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On nous cache tout, 
on nous dit rien ?
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Frenchleaks

Le site Frenchleaks, lancé par Mediapart, a publié récemment une note interne envoyée par le PDG d'EDF Henri Proglio à ses salariés, pour leur délivrer quelques "éléments de langage" suite au débat autour du nucléaire... Alors, haro sur Proglio ? Et si cette "affaire" montrait plutôt la persistance du vieux fantasme d'un soi-disant complot mené par des puissances manipulatrices ?

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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En publiant tel un trophée la lettre envoyée par Henri Proglio aux employés d’EDF, le site Frenchleaks met en évidence l’ère du soupçon dans laquelle la communication publique est entrée. Cette ère du soupçon prospère sur le vieux fantasme de complot mondial, l'idée que "l'on nous cache des choses" et la certitude que des puissances obscures cherchent à nous manipuler.

Il ne s’agit pas ici de juger du bienfondé ou non du choix du nucléaire, mais de souligner que, à la faveur du débat qui ressurgit depuis les évènements au Japon, se légitime de plus en plus une posture inquisitoriale des instances médiatiques face à la parole publique.

Que dit la lettre de Proglio ? Elle donne ce qu’il est convenu d’appeler des « éléments de langage » concernant l’industrie du nucléaire. Le terme « d’élément de langage » sonne déjà comme une indignation : elle fait référence à cette « com’ » qui est devenue le mode d’emploi obligé de toute prise de parole publique.

La communication de crise

Chacun sait aujourd’hui que la communication institutionnelle – celle d’un État comme celle de n’importe quelle organisation importante – est calibrée par des professionnels. Le fait de donner des argumentaires aux employés d’une entreprise est-il de facto une pratique manipulatoire ? Une entreprise comptant des milliers d’employés a intérêt à ce qu’ils puissent disposer d’éléments leur permettant de comprendre les grands enjeux de l’activité auxquelles ils apportent leur concours.

Le fait de transmettre des arguments et des faits n'est pas nécessairement un reflet d'une volonté de cacher, manipuler ou mentir. En réalité, il s'agit le plus souvent d'exposer plus clairement un point de vue, de faire acte de pédagogie sur des sujets particulièrement complexes. Rien d’étonnant ni de déplacé à ce que la direction d’une entreprise, au moment où la légitimité de son action est mise en cause, communique auprès de ses employés pour expliquer son point de vue. C’est de plus faire injure aux salariés d’EDF de penser qu’ils se transformeront ensuite en propagandistes aveugles ; ils sont doués d’esprit critique et sont capables de jugement, comme tout citoyen.

Le soupçon permanent

A travers cette exposition des prétendues preuves d’hypocrisie de nos décideurs se lit en réalité l’inquiétante faille qui sépare aujourd’hui nos élites dirigeantes de la société. C’est tout le drame du politique aujourd’hui – et des instances dirigeantes au sens large – que de voir disparaître son traditionnel magistère de la parole au profit d’un soupçon permanent. Certes, cette attitude peut s’analyser comme une réaction prophylactique de l’opinion publique aux abus de la langue de bois et de la « com ». Mais le problème est que cette disqualification du discours en raison seule de son émetteur brise le ressort démocratique lui-même.

Le merveilleux postulat de la démocratie est que nous ne sommes pas réduits à l’affrontement stérile d’idéologies inconciliables, mais qu’un dialogue est possible et que chacun doit avoir sa chance de défendre son point de vue. Les pro-nucléaire n’ont pas moins de droit que les autres à exprimer leur opinion et à la défendre. Oui, la propagande existe. Oui, la communication peut être le véhicule de mensonges et le voile des hypocrisies. Mais nous ne devons pas renoncer à penser qu’une part de vérité peut malgré tout être possédée par celui avec qui nous dialoguons, substituant ainsi à une logique de défiance la logique du dialogue rationnel et ouvert prôné par Habermas.

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