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Lorsque l'Iran démontre que la sécurité numérique d’un Etat dépend de l’existence d’un réseau internet national fermé
©Reuters

Au prix de la liberté d’expression

Face aux manifestations en cours contre la hausse du prix de l'essence à la pompe, le gouvernement iranien a coupé le réseau internet mondial il y a environ une semaine.

Kavé Salamatian

Kavé Salamatian

Kavé Salamatian est chercheur en métrologie des réseaux cyberstratégie. Il enseigne à l'Université de Savoie et est chercheur attaché à l'Institut français de géopolitique (GEODE).

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Atlantico : Le centre de recherche GEODE, où vous êtes chercheur attaché, a publié vendredi dernier un article sur  "La géopolitique derrière le routage des données : étude de cas de l'Iran". En quoi la situation actuelle en Iran illustre-t-elle les conclusions de votre étude ?

Kavé Salamatian : L'étude que nous avons menée se pose une question que nous traitons depuis un bout de temps, qui est l'importance géopolitique de l'architecture d'internet, en particulier tout le chemin que prennent les données pour traverser internet. 

Nous avons pris comme cas d'étude l'Iran, parce que d'une part l'Iran est un grand pays du Moyen Orient et a une infrastructure technique de l'internet intéressante et importante, et la deuxième raison est que l'Iran est à la croisée de toute une série de problèmes géopolitiques. On se posait la question de si l'étude de la structure des connectivités de l'Iran pourrait amener quelques éléments intéressants en terme d'une étude géopolitique. Donc c'est une étude multidisciplinaire qui a été menée entre des informaticiens, des géopoliticiens et des mathématiciens, et cette étude a permis de mettre que exergue que l'Iran avait reconfiguré son réseau internet ces dernières années afin de lui permettre d'une part d'avoir un contrôle des points de sortie de l'internet, mais en même temps, d'avoir à l'intérieur du pays un réseau très riche et très résilient qui permettrait de supporter des cyberattaques qui pourraient arriver en Iran.

L'Iran, en construisant son réseau, a déployé un réseau qui lui permet d'avancer dans sa volonté d'une part de contrôler le trafic et l'information qui sort de l'Iran, mais aussi dans le fait de contrôler les cyberattaques tout en ayant une politique de présence très forte au Moyen Orient qui lui permettrait éventuellement d'être un point de passage des trafics des autres pays. L'Iran est en effet aussi en termes géopolitiques un pont qui connecte plusieurs plaques géopolitiques importantes : la plaque proche-orientale avec  la plaque indienne, avec la plaque d'Asie du centre et la plaque caucasienne. L'Iran est à l'intersection de ces différents mondes géopolitiques, et donc elle a aussi une volonté d'être un acteur important de la connectivité internet dans cette région. 

Notre étude met en exergue tout ceci. Les événements actuels en Iran sont une illustration de ce que peut faire l'Iran avec cette reconfiguration du réseau qu'elle a mis en place.

Vous expliquez que l'Iran a une position centrale au Moyen-Orient du fait de sa connectivité et de son implication dans plusieurs conflits géopolitiques. Comment son réseau internet national peut-il lui permettre de devenir une grande puissance régionale ? 

L'Iran n'a pas besoin de l'internet pour être une grande puissance régionale, puisque déjà en termes de population, elle est une puissance régionale. Le nombre de personnes ayant fait des études supérieures en Iran seule est supérieur à la somme de tous les autres pays du Moyen Orient, donc l'Iran est déjà une puissance régionale importante, mais ça rajoute un aspect infrastructure de réseau dans la palette de ses moyens, tout en lui permettant aussi d'avoir un contrôle très fort sur son internet national et sur son réseau interne. 

Comment comprendre que la création d'un internet "halal" ait mené mécaniquement à des actes de censure de la part des autorités iraniennes, mais aussi des entreprises étrangères qui craignent les autorités américaines ?

Le terme "internet hallal" a été invoqué par des acteurs occidentaux au sujet de l'Iran. L'Iran a eu deux motivations principales pour augmenter son contrôle sur son architecture interne : contrôler l'information qui sort de l'Iran et qui est envoyée à l'extérieur, et la deuxième motivation est que l'Iran a été sujette à des cyberattaques de la part des Américains. On a eu une confirmation encore très récemment des Etats-Unis qui auraient menés des cyberattaques dans d'autres cadres à l'intérieur de l'Iran. 

Ces deux éléments font que l'Iran avait une motivation forte pour avoir un contrôle complet sur son réseau, et donc elle a réussi à le reconfigurer, puisqu'initialement il n'était pas facilement contrôlable, de façon à permettre de couper la connexion vers l'extérieur d'un certain nombre d'acteurs ou d'un certain nombre d'utilisateurs, tout en gardant à l'intérieur du pays un réseau qui fonctionne, et en permettant l'accès à l'extérieur d'un certain nombre d'acteurs, en particulier les acteurs gouvernementaux ou bancaires, qui eux ont besoin d'avoir accès à l'étranger. 

Il est évident qu'aujourd'hui, l'internet iranien est entre un marteau et une enclume, qui est d'un côté les velléités du Gouvernement iranien de bloquer l'accès à l'information ou le transfert d'informations de l'intérieur vers l'extérieur dans le cadre des événements récents, mais il y a aussi une autre velléité du gouvernement américain et de entreprises américaines, par le biais des sanctions américaines, d'interdire et de rendre impossible à tous les acteurs iraniens qui voudraient court-circuiter la censure de l'empêcher.

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