-considérer ce décalage avec la droite française comme une cause de cette situation ? 

Il est une première évidence: la droite a manqué, une première fois, la révolution économique qu’on attendait d’elle, en choisissant le change monétaire fixe avec le deutsche mark à la fin des années 1970 au lieu de suivre le pragmatisme anglo-américain des changes flottants. Une deuxième occasion s’est présentée au moment du débat sur Maastricht. Il se serait agi d’appeler à voter non, contre l’incompétence économique de François Mitterrand, qui ne comprenait pas que l’alignement des taux français sur les taux allemands très élevés, en pleine réunification, cassait la croissance française. Une troisième occasion s’est présentée lors du passage définitif à l’euro. Il aurait encore été possible de reculer mais Jacques Chirac n’avait utilisé le thème de la « fracture sociale » que pour être élu en 1995. Une quatrième occasion est venue avec la crise monétaire grecque de 2010-2012 mais Nicolas Sarkozy a préféré laisser le carcan autour du cou de la nation.

Au moment où le peuple français fait entendre une souffrance trop longtemps ignorée par ses dirigeants, on attendrait de la droite qu’elle saisisse sa chance, qu’elle réalise le vieux mot d’ordre de Benjamin Disraëli, le créateur du conservatisme moderne, la réconciliation des « deux nations » - nous dirons, dans un contexte français de 2018, la réconciliation des élites avec la France périphérique. Il faut que la droite renoue avec une vieille tradition conservatrice où l’on sait être à la fois élitiste et populiste; il faut, en économie, être à la fois protecteur et entrepreneurial. Bien entendu, le refus des « pays du nord » de transformer l’euro en une vraie monnaie, mise au service de la croissance et de l’emploi rend difficile le changement de politique économique. Est-ce une raison pour ne pas placer les partenaires européens devant leurs responsabilités? Ne s’agit-il pas de se préparer pour le cas où, la névrose monétariste l’emportant, le système de l’euro serait balayé par la prochaine crise: choc systémique créé par l’endettement de la Deutsche Bank, dette italienne, hard Brexit  ou toute autre cause? 

La droite française peut-elle parvenir à une telle évolution, au regard de ses cadres ? 

La droite des Républicains est face à une crise qu’elle ne comprend pas car elle n’a plus imaginé une autre politique économique depuis un quart de siècle. Quant au Rassemblement National, on y avait tellement attendu une révolte populaire qui ne venait pas qu’on y a complètement oublié de préparer la phase d’après: celle où il faut transformer la révolte en force de gouvernement. 

Ce qui se passe était prévisible dès l’adoption de l’euro. Il est passionnant de relire les argumentaires de ceux qui appelaient à voter non à Maastricht, à commencer par Philippe Séguin. Quelle prémonition ! Les « gilets jaunes », n’est-ce pas l’aboutissement de ce que le dernier grand tribun gaulliste avait appelé, désignant la monnaie unique européenne, un « Munich social »; la capitulation des dirigeants français devant une politique monétaire qui n’était pas adaptée aux intérêts de la nation? Effectivement, les actuels dirigeants LR sont dans un tel déni de réalité concernant les effets de l’euro, qu’il est difficile d’imaginer leur conversion rapide au pragmatisme économique. Le Rassemblement National n’est pas exempt non plus de déni de réalité: on s’y est jusqu’à maintenant bercé de l’illusion qu’il était facile de passer de la dénonciation de l’asservissement de la nation à une politique efficace de libération des énergies. 

Les « gilets jaunes » offrent à la droite populiste comme à la droite d’en haut l’occasion de se réconcilier rapidement avec le réel. Dans un de ces surgissements inattendus dont l’histoire de France a le secret, l’armée des humbles, des entreprenants, des lève-tôts gagne-misère, s’est dressée, résolue à réclamer sa dignité bafouée. Peut-être la vague emportera-t-elle le Premier Ministre et la majorité parlementaire. Eh bien! La droite saura-t-elle faire aboutir ce mouvement qui, d’un seul coup, contre tous les oukases de la bien-pensance, rétablit une équivalence entre le peuple, la nation et la démocratie mais réclame bien plus encore ? Il s’agit de formuler et de mettre en oeuvre une politique des réalités: elle consistera à renégocier toutes les politiques européennes avec nos partenaires, dans le sens des intérêts français. Beau programme pour une droite à la Disraëli, réconciliant «les deux nations ». Mais je vous concède que les droites françaises sous leur forme actuelle sont encore loin du compte. 

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