Loi immigration : et au fait, sur quels critères obtient-on aujourd’hui une régularisation ou la nationalité française ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Des demandeurs d'asile arrivant en France font la queue à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, en région parisienne. 30 août 2018
Des demandeurs d'asile arrivant en France font la queue à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, en région parisienne. 30 août 2018
©ALAIN JOCARD / AFP

Au royaume des naïfs, les cyniques sont rois

Alors que le débat sur la loi immigration se focalise sur son article 3 portant sur la régularisation des travailleurs sans-papiers employé dans les métiers en tension, qui se soucie vraiment des critères d’intégration culturelle et politique ?

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

Voir la bio »
Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

Voir la bio »

Atlantico :  L'intention n'est pas de faire "appel d'air" explique Elizabeth Borne. Ses opposants pensent l'inverse. Est-ce qu'il y a un risque de régularisation massive sans respecter les critères d'intégration ? Va-t-on sans le vouloir régulariser des individus pro-Hamas? 

Arnaud Lachaize : L’intention n’est jamais de faire appel d’air évidemment. Cependant, le dispositif qui est mis en place ouvre une voie extrêmement large à la régularisation et prépare un violent appel d’air. C’est la première fois que la loi française crée un droit à régularisation après une période de 3 ans sur le territoire français (dont une expérience professionnelle de 8 mois pendant les 24 derniers sur un métier).

La loi du 10 mai 1998 ou loi Chevènement, créait un droit à régularisation après 10 ans de séjour avérés. Cette facilité avait été abolie sous Sarkozy en 2006 à cause d’abus constatés. Aujourd’hui, le projet Darmanin recrée un droit à régularisation dans la loi, fondé sur la durée du séjour assortie d’une brève expérience de travail, mais au bout de 3 ans seulement ! Pas 10 mais 3 ans ! On ouvre la voie à une véritable industrie de faux documents, certificats, recrutements fictifs sur 8 mois. En réalité, l’Etat s’apprête à renoncer à tout contrôle sur le flux migratoire. 

L’appel d’air est inévitable. Quand l’Espagne et l’Italie ont fait à peu près la même chose dans les années 2000, cela a entraîné un afflux massif de centaines de milliers de migrants. C’est pourquoi elles y ont renoncé. Dans le monde entier, on saura que la France régularise au bout de seulement 3 ans : l’appel d’air sera inévitable comme tant d’exemples l’ont montré.  

Quant au droit au travail immédiat pour certains demandeurs d’asile, il ouvre une nouvelle brèche dans le détournement du droit d’asile : les demandeurs d’asile déboutés qui auront commencé un travail pourront, encore moins qu’aujourd’hui, être éloignés puisqu’ils auront un travail légal... C’est quasiment un droit à régularisation assuré, dès le dépôt de la demande d’asile, qu’on met ainsi en place qui n’existera qu’en France. Là aussi l’appel d’air s’annonce inévitable.  

Déjà en 2022, les flux migratoires ont battu tous les records historiques avec 315 000 premiers titres de séjour et 150 000 demandeurs d’asile (pour environ 190 000 premiers titres de séjour et 40 000 demandeurs d’asile dix ans plus tôt). Le pouvoir macronien s’apprête à faire encore beaucoup plus fort… 

Bien sûr qu’avec ces mesures, l’Etat se prive encore bien davantage qu’aujourd’hui de tout contrôle sur les flux migratoires. Evidemment que cette mesure de régularisation, qui sera massive, facilite la  régularisation de militants pro-Hamas ou pro-Daesh même s’ils ne sont pas connus comme tels au moment de leur régularisation. 

Jean-Paul Gourévitch : Le débat qui s’est polarisé sur l’article 3, la régularisation de migrants irréguliers dans les métiers en tension, est piégé par des sous-entendus politiques. Cette loi ne concernerait qu’environ 7000 personnes alors que chaque année l’Etat en régularise environ 30 000, notamment des étrangers malades, des parents d’enfants scolarisés et des travailleurs en situation illégale. La loi immigration ne fait que transposer dans le droit une pratique qui existe dans les faits. Elle comporte par ailleurs deux verrous. Le titre de séjour n’est que d’un an même s’il est renouvelable, et cette « expérimentation » sera évaluée en décembre 2026. La dénonciation d’un « appel d’air » qu’il générerait chez des candidats à l’immigration me parait  relever de la posture politique et être plus polémique que scientifique.    
Pourquoi la droite s’arc-boute-t-elle sur cette position qui sera difficile à tenir face à une réalité qui requiert une approche pragmatique ? Je hasarderai ici une hypothèse. Celle du « grand marchandage ». Ce serait la résultante de la confrontation entre une majorité présidentielle composite et des Républicains dont quelques-uns sont en décalage avec la ligne de leurs chefs de file. On affiche de part et d’autre des « lignes rouges » avant d’entrer dans une négociation qu’il faudra bien engager si on ne veut pas recourir au 49.3. Les enjeux seraient une acceptation de l’article 3, éventuellement aménagé, contre un durcissement de l’accès aux soins avec une évolution partielle de l’AME (Aide Médicale d’Etat) vers une AMU (Aide Médicale d’Urgence) et des restrictions apportées à la procédure dite des « étrangers malades » qui constitue largement un détournement du droit d’asile. 
Cette négociation générerait d’importantes économies pour l’Etat, outre les rentrées fiscales et sociales de la régularisation, car l’AME coûte actuellement, selon l’estimation prudente de notre étude  pour Contribuables Associés, 1,3 Milliard d’euros et la procédure d’étrangers malades 250 millions. Et surtout elle tordrait le cou à l’idée que les « clandestins » bénéficient de « privilèges » interdits aux « Français qui se lèvent tôt ». 
Quant au risque mentionné de renforcer des mouvances pro-Hamas, il est inhérent à tout accueil de migrants, qu’ils soient en situation régulière ou non, naturalisés ou pas. La loi ne changera rien à la situation actuelle sauf à faciliter quelques expulsions.  

Sur quels critères aujourd'hui obtient-on une régularisation ou la nationalité française? 

Arnaud Lachaize : La régularisation est un pouvoir discrétionnaire du préfet créé par la jurisprudence du Conseil d’Etat et confirmé par la loi. Le pouvoir macronien ment quand il affirme qu’une démarche de l’employeur est aujourd’hui indispensable pour obtenir une régularisation. Rien dans les textes légaux ne le prévoit. C’est le préfet qui est souverain pour régulariser pour des raisons de travail ou familiales sans que rien ne puisse s’opposer à sa volonté. 

Or le préfet est totalement dans les mains du pouvoir exécutif. Il obéit, au doigt, et à l’œil, sinon il est révoqué dans la minute… Comme en 1997 ou en 2012, rien n’empêche le gouvernement de régulariser par une simple circulaire adressée aux préfets dont les critères sont établis au préalable. 

Mais aujourd’hui, ce que l’on fait va beaucoup plus loin. La régularisation était un choix discrétionnaire de l’Etat. Désormais, on crée une régularisation de plein droit au bout de trois ans qui s’imposera à l’Etat. C’est comme si le gouvernement choisissait délibérément de renoncer toujours davantage au contrôle de l’immigration.  

Et le choix qui est fait est ainsi infiniment plus laxiste que celui de la gauche plurielle en 1998 : 3 ans plutôt que 10 ans à l’époque ! Alors pourquoi ? La politique migratoire est l’otage de considérations politiciennes et d’un pouvoir macronien qui cherche à montrer ses muscles contre « la droite » nonobstant l’intérêt du pays. 

La nouvelle loi immigration prévoit de conditionner l''obtention de titres de séjour à la maîtrise du français. Il faudra avoir un niveau minimal. Les sénateurs ont d'ailleurs ajouté un examen civique avec des questions relatives à la culture française et à l'histoire. Que vaut ce type de mesure? Est-ce que c'est assez? 

Arnaud Lachaize : On peut comprendre l’intention mais là aussi, on nage dans la politique d’affichage. Les étrangers auxquels cette règle va s’appliquer seront déjà sur le territoire français et le plus souvent entrés dans un cadre régulier : droit au regroupement familial, ou mariage avec un Français. Cela signifierait qu’on précarise leur situation en refusant de prolonger leur droit au séjour par la délivrance d’une carte pluriannuelle alors que ces personnes sont venues en plein respect de la loi et se trouvent déjà sur le territoire français.  

On ne pourra bien sûr pas éloigner ces personnes rentrées régulièrement sur la base du droit au respect de la vie familiale, mais elles ne pourront pas obtenir de carte de séjour pluriannuelle à cause de leur échec à un test de français et de culture française (si on suit la logique proposée). 

 La conséquence sera de créer des personnes qui resteront sur le territoire mais abandonnées dans la nature, privées de droits et précarisées simplement parce qu’ils ont échoué à un examen. Quel intérêt, quelles conséquences ? Comment mieux encourager la révolte ? 

Avec ce projet de loi, on régularise au bout de 3 ans des personnes qui ont violé le droit sur l’entrée et le séjour et on pénalise des personnes qui l’ont respecté. 

Une bonne mesure serait de rétablir l’obligation d’apprendre le français et les valeurs de la République avant l’arrivée sur le territoire et la délivrance d’un visa d’immigration, comme c’était le cas entre 2007 et 2012 et dans plusieurs pays (Allemagne, Pays-Bas). 

 Mais la formule proposée aujourd’hui n’a aucun sens. Elle risque seulement de précariser des personnes qui remplissent toutes les conditions légales pour résider en France régulièrement. 

Sur quels critères expulse-t-on des invidivus ?

Arnaud Lachaize : Pour un étranger en situation irrégulière (sans papier), la mesure d’éloignement devrait être la règle mais seule une infime minorité des OQTF, obligation de quitter le territoire français est mise en œuvre (environ 6%). 

Quant aux étrangers en situation régulière, ils sont expulsables en cas de « menace grave à l’ordre public ».  

Alors il est vrai que les étrangers vivant depuis longtemps en France bénéficient de protection contre les expulsions pour « menace grave à l’ordre public », notamment ceux qui résident en France depuis 20 ans ou y sont arrivés avant l’âge de 13 ans.  

Mais la loi déjà en vigueur prévoit justement que la protection ne s’applique pas « en cas de comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat ou lié à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence conter une personne déterminée ou un groupe de personnes ». 

Mohammed Mogouchkov le terroriste qui a massacré Dominique Bernard, professeur à Arras, aurait dû être expulsé – sans qu’il soit nécessaire de changer la loi contrairement à tant de contre-vérités entendues. Quant à l’imam Mohammed Karrat, du lycée Averroès qui fait l’apologie du Hamas, rien au monde n’empêche le gouvernement d’engager sur cette base une procédure d’expulsion. 

Mais de fait les expulsions sont rendues extrêmement difficiles et rarement mises en œuvre (malgré l’esbroufe autour des quelques mesures appliquées) par manque de courage et de volonté et aussi parce que les pays d’origine refusent de reprendre leurs nationaux que la France veut expulser. De même, la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme suivie par les juridictions nationales s’oppose à des expulsions qu’elle juge disproportionnées au regard du droit à la vie familiale ou comportant une menace pour la personne expulsée.   

Et à tout cela le projet de loi ne change strictement rien, sinon qu’il va rendre encore plus complexe l’application des OQTF et des mesures d’expulsion pour menace grave à l’ordre public envers les familles en interdisant le placement en rétention administrative (avant mise en œuvre de la mesure d’éloignement) des mineurs de 16 ans. C’est aussi un bel appel d’air vers la France pour les familles rendues quasiment inexpulsables y compris évidemment des familles à potentiel djihadiste.  

La nouvelle loi immigration prévoit de conditionner l''obtention de titres de séjour à la maîtrise du français. Il faudra avoir un niveau minimal. Les sénateurs ont d'ailleurs ajouté un examen civique avec des questions relatives à la culture française et à l'histoire. Que vaut ce type de mesure?  Les titres de séjour pourraient se voir être retirés pour non-respect des "principes de la République". Est-ce que ça veut dire que la loi se durcit ? 

Arnaud Lachaize : Là aussi, on nage dans les contre-vérités et le coup de menton illusoire. Le droit des étrangers codifié dans le CESEDA (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile),  précise abondamment que la délivrance et le renouvellement d’une carte de séjour, toute carte de séjour, est subordonnée à l’absence de « menace pour l’ordre public » et de polygamie. 

D’ores et déjà le préfet, non seulement peut, mais doit refuser la délivrance d’une carte ou la retirer dès lors qu’il a des raisons de penser que l’étranger représente une menace pour l’ordre public. Il dispose d’un pouvoir très large à ce sujet. Détailler les situations possibles de menace à l’ordre public dans la loi ne sert strictement à rien qu’à complexifier les choses à des fins de communication politique. 

En vérité, on a bien plus besoin de courage et de volonté politique pour faire appliquer ces règles que d’une nouvelle loi. D’autant plus que retirer la carte de séjour ne sert à rien si on ne peut pas expulser les personnes qui restent sur le territoire encore plus dangereuses… Et rigoureusement rien dans la réforme ne permet d’améliorer sérieusement les conditions d’expulsion. 

Jean-Paul Gourévitch : Un des critères de ce qu’on appelle l’intégration est la maîtrise minimale de la langue du pays d’accueil. Nos voisins européens le savent bien et la plupart ont durci les modalités de droit au séjour en imposant une obligation de résultats : des examens avec contrôle des aptitudes et non pas seulement des attestations de présence, et des sessions de formation obligatoires pour ceux qui n’auraient pas atteint le niveau requis. La France semble suivre le mouvement, timidement, et avec du retard. Je pense au décret du 30 décembre 2019 qui a rehaussé le niveau de maîtrise du français exigé. 
Au-delà de la langue, il existe, comme vous le soulignez, une adhésion souhaitée aux principes de la République inclus dans la Constitution, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et manifestés dans sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». Mais que vaut une acceptation  formelle si les comportements ne sont pas en adéquation avec elle ?  C’est pourquoi le fait de retirer leurs titres de séjour à ceux qui dérogent à ses principes, avec les conséquences civiques, sociétales et financières que cela implique, me semble être un corollaire obligé de cette adhésion. 

Gérald Darmanin dit que c'est le projet de loi le plus sévère depuis 30 ans. Avec ce projet, syndicats et associations s'inquiètent d'une remise en cause du droit du sol. Ont-ils raison ?  

Arnaud Lachaize : Ce projet de loi est en réalité extrêmement permissif ou laxiste sur ses dispositions d’ouverture et totalement illusoire sur ses mesures prétendument rigoureuses. Jamais un gouvernement de gauche que ce soit sous l’ère Mitterrand, Jospin ou Hollande n’a été aussi loin dans le renoncement à maîtriser l’immigration. 

Les syndicats et associations sont dans leur jeu de rôle habituel en dénonçant la supposé sévérité d’une réforme qui n’a rien de sévère en dehors de quelques coups de menton parfaitement illusoires. Ils font ainsi le jeu du pouvoir macronien : la contestation du projet par les syndicats et associations contribuera à l’œuvre de mystification en laissant croire à la sévérité de cette loi. 

Le droit des étrangers est en soi un sujet complexe que maîtrisent peu de spécialistes. Rien n’est plus facile que de berner l’opinion publique en faisant passer un projet particulièrement laxiste pour rigoureux. Et à ce jeu de dupes, il faut dire que le pouvoir actuel excelle…   Ce projet de loi immigration n’est sûrement pas le plus sévère depuis 30 ans. En revanche, il pourrait bien être le plus laxiste – et le plus incohérent –  depuis 60 ans… 

Jean-Paul Gourévitch : A chaque nouvelle loi sur l’immigration, on agite les peurs de voir disparaître le droit du sol comme si c’était un tabou. Il faut rappeler que la France vit sous un régime complexe :  double droit du sol (un enfant est reconnu français dès la naissance si l’un de ses parents est lui-même né en France), acquisition automatique à la majorité pour un enfant né en France de parents nés à l’étranger (sous condition de résidence), et acquisition pendant sa minorité sur demande de ses parents à 13 ans ou sur sa propre demande à 16 ans.  ,
La loi du 22 juillet 1993 avait remis en cause le droit du sol en exigeant une manifestation de volonté de la part des enfants de 16 à 21 ans nés en France de parents étrangers. Cette loi a été supprimée en 1998 et ses modalités n’ont pas été réintroduites dans le projet Darmanin. 
Reste que la nationalité française ne génère pas automatiquement une fierté d’appartenance. Elle a contribué à créer au contraire une catégorie de « Français de papier » qui n’acceptent pas de se soumettre aux lois du pays d’accueil et, dans certains quartiers, militent pour que s’appliquent des lois étrangères. C’est un sujet d’une actualité brûlante. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !