Loi sur la transition énergétique : un projet habile et modéré mais flou<!-- --> | Atlantico.fr
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Une centrale nucléaire.
Une centrale nucléaire.
©Reuters

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Le projet de loi sur la transition énergétique a été présenté par la ministre de l'Environnement Ségolène Royal ce mercredi. Avec ses qualités et ses limites...

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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Si l’on en juge d’après les fuites (voulues ou non) qui ont précédé sa présentation officielle, le projet de loi sur la transition énergétique apparaît comme un ensemble assez équilibré et plutôt raisonnable. Une politique se définit par des objectifs et des moyens. Elle doit avoir les moyens de ses objectifs, et les objectifs de ces moyens. Mais on ne retrouve pas toujours cette cohérence dans les trois volets de la loi proposée...

Le premier concerne les économies d’énergie dans les logements. Il s’agit d’un objectif consensuel : tout le monde souhaite autant de chaleur et d’eau chaude avec moins de consommation d’énergie. Les travaux d’isolation qui permettent d’y parvenir sont très divers : certains s’autofinancent par les économies qu’ils engendrent, et les propriétaires (qui savent compter) n’ont pas besoin de lois pour les engager ; un peu de publicité, des prêts à taux zéro (prévus dans la loi), sont des coups de pouce utiles. Si les logements sont loués, c’est le locataire qui bénéficie des moindres consommations, pas le propriétaire qui paye les travaux. L’incitation disparaît et doit être recréée par des dispositions législatives (que je ne vois pas dans le projet).

Malheureusement, beaucoup - plus de la moitié sans doute - de travaux d’isolation ne s’autofinancent pas : ils ne se feront pas sans dépenses publiques. La loi crée ou creuse à cet effet des niches fiscales (allègement de 30% pour travaux de rénovation énergétique, crédit d’impôt développement durable). On peut ajouter que ces dépenses budgétaires sont progressives : les charges de chauffage augmentent moins vite que le revenu, les allègements de charges ramenés au revenu sont plus grands pour les pauvres que pour les riches.

> A lire - Transition énergétique : ce que contient le projet de loi de Ségolène Royal

Les travaux d’isolation les plus efficaces sont, de loin, ceux qui concernent la construction neuve par opposition aux logements bâtis. L’effondrement des mises en chantier du à la loi Duflot, en plus du fait que les logements neufs du parc social sont largement financés par des collectivités territoriales appauvries, sont deux raisons d’inquiétude que le projet de loi semble ignorer.

Le deuxième volet vise les transports. L’objectif principal semble être le développement de la voiture électrique. Si cela pouvait survenir à un coût raisonnable, tout le monde applaudirait, mais cela n’est malheureusement pas le cas. Le projet de loi le reconnaît et, accordant le moyen à l’objectif, prévoit une subvention de 10 000 euros pour chaque voiture achetée. Ou bien cela ne suffira pas à amorcer le développement de cette technologie, et l’argent aura été dépensé en vain ; ou bien cela suffira, mais impliquera une dépense considérable. Pour 200 000 véhicules par an, ce qui est peu du point de vue industriel, il faudra payer 2 milliards d'euros chaque année. Cette dépense serait particulièrement régressive, puisque ce sont surtout des riches qui en bénéficieraient.

Le dernier volet, qui est sans doute le plus important, se rapporte au mix électrique, c’est-à-dire à l’importance relative du nucléaire et des intermittents (solaire et éolien), étant entendu que la part de l’hydraulique ne peut guère être modifiée et que celle des combustibles fossiles (qui est faible) doit être réduite au maximum. L’objectif est clairement affiché : 50% nucléaire, 40% intermittent en 2025. Cet objectif n’est pas du tout consensuel : il sera considéré comme insuffisant par ceux qui voudraient bannir totalement l’électricité nucléaire, mais qui se résoudront sans doute à voir dans la loi un premier pas dans cette direction. Il sera vu comme ruineux par qui voient – à juste titre pensons-nous – dans le nucléaire l’un des trop rares atouts compétitifs de la France.

Pour ce qui est des moyens, le projet de loi semble évasif. Il ne prévoit pas l’arrêt de centrales nucléaires dans un futur proche. Il ne prévoit apparemment pas de changement au système des prix nourriciers (obligations d’achat de toute l’électricité solaire et photovoltaïque produite) qui soutient les intermittents, à un coût de 4 milliards d’euros par an, en augmentation rapide. Notons au passage que ce système d’aide est régressif puisqu’il est mis à la charge des consommateurs d’électricité, et que la consommation d’électricité augmente moins vite que le revenu. Mais il prévoit divers fonds destinés à prêter aux collectivités locales ou aux PME pour le développement des énergies renouvelables (dont un fonds de 5 milliards abondé par la Caisse des Dépôts), au risque d’encourager un endettement difficile à rembourser.

Au total, ce projet de loi apparaît plutôt habile et modéré. Comme tous les projets mesurés, le texte sera sans doute vivement loué et attaqué par des extrémistes de tous bord. Il ne mérite pourtant "ni cet excès d’honneur ni cette indignité" : son flou sur les moyens est patent, mais il est prudent, peut-être même nécessaire, et s’explique par la situation économique et budgétaire du pays - et sans doute aussi par le souci de ne pas insulter l’avenir. Il faut enfin souligner qu’il ne contient pas de nouveaux impôts ou contraintes – ce qui n’est pas si fréquent en matière d’énergie. La ministre avait affiché son opposition à "l’écologie punitive" : elle a tenu parole.

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